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— Tu es au courant pour Seth ? demanda-t-elle.

— Non. Que s’est-il passé ?

— Une lettre piégée destinée au sénateur a explosé plus tôt que prévu. Ça aurait fait de sacrés dégâts ici. Au lieu de quoi, ça n’a fait qu’amocher le pauvre Seth. La salle du courrier n’a pas subi trop de dommages. Ces parois d’acier résisteraient à la charge d’une petite ogive nucléaire.

Consciente qu’elle était restée la bouche ouverte, Andie la referma et déglutit non sans mal.

— Mon Dieu ! Je croyais qu’ils avaient des détecteurs de métal. Et les rayons X ?

La préposée haussa les épaules.

— Quelqu’un a dû faire travailler son imagination.

— Où est Seth ?

— On l’a emmené chez les Sœurs de la Miséricorde. Apparemment sa main pourra être sauvée.

— Quand est-ce arrivé ?

— Ce matin. (Une grimace.) Alors, attention avec ces lettres !

La jeune fille franchit la porte sans attendre, bondit sur le chariot et disparut. Andie resta le regard fixé sur l’entrée, perdue dans ses pensées. Même avec les techniques de régénération, Seth ne retrouverait probablement jamais le plein usage de sa main. Lui qui était – ou avait été – un peintre si doué, songea-t-elle tristement. Elle possédait deux de ses lavis acryliques, rouge et bleu, accrochés dans son appartement. Pauvre Seth ! Victime des ennemis des mutants ? Ou des mutants eux-mêmes, désireux de se faire une place dans l’arène publique ?

Et elle, que faisait-elle ici ? Serait-elle la prochaine à ouvrir une lettre piégée ? Ou à recevoir une balle destinée à son patron ? Elle était donc folle ? N’aurait-elle pas dû suivre les conseils de sa mère et après ses études de droit devenir avocate ?

Non. Elle avait pris la bonne décision. Après tout, elle s’était suffisamment démenée pour obtenir ce poste. Travailler avec le premier sénateur mutant de l’histoire du Congrès était un honneur. La cause de l’intégration lui tenait à cœur. Et quelle meilleure place espérer que celle qu’elle occupait, bras droit de l’honorable Eleanor Jacobsen ? Le sénateur la fascinait : moitié sainte, moitié guerrière, et totalement énigmatique derrière ses yeux dorés. Andie vouait à Jacobsen une admiration qui touchait à l’adulation. La jeune femme se secoua pour échapper à son abattement momentané et enfonça le bouton de l’interphone. Il fallait mettre Jacobsen au courant de cette bombe.

— Cette échéance est absolument inacceptable, monsieur McLeod, retentit la voix de James Ryton à travers la salle de conférences. Vous savez bien qu’on ne peut pas fabriquer un générateur de Brayton à cycle fermé et en préparer le lancement en moins de six mois. Impossible.

Malgré son agacement, Bill McLeod resta impassible. Inutile pour le moment de saboter les négociations. Il avait passé des heures à monter cette affaire. Il n’oubliait pas quelle place de choix représentait son travail de conseiller à la N.A.S.A. ; seuls quelques pilotes de l’armée de l’Air à la retraite pouvaient se vanter de fréquenter le genre de relations qui étaient les siennes. Pourtant, que n’aurait-il donné pour être chez lui bien peinard, ou sur la piste, à bricoler son antique Cessna ultraléger ! Le fuselage orange avait besoin d’un bon ponçage. Il avala une gorgée de café froid et s’essuya la moustache avec une serviette, histoire de se donner le temps de réfléchir.

Ryton était un type dur en affaires. D’autant que ce petit morveux de mutant ne contribuait pas à faire avancer les choses. Comme s’il lui accordait une faveur en l’honorant de sa présence à la réunion. Il est vrai que le groupe Ryton possédait les ingénieurs des transmissions les plus compétents de cette partie du monde. McLeod en connaissait quelques-uns de meilleurs à Leningrad et Tokyo, mais ceux de Ryton étaient plus près. Il devait le convaincre de participer au programme de contrôle solaire ; ou plutôt, disons que le gouvernement devait le convaincre. Et ça, Ryton le savait aussi.

— Eh bien, monsieur Ryton, que diriez-vous de neuf mois ?

McLeod attendit la réponse. Un silence plana entre les deux hommes qui se défiaient d’un regard qui voulait rester poli.

— Quinze.

— Douze ?

— Entendu.

McLeod se permit un soupir de soulagement. Ces foutus règlements officiels. Depuis que le Groenland avait été secoué, la N.A.S.A. avait pris tout un luxe de précautions en matière de sécurité. N’eût été la station lunaire franco-russe, le programme de collecteur solaire aurait sans doute été complètement abandonné. McLeod n’ignorait pas qu’après l’épisode du Groenland, les cadres de la N.A.S.A. avaient tous adressé une prière muette de remerciement à la base lunaire.

Néanmoins, en dépit des monceaux de paperasses et autres procédures administratives qui ne cessaient de se multiplier, la N.A.S.A. avait besoin que le générateur fût prêt à être lancé d’ici à neuf mois. Dieu merci, Ryton avait la réputation d’achever le travail très à l’avance des prévisions. Ce qui, avec les retards enregistrés et la controverse sur la station lunaire, faisait de ce délai de douze mois un plan très réaliste.

L’accord conclu, McLeod serra la main du mutant qui parut se rétracter à ce contact. Une paume chaude, presque brûlante, mais sèche. Bizarre, pensa McLeod, ils ont l’air si froids avec leurs yeux dorés et leur peau couleur de miel, mais Dieu sait à quelle température est leur corps. Difficile de ne pas les prendre pour des monstres. Un vocable considéré aujourd’hui de très mauvais goût, et McLeod le savait. Mais étaient-ils réellement humains ? Et avait-il vraiment envie que sa fille continue à fréquenter un des leurs ?

Kelly McLeod laissa l’aéroglisseur dans l’allée et passa son chargeur de disques sur l’épaule, les sangles ondulant contre le plastique rouge de sa parka. Les lumières qui se détachaient sur le bleu du crépuscule donnaient au jardin son ambiance chaleureuse et accueillante et leurs reflets ambrés baignaient la couche de neige qui coiffait les haies.

La jeune fille ouvrit la porte, posa la cartouche par terre dans le vestibule et suspendit sa veste à la patère. Elle aperçut sa mère assise sur le canapé, occupée à feuilleter un magazine sur l’écran du salon. Un verre de vin rosé, à moitié vide, était posé sur la table à côté d’elle. L’arôme du vermouth se mêlait aux chaudes odeurs de cuisine.

Pourvu que ce ne soit que le premier martini de la soirée ! D’ordinaire, Joanna McLeod ne commençait pas à boire avant que le soleil ne fût couché. Une habitude qu’elle avait prise depuis qu’ils étaient revenus de Berlin l’année dernière. D’Allemagne au New Jersey. Quelle déchéance ! Kelly ne reprochait pas à sa mère de boire ; qu’aurait-elle pu faire d’autre ? Pour Kelly, la banlieue n’était qu’une immense pelouse où on lavait les voitures, un campus où on prenait des leçons de natation et où l’ordinateur régnait en maître. Le rêve américain. Ses rêves à elle étaient ailleurs. Mais où ? Finalement elle n’en savait rien.

— Salut, lança-t-elle, déjà prête à fuir vers l’escalier moquetté de brun qui conduisait à sa chambre.

— Oh, Kelly ! (Sa mère détourna les yeux de l’écran, sourit, puis consulta sa montre d’un air consterné.) Mon Dieu, quelle heure est-il ?

— Pas de panique. Papa doit être encore à l’aérodrome, à jouer dans le hangar avec son U.L.M.

— Tu as raison. Il avait une réunion à une heure, mais elle n’a pas pu durer si tard. Qu’en penses-tu ? Depuis qu’il a pris sa retraite de l’armée de l’Air, quand il part négocier ces contrats gouvernementaux, j’ai l’impression que c’est plus pour lui un passe-temps qu’un véritable travail.