Elle en avait eu déjà et le Gouldsboro que l'on attendait en apporterait certainement.
– Revenez nous voir, chère madame de Peyrac, supplia Mme de La Roche-Posay. Nous avons tous gardé un si bon souvenir de votre séjour, ce dernier été où vous êtes venue avec cette grande dame bienfaitrice, qui était un peu étrange, mais très belle et savante aussi, Mme de Maudribourg, n'est-ce pas ? Elle m'avait laissé ses filles du roy sur les bras sans aucune vergogne. Ne nous plaignons pas ! Nous y avons gagné trois recrues pour les jeunes célibataires de notre implantation, comme cette jeune femme, Germaine, qui désirait vous demander des nouvelles de sa sœur. Elles étaient toutes de qualité, ces jeunes filles.
« A-t-on fait des histoires à Québec parce qu'elles n'y sont pas toutes parvenues ? Ce contretemps a été tout à fait indépendant de ma volonté. Elles se cachaient pour ne pas partir. Et aujourd'hui, je les crois heureuses chez nous et nous les apprécions bien. Enfin, j'espère que nous n'aurons pas d'ennuis avec l'administration de « là-haut ». Tout est tellement compliqué et les courriers si lents. Les ennuis vous arrivent sur la tête alors que l'on a déjà oublié depuis belle lurette ce qui les a provoqués et l'on ne sort pas des procès et des plaidoiries !
Elle soupirait, puis convenait qu'elle préférait ce Nouveau Monde, qu'elle aimait cette vie et qu'elle avait été très heureuse avec son mari dans son fort de bois, dominant la vaste étendue d'eau du bassin de Port-Royal qui se parait d'une si douce teinte mauve à l'aube... quand il n'était pas envahi de brouillard.
– Promettez-moi que vous reviendrez passer un séjour dans nos domaines, insista-t-elle, avec vos enfants, votre mesnie, votre garde. Et aussi votre époux s'il se peut. Car nous ne le voyons qu'avec précipitation pour nous aider à régler un litige avec les Anglais ou des pirates hollandais ou autres, toujours sur pied de guerre, jamais en paix. Mais je ne désespère pas que nous y arrivions un jour. Promettez-moi que vous viendrez.
Angélique promit et repromit solennellement, tout en se demandant si un jour l'occasion se présenterait d'aller naviguer de l'autre côté de la baie pour le seul plaisir.
Mais elle était sincère en affirmant qu'elle aimerait revoir Port-Royal qui était un endroit charmant avec ses maisons de bois, aux toits de bardeaux ou de chaume, ses deux églises, son moulin à roue, ses grandes prairies alentour d'où s'élevait le meuglement des troupeaux.
Elle n'en avait jamais voulu à l'innocente bourgade acadienne, encadrée de cerisiers et de bouquets de lupins géants, des affres qu'elle y avait traversées.
Chapitre 24
Colin Paturel lui avait fait porter un mot par son scribe Martial Berne.
Le jeune garçon, lorsqu'il n'était pas à vagabonder sur les flots, lui servait de secrétaire. Le gouverneur avait à lui demander conseil pour statuer sur le sort de nouveaux arrivants.
L'ancien pirate, assis derrière un énorme bureau de chêne couvert de liasses de papiers dans un fauteuil à haut dossier genre cathèdre d'évêque destiné à impressionner les plaignants ou revendicateurs qu'il recevait à certaines heures, étudiait et cochait avec soin une liste de noms.
L'ayant invitée à s'asseoir, il la pria de l'excuser de l'avoir dérangée. Sans mettre en compte l'absence de M. de Peyrac qui inspectait les chantiers de radoub, il pensait que l'opinion d'une femme l'aiderait à voir plus juste dans une décision à prendre pour des personnes dont la mentalité et les réactions n'étaient pas toujours des plus simples et qu'il n'était pas facile de deviner.
Il s'agissait du groupe de Wallons et de Vaudois dont Nathanaël de Rambourg faisait partie et qui avait demandé aux huguenots de La Rochelle, rencontrés à Salem, de leur donner l'occasion de se retrouver parmi des compatriotes français.
Mais, arrivés à Gouldsboro, ils se montraient indignés de voir qu'on y trouvait des catholiques, des églises, des croix, qu'on y disait la messe, qu'on risquait de rencontrer des prêtres-aumôniers, des moines franciscains et jusqu'à des jésuites. Gabriel Berne qui les recevait en l'absence de Manigault et de Mercelot, oubliant qu'il avait été l'un de ceux qui s'étaient le plus insurgés contre cela, l'avait pris de haut.
– À Gouldsboro, c'est ainsi ! Nous autres, huguenots de La Rochelle, qui vous valons bien dans l'observance de la religion, nous nous en sommes accommodés. Faites comme nous ou retournez d'où vous venez !
Alors, ils étaient venus se plaindre au gouverneur. Allait-on vraiment leur imposer d'entendre ces cloches, de voir ces processions et ces bannières ?
L'œil bleu de Colin Paturel les avait observés, perplexe. C'était un curieux mélange. Lui qui avait vu toute sorte de formules parmi les enfants du Christ, ceux-là, il était difficile de les situer.
Angélique, peut-être, saurait-elle lui indiquer d'où ils venaient et ce qu'ils voulaient ?
Angélique lui dit qu'à part Nathanaël qui était un ami de son fils aîné, et appartenait à la religion réformée officielle, c'est-à-dire celle née après l'édit de Nantes, elle n'était pas beaucoup plus renseignée que lui. Le dénominateur commun avec la population de Gouldsboro, c'était qu'ils étaient français d'origine et de langue.
D'après ce que lord Cranmer lui avait expliqué, les Wallons étaient issus des premiers réformés calvinistes du nord de la France et de Lille, Roubaix, Arras qui avaient fui l'inquisition espagnole lorsque celle-ci s'était installée dans les Flandres à la suite de sa cession à la couronne d'Espagne. Réfugiés d'abord aux Pays-Bas, en région wallonne, puis dans les Provinces-Unies, à Leyde entre autres, Delft et Amsterdam, ils s'étaient mêlés aux dissenters anglais, comme eux exilés, de sorte qu'on en trouvait un grand nombre parmi les pèlerins du Mayflower. Et c'était un Wallon, Peter Minuit, qui avait donc acheté pour les Néerlandais l'emplacement de la Nouvelle-Amsterdam, devenue New York.
Quant aux Vaudois, descendants des « pauvres de Lyon », une secte chrétienne fondée au XIIe siècle par un nommé Jean Valdo, rebelle à l’Église à laquelle il reprochait ses richesses, avant même les Cathares du Languedoc, c'était la première fois qu'elle en voyait. Elle les croyait exterminés depuis longtemps car ils avaient été impitoyablement persécutés jusqu'au XVIe siècle. En fait, quand la Réforme était survenue, ils s'y étaient mêlés, beaucoup quittant leur refuge alpin où se terraient les derniers survivants. Dès lors, ils avaient suivi les vicissitudes des calvinistes français, subissant trêves, persécutions et exil.
Ce qui caractérisait ceux-là, c'est qu'ils étaient, plus que les autres, repliés sur eux-mêmes, leurs traditions et leur langue française, parce que habitués à vivre parmi des étrangers.
Après réflexion, Angélique suggéra qu'on les installât au camp Champlain où il y avait toute une colonie anglaise, des réfugiés de Nouvelle-Angleterre entre autres. Habitués à entendre parler anglais autour d'eux, ils seraient peut-être moins dépaysés au début, et loin des cloches « papistes ».
Colin sourit. C'est bien ce qu'il attendait d'elle. Trouver pour les nouveaux venus un modus vivendi qui les aide à prendre patience dans l'inconfort de leur errance. Il écrivit une note à faire porter à Gabriel Berne.
Depuis son entrée dans la salle, Angélique percevait un détail nouveau, inhabituel, et le cherchait des yeux. Cette pièce qui était la salle de conseil du comte de Peyrac et parfois celle des banquets aux premiers temps de son installation sur la côte, cette même pièce où les deux hommes s'étaient affrontés, était devenue la maison commune et le greffe de l'endroit. Salle de justice aussi et bureau du gouverneur. Ce fut en regardant Colin Paturel tremper sa plume dans l'encrier et jeter un regard sur la liste des noms qu'il recopiait qu'Angélique sut ce qui l'intriguait comme une innovation qui ne lui serait jamais venue à l'esprit.