Melgunof fut obligé de leur donner sa parole qu'il amènerait sa femme. Elles reçurent cette promesse avec une satisfaction d'autant plus grande que la veuve Lilienfeld et ses fils n'avaient non plus jamais voyagé par eau et n'éprouvaient pas moins de crainte que les princesses.
VIII.
Au jour fixé pour le départ, Melgunof, accompagné de sa femme, fit monter les princes et les princesses dans une barque de rivière avec toutes les personnes destinées à les accompagner et les domestiques attachés à leur service, et fit voile pour la forteresse de Nowodwinskoï dans la nuit du 26 au 27 juin (nouv. st. 8 ou 9 juillet 1780), à une heure. Avec un vent favorable ils arrivèrent à la forteresse de Nowodwinskoï le 28 juin (10 juillet) à 3 heures du matin, ayant fait 90 verstes en 24 heures.
Dans le même temps les princes et les princesses s'éveillèrent et furent saisis d'une grande frayeur en voyant la forteresse. Ils s'imaginèrent que ce devait être là leur demeure et que toutes les assurances de Melgunof n'étaient que des mensonges. L'arrivée d'un courrier de cabinet[47] qui eut lieu dans le même moment, les confirma encore davantage dans cette pensée. Ils crurent que le courrier apportait l'ordre de les laisser dans la forteresse de Nowodwinskoï, tandis qu'au contraire il était envoyé à Melgunof avec la confirmation des ordres précédents à leur égard. Pour les rassurer, Melgunof les ayant logés dans la maison du commandant, leur donna la permission de se promener sur les remparts et de venir chez lui en bateau.
Le jour de leur arrivée à Nowodwinskoï était le jour anniversaire du commencement du règne de l'Impératrice. Sur leur demande, le prêtre qui les accompagnait dit la messe dans l'église de la forteresse; il lut ensuite la liturgie et des prières en actions de grâces.
La frégate l'Étoile polaire était déjà prête à mettre à la voile: les princes et les princesses montèrent à bord avec leur suite. En prenant congé d'eux, Melgunof leur fit de nouvelles recommandations, et leur dit à la fin qu'ils seraient toujours malheureux, s'ils se montraient ingrats. En entendant ces mots ils fondirent en larmes, et tombèrent à genoux. La princesse Élisabeth, au nom de tous, dit: «Que Dieu nous punisse si nous oublions la grâce que nous fait notre mère. Nous serons toujours les esclaves de Sa Majesté et jamais nous ne désobéirons à sa volonté. Elle est notre mère et notre protectrice. Nous n'espérons qu'en elle et en personne autre.» Ensuite elle pria Melgunof de porter aux pieds de Sa Majesté leurs remerciements. En se séparant d'eux, Melgunof ordonna de lever l'ancre, de hisser le pavillon et de partir.
La frégate partit à deux heures après minuit, le 30 juin, sous pavillon marchand. Melgunof les suivit des yeux jusqu'à ce que la frégate fût hors de vue.
IX.
Après le renvoi des princes et des princesses l'Impératrice les soutint encore de sa main Impériale. (Suit l'inventaire des habits, fourrures, services à thé, montres, bagues, etc., donnés à chacun des princes); à Bergen, le colonel Ziegler leur remit pour argent de poche 2,000 ducats de Hollande. L'article finit par la phrase suivante: En Danemark on fut étonné de la générosité et de la magnificence avec lesquelles avait été traitée la famille de Brunswick. La Reine elle-même en parla avec reconnaissance.
L'article X n'a rien d'intéressant si ce n'est la phrase suivante: l'Impératrice fut extrêmement satisfaite de la manière dont Melgunof avait exécuté ses ordres. Cependant elle lui fit observer qu'il avait eu tort d'outre-passer ses instructions en amenant sa femme sur le vaisseau où était la famille de Brunswick.
XI.
La navigation de la frégate l'Étoile polaire fut retardée par des vents contraires et de fortes tempêtes. L'Impératrice ne recevant depuis longtemps aucune nouvelle sur le sort des voyageurs, commença à craindre pour eux. À la fin, on reçut la nouvelle de l'arrivée de la frégate à Bergen, le 10 septembre (nouveau style). Un vaisseau de guerre danois, le Mars, commandé par le capitaine Lutchen, depuis longtemps l'attendait à Bergen. Le lendemain la famille de Brunswick fut remise au grand bailli de Bergen, M. Schulen, et là, elle fut embarquée à bord du vaisseau de guerre. Les vents contraires arrêtèrent le vaisseau à 4 milles de Bergen jusqu'au 23 septembre. Après quoi il eut encore à lutter contre une violente tempête qui dura sans interruption du 30 septembre au 1er octobre à; ce ne fut que le 5 octobre qu'on put arriver à Hunstrand. Les princes et princesses de Brunswick fatigués de cette navigation difficile, furent mis à terre à Aalbourg où ils restèrent trois jours pour se reposer; et ils arrivèrent à Gorsens le 13 octobre en santé et fort gais, bénissant l'Impératrice qui leur donnait une nouvelle existence. Pendant ce temps-là, la frégate l'Étoile polaire resta à Bergen pour y passer l'hiver. En arrivant à ce port, la princesse Élisabeth avait distribué 3,000 roubles pris sur les 500 ducats à elle alloués. Des 3,000 roubles, le capitaine Assenief en reçut 1,000.
Le choix des personnes qui accompagnèrent la famille de Brunswick fut heureux. Le colonel Ziegler et la veuve Lilienfeld, quoiqu'ils n'eussent demeuré que fort peu de temps avec les princes et princesses, surent cependant se concilier leur amitié et leur respect. La plus jeune des princesses fut particulièrement contente des attentions de Ziegler, etc…
XII.
L'Impératrice et la Reine continuèrent longtemps leur correspondance touchant la famille de Brunswick. La Reine parlait toujours avec satisfaction de la conduite des princes et des princesses, et faisait l'éloge de leur bon cœur et de leur politesse.
La Reine voulut voir les princes et les princesses; elle en écrivit à
Catherine. L'Impératrice laissa cela à son choix; mais dans la suite la
Reine changea d'avis, quoique les princes eux-mêmes désirassent lui être
présentés.
Entre autres choses la Reine demanda à l'Impératrice comment il fallait se conduire avec les princes et les princesses, et quel titre on pouvait leur donner. L'Impératrice répondit que depuis le moment où ils étaient sous la protection de la cour de Danemark, elle les regardait comme des personnes indépendantes, d'une naissance illustre; que pour la conduite à tenir avec eux, il fallait penser à leur tranquillité et à leur bonheur; que leur simplicité d'esprit, leur manque d'éducation et d'autres circonstances leur interdisaient de vivre dans le grand monde; qu'elle pensait qu'une vie éloignée de tous les tracas de la cour était ce qui leur convenait le mieux. Quant aux titres, l'Impératrice pensait que rien ne pouvait les priver d'un titre que Dieu leur avait donné et qui leur appartenait par droit de naissance; c'est-à-dire le titre de princes et de princesses de la maison de Brunswick.
La Reine trouva qu'il serait mieux d'éloigner des princes et des princesses leurs domestiques russes pour qu'ils s'accoutumassent plus vite à leur nouveau genre de vie. L'Impératrice y consentit; tous les Russes, excepté le confesseur et les chantres, retournèrent en Russie, et auprès de la famille de Brunswick il y eut alors une petite cour composée de Danois seulement. Ce changement fut amer et pénible pour les princes et les princesses, et ce n'est pas étonnant: ils avaient grandi et avaient été élevés dans le même lieu que leurs serviteurs; en eux ils étaient accoutumés à voir leurs seuls compagnons et confidents. Les princes et les princesses en se séparant d'eux versèrent quelques larmes de regret, même sur Cholmogory.