Выбрать главу

Kelly avait l’air d’attirer les garçons bien davantage que Jena. À la fac, il y avait toujours des normaux qui tournaient autour d’elle ; la moitié de l’équipe de football, à tout le moins, encore qu’elle ne leur manifestât pas le moindre intérêt. Bon, peut-être avait-elle un faible pour les mutants. Ça arrivait parfois. Mélanie se rappela le garçon au visage couvert de taches de rousseur qu’elle avait eu sur les talons pendant six mois alors qu’elle était en seconde année. Les groupies de mutants, comme elle les appelait. Après tout, son frère était peut-être un groupie de normales. En tout cas, il était fou de risquer le blâme du clan simplement pour sortir avec une normale, même aussi attirante que Kelly McLeod.

— Je peux te ramener ? demanda Kelly.

— Oui. Ma cousine a dû m’oublier en route. J’espère que ça ne te dérange pas.

— Pas de problème. Viens.

Kelly conduisit Mélanie vers un glisseur gris argent.

— Très beau, dit la jeune mutante d’un ton envieux. Il est à toi ?

— À ma mère. Monte, dit Kelly en ouvrant la portière.

Puis elle appuya sur le démarreur, avec pour seul résultat un grondement étouffé. Elle fit une deuxième tentative. Le moteur se refusa à partir.

— Zut !

Kelly ouvrit le capot de l’intérieur et sortit du glisseur. Un instant plus tard, elle revenait, la main pleine de fils orange, la mine sinistre.

— Que s’est-il passé ? demanda Mélanie.

— Les fils du démarreur ont été sectionnés, répondit Kelly. Je parie que c’est cette garce de Tiff. Je ne pensais pas qu’elle aurait eu le temps.

Elle alla à l’arrière du glisseur et se mit à fouiller dans le coffre. Mélanie la rejoignit.

— Que va-t-on faire, maintenant ?

Elle se sentait impuissante. Elle n’avait jamais compris grand-chose à la mécanique.

— Je crois que je peux bricoler un raccord de fortune avec le fil que mon père garde dans sa trousse à outils, dit Kelly en sortant quelque chose du coffre et en repartant aussitôt vers l’avant du véhicule. Il en laisse toujours en dépannage dans le glisseur, au cas où. Là, tiens-moi ça, fit-elle en tendant une lampe de poche à Mélanie. Éclaire-moi ici.

Penchée sur le moteur, elle entreprit un rafistolage sur une pièce qui se présentait comme une double rangée de fiches métalliques, autour desquelles elle passa un fil vert tout en resserrant de temps à autre une bobine à l’aide d’un petit tournevis.

— Lève un peu la lampe, veux-tu ?

Mélanie s’empressa d’obtempérer.

Avec un grognement, Kelly se redressa et s’essuya les mains à un chiffon.

— Là. Espérons que ça va marcher.

Elle se pencha au-dessus du siège du chauffeur et appuya sur le bouton du démarreur. Durant quelques secondes, rien ne se produisit. Puis, avec un grincement plaintif, le moteur se réveilla. Soulagées, les filles échangèrent un sourire. Kelly alla remettre les outils dans le coffre.

— Où as-tu appris ça ? demanda Mélanie stupéfaite.

— Mon père est un cinglé de la mécanique, répondit Kelly. Ça vient sans doute du temps où il était pilote. Je l’ai embêté jusqu’à ce qu’il m’apprenne à bricoler. (Kelly engagea le glisseur vers la sortie du parking.) Michael trouve ça drôle que je sache manier les outils.

— Ça fait combien de temps que vous sortez ensemble ?

— Deux mois environ. Depuis que vous êtes revenus de ce rassemblement de vacances ou je ne sais quoi.

— Alors, c’est que tu y tiens vraiment, avança Mélanie.

— Oui, j’y tiens.

Kelly arrêta le glisseur à une intersection, le temps que le feu passe au vert.

— On dirait que tu n’approuves pas, ajouta-t-elle en regardant Mélanie.

Celle-ci eut un instant d’hésitation. Certes, ce n’était un secret pour personne que les mutants restaient entre eux, mais elle n’avait pas spécialement envie de révéler leurs usages à une étrangère. Toutefois, dès lors que Kelly était prête à s’engager avec Michael, autant qu’elle sache la vérité.

— Pour moi, il n’y a pas de problème. Mon frère a l’air heureux. Mais mon père aurait une attaque s’il apprenait ce qu’il en est.

— Pourquoi ?

— Les mutants ne sont pas censés fréquenter des gens qui n’appartiennent pas au clan.

Kelly lui lança un regard ébahi.

— Tu plaisantes ?

— Non. On tolère d’avoir des amis non mutants. À la rigueur. Mais c’est tout. Les mariages ne se font qu’entre personnes du clan. Nous essayons de conserver et protéger nos membres au cas où les choses tourneraient mal à nouveau, comme dans les années 90.

— Un camp retranché ?

— En quelque sorte.

Le feu passa au vert.

— Et si tu n’épouses pas quelqu’un du clan ?

— Tu risques le blâme. Ou pire.

— Le blâme ? s’esclaffa Kelly. Qu’est-ce que ça signifie ? On vous tape sur les doigts ? Ou on vous envoie au lit sans dîner ?

— Il n’y a pas de quoi rire, protesta Mélanie. C’est dur. Les membres qui font l’objet d’un blâme sont bannis du clan.

— Difficile à imaginer, commenta Kelly en écartant d’une pichenette une mèche de ses yeux. Ça fait penser à un culte du temps jadis.

— Pour toi, peut-être, dit Mélanie d’un ton froid. Mais c’est ainsi que ça se passe chez nous. Et si tu tiens à voir mon frère, il vaudrait mieux que tu sois au fait des risques qu’il prend pour toi.

Un moment Kelly garda le silence, concentrant son attention sur la route zébrée par les lumières rouges, jaunes, vertes, des glisseurs qui les doublaient.

— Merci pour le conseil, dit-elle doucement. Je ne voulais pas être désagréable. Ni me moquer.

— Laisse tomber. Et tes parents, qu’est-ce qu’ils en disent que tu fréquentes mon frère ?

Kelly haussa les épaules.

— Ça ne les rend pas fous de joie mais ils font avec. Je sais que Michael plaît bien à ma mère. Mon père, lui, reste poli.

— Ça te permet au moins d’amener Michael chez toi et de le leur présenter. Mais je doute que tu aies l’occasion de rencontrer mes parents. Et à mon avis, tu ne serais pas à l’aise avec mon père.

— Eh bien, moi, mes parents ont bien aimé la séance de lévitation que leur a faite Michael. J’ai dû le supplier pour qu’il s’exécute. Et toi, c’est quoi, ton don ?

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Quel pouvoir as-tu en tant que mutante ?

— Aucun. Je suis une infirme, répondit Mélanie en s’enfonçant dans son siège et en essayant de dissimuler son amertume.

— Ah bon ? J’ignorais qu’il existait des infirmes chez les mutants.

— Oui. Ça arrive parfois. Je suis la seule de la famille à ne pas posséder le moindre milligramme de talent. Difficile à croire, non ? Mes parents font tout ce qu’ils peuvent pour accepter cela, mais je sais qu’ils sont déçus. Quelquefois, je me dis que je ne suis pas vraiment une mutante. Peut-être m’a-t-on échangée à la naissance avec un bébé mutant, à l’hôpital.

— Dans ce cas-là, d’où, tiendrais-tu ces yeux ?

Mélanie laissa échapper un soupir.

— Tu vois, même mes théories sont dysfonctionnelles.

Avec un petit rire de sympathie, Kelly s’arrêta devant la maison de Mélanie. Elle coupa le moteur et regarda la jeune fille.

— Écoute, j’apprécie beaucoup que tu me parles de ça, Mélanie. Tu sais, je tiens vraiment à ton frère. Et, en dépit de tout ce que tu m’as dit, j’espère que nous serons amies.

— Ou-oui. Bien sûr, si tu veux. (Hochement de tête de Kelly.) Merci de m’avoir ramenée.

Mélanie sortit du glisseur dont elle referma la portière. Elle attendit que Kelly eût reculé dans l’allée, les phares jaunes ouvrant un sentier à travers l’épaisseur de la brume. Comme c’est étrange, songea-t-elle, de s’être fait une nouvelle amie à cause d’une bagarre. Et en plus une non-mutante.