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[10: Voir lettre dix-neuvième, vol. III.]

[11: Prêtres grecs.]

[12: On fait une chaussée de Moscou à Nijni: elle sera terminée bientôt.]

[13: Lire l'ukase sur les monnaies, extrait du Journal de Pétersbourg du 23 juillet 1839, à la fin de cette lettre.]

[14: J'ai appris plus tard à Pétersbourg que des ordres avaient été donnés pour qu'on me laissât arriver jusqu'à Borodino où j'étais attendu.]

[15: Assemblée populaire.]

[16: Voyez la lettre dix-huitième, histoire de Thelenef.]

[17: Pour ne pas laisser le lecteur dans l'ignorance où je suis resté près de six mois sur le sort du prisonnier de Moscou, j'insère ici ce que je n'ai appris que depuis mon retour en France, touchant l'emprisonnement de M. Pernet et sa délivrance.

Un jour, vers la fin de l'hiver de 1840, en m'annonce qu'un inconnu est à ma porte et désire me parler; je fais demander son nom; il répond qu'il ne le dira qu'à moi-même. Je refuse de le recevoir; il insiste; je refuse de nouveau. Enfin renouvelant ses instances, il m'écrit deux mots non signés, pour me dire que je ne puis me dispenser d'écouter un homme qui me doit la vie et qui ne désire que me remercier.

Ce langage me paraît nouveau; je donne l'ordre de faire monter l'inconnu. En entrant dans ma chambre il me dit: «Monsieur, je n'ai appris votre adresse qu'hier, et aujourd'hui j'accours chez vous: je m'appelle Pernet, et je viens vous exprimer ma reconnaissance, car on m'a dit à Pétersbourg que c'est à vous que j'ai dû la liberté, et par conséquent la vie.»

Après la première émotion que devait me causer un tel début, je me mis à observer M. Pernet; c'est un des types de cette classe nombreuse de jeunes Français qui ont l'aspect et l'esprit des hommes du Midi; il a les yeux et les cheveux noirs, les joues creuses, le teint d'une pâleur unie; il est petit, maigre, grêle, et il paraît souffrant, mais plutôt moralement que physiquement. Il se trouve que je connais des personnes de sa famille établies en Savoie, personnes qui sont des plus recommandables de ce pays d'honnêtes gens. Il me dit qu'il était avocat, et il me raconta qu'on l'avait retenu dans la prison de Moscou pendant trois semaines, dont quatre jours au cachot. Vous allez voir, d'après son récit, de quelle manière un prisonnier est traité dans ce séjour. Mon imagination n'avait pas approché de la réalité.

Les deux premiers jours on l'a laissé sans nourriture; jugez de ses angoisses! Personne ne l'interrogeait, on le laissait seul; il crut pendant quarante-huit heures qu'il était destiné à mourir de faim, ignoré dans sa prison. L'unique bruit qu'il entendit, c'était le retentissement des coups de verges dont on frappait, depuis cinq heures du matin jusqu'au soir, les malheureux esclaves envoyés par leurs maîtres dans cette maison pour y recevoir correction. Ajoutez à ce bruit affreux les sanglots, les pleurs, les hurlements des victimes, les menaces, les imprécations des bourreaux, et vous aurez une légère idée du traitement moral auquel notre malheureux compatriote fut soumis pendant quatre mortelles journées; et toujours sans savoir par quel motif.

Après avoir ainsi pénétré bien malgré lui dans le profond mystère des prisons russes, il se crut à trop juste titre condamné à y finir ses jours, se disant non sans fondement: «Si l'on avait l'intention de me relâcher, ce n'est pas ici que m'auraient enfermé d'abord des hommes qui ne craignent rien tant que de voir divulguer le secret de leur barbarie.»

Une mince et légère cloison séparait seule son étroit cachot de la cour intérieure où se faisaient les exécutions.

Ces verges qui depuis l'adoucissement des mœurs remplacent le plus ordinairement le knout, de mongolique mémoire, sont un roseau fendu en trois; instrument qui enlève la peau à chaque coup; au quinzième, le patient perd presque toujours la force de crier: alors sa voix affaiblie ne peut plus faire entendre qu'un gémissement sourd et prolongé: cet horrible râle des suppliciés perçait le cœur du prisonnier et lui présageait un sort qu'il n'osait envisager.

M. Pernet entend le russe; d'abord il assista sans les voir à bien des tortures ignorées; c'étaient deux jeunes filles, ouvrières chez une modiste en vogue, à Moscou: on fustigeait ces malheureuses sous les yeux mêmes de leur maîtresse; celle-ci leur reprochait d'avoir des amants et de s'être oubliées jusqu'à les amener dans sa maison… la maison d'une marchande de modes!!!… quelle énormité! Cependant cette mégère exhortait les bourreaux à frapper plus fort; une des jeunes filles demandait grâce; on vit qu'elle allait mourir, qu'elle était en sang; n'importe!… elle avait poussé l'audace jusqu'à dire qu'elle était moins coupable que sa maîtresse; alors celle-ci redoublait de sévérité. M. Pernet m'assura, en ajoutant toutefois qu'il pensait bien que je douterais de son assertion, que chacune de ces malheureuses reçut, à plusieurs reprises, cent quatre-vingts coups de verges. «J'ai trop souffert à les compter, me dit le prisonnier, pour m'être trompé sur le chiffre!!»

On sent la démence s'approcher quand on assiste à de telles horreurs et qu'on ne peut rien faire pour secourir les victimes.

Ensuite c'était des paysans envoyés là par l'intendant de quelque seigneur; c'était un serf, domestique dans la ville, puni à la sollicitation de son maître; rien que vengeances atroces, qu'iniquités, que désespoirs ignorés[18]. Le malheureux prisonnier aspirait à l'obscurité de la nuit parce que l'heure des ténèbres amenait aussi le silence: mais alors sa pensée devenait un fer rouge: pourtant il préférait encore les atroces douleurs de l'imagination aux souffrances que lui causaient les trop réels tourments des malfaiteurs ou des victimes amenées près de lui durant le jour. Les vrais malheureux ne redoutent pas la pensée autant que le fait. Les rêveurs bien couchés et bien nourris prétendent seuls que les peines qu'on se figure passent celles qu'on éprouve.

Enfin après quatre fois vingt-quatre heures d'un supplice dont l'horreur passe, je crois, tous les efforts que nous faisons pour nous le figurer, M. Pernet fut tiré de son cachot, toujours sans explication, et transféré dans une autre partie de la maison.

De là il écrivit à M. de Barante par le général *** sur l'amitié duquel il croyait pouvoir compter.

La lettre n'est point parvenue à son adresse, et quand plus tard celui qui l'avait écrite demanda l'explication de cette infidélité, le général s'excusa par des subterfuges, et finit en jurant à M. Pernet sur l'Évangile que sa lettre n'avait pas été remise au ministre de la police, et qu'elle ne le serait jamais! Tel fut le plus grand effort de dévouement que le prisonnier put obtenir de son ami. Voilà ce que deviennent les affections humaines en passant sous le joug du despotisme.

Trois semaines s'écoulèrent dans une inquiétude toujours croissante, car il semblait que tout était à redouter, et que rien n'était à espérer.

Au bout de ce temps, qui avait paru une éternité à M. Pernet, il fut relâché sans autre forme de procès et sans jamais avoir pu savoir la cause de son emprisonnement.

Les questions réitérées adressées par lui au directeur de la police, à Moscou, n'ont rien éclairci; on lui dit que son ambassadeur l'avait réclamé et on lui intima simplement l'ordre de quitter la Russie: il demanda et obtint la permission de prendre la route de Pétersbourg.

Il désirait remercier l'ambassadeur de France de la liberté qu'il lui devait. Il désirait aussi obtenir quelques éclaircissements sur la cause du traitement qu'il venait de subir. M. de Barante tâcha, mais en vain, de le détourner du projet d'aller s'expliquer chez M. de Benkendorf, le ministre de la police Impériale. Le prisonnier délivré demanda une audience; elle lui fut accordée. Il dit au ministre qu'ignorant la cause de la peine qu'il avait subie, il désirait savoir son crime avant de quitter la Russie.