Michael attira Jena vers son visage et lui ferma la bouche d’un baiser pour l’empêcher de parler. Elle ouvrit les jambes et, d’un coup de reins, il se logea en elle ; dans un va-et-vient frénétique, il entendit un rugissement sourdre en lui tandis qu’il montait irrésistiblement vers l’orgasme. Une pensée lui traversa l’esprit. Elle se trompait : demain, elle serait sortie de sa vie. Il tenta de retenir dans sa tête l’image de Kelly, mais celle-ci se brouilla, s’estompa, et lorsqu’il jouit en lâchant un cri rauque, un parmi la dizaine de Michael prisonniers d’une toile ensorcelante, haletants et secoués de spasmes, il ne sut pas quelle fille il appelait.
L’écran bourdonna, mais Andie n’y prêta pas attention. Elle voulait terminer ses notes concernant la recherche d’agents mutagènes au Brésil, notes qu’elle préparait pour Stephen en vue du rapport du sous-comité.
L’appel reprit.
— Caryl ?
Pas de réponse. Sa secrétaire s’était sans doute accordé cinq minutes de pause.
Andie lâcha un juron et pressa ce qu’elle crut être la touche du répondeur automatique ; elle se trompa et enfonça la touche réponse. L’écran s’alluma sur le visage de Karim qui la regardait.
— Andie ?
— Oh, salut, Karim. Je suis vraiment très occupée en ce moment…
— Je vous crois volontiers. Mais c’est important.
Andie poussa un soupir qu’elle s’efforça de faire paraître moins exaspéré qu’il n’était en réalité. La dernière chose qu’elle souhaitait en ce moment, c’était de bavarder avec Karim.
— D’accord. Qu’est-ce qu’il y a ?
— Pourquoi vous ne me dites rien ?
— Qu’entendez-vous par là ?
Karim fronça les sourcils.
— Écoutez, je préférerais discuter de cela en privé. Depuis que votre nouveau patron est là, c’a été non seulement difficile mais quasiment impossible. Est-ce qu’on peut déjeuner ensemble ? Boire un verre ? Se voir cinq minutes dans le couloir ?
— Karim, j’ai ces notes à terminer.
— Je vous en prie, Andie.
Il semblait si vulnérable qu’elle ne se sentit pas le cœur de refuser. Elle jeta un œil sur son emploi du temps. Elle pourrait se libérer pendant que Stephen consulterait ses notes.
— D’ici trois quarts d’heure, ça vous va ?
— Parfait. Chez Henry.
— Je vous y rejoins.
Une heure plus tard, Andie déboula dans le café. La rédaction de ses notes lui avait pris plus de temps que prévu. La salle principale était à moitié remplie, bien que l’heure du déjeuner fût passée depuis longtemps. Andie se sentait moite et assez peu à son aise lorsqu’elle s’installa sur le siège, en face de Karim. Celui-ci l’accueillit plutôt froidement.
— Je pensais que vous ne viendriez plus.
— Désolée d’être en retard.
Il lui tendit une carte.
— Vous voulez manger quelque chose ?
— Merci. J’ai pris un sandwich au bureau.
— Un verre ?
— Un café, ça ira, dit-elle en composant la commande au robobar.
Karim resta un moment à la dévisager. Comme le silence s’éternisait, elle commença à éprouver un certain embarras.
— Est-ce que j’ai du soja entre les dents ?
— Non. Je suis simplement en train de me demander ce qui se passe.
— Que voulez-vous dire ?
Karim se pencha vers elle, le regard sévère.
— Andie, en trois semaines, je ne vous ai pas vue une seule fois. À peine si je vous ai parlé. Vous ne trouvez pas ça bizarre ?
D’une main nerveuse, elle joua avec une mèche de cheveux.
— C’est-à-dire, j’ai été très occupée…
— Des conneries. Du temps de Jacobsen, vous n’étiez pas occupée au point de ne pas avoir un instant à me consacrer. Mais que s’amène une belle gueule de mutant, soudain, je suis un étranger.
Andie eut un sourire crispé.
— Karim, il me semble que vous êtes jaloux.
— Peut-être. Je croyais qu’il s’était passé quelque chose entre nous, quelque chose de plutôt bien. Après Rio, j’ai cru…
— Allons, Karim. C’était Rio. Les étoiles, la musique, tout ça met un peu la tête à l’envers. On s’est bien amusés. C’était très agréable. Mais maintenant, on est revenus à Washington.
— Je ne vois pas les choses comme ça.
Andie chercha ses mots.
— Euh, Karim, vous savez bien qu’on ne peut pas se permettre de prendre au sérieux ce genre de choses. Nous sommes l’un et l’autre beaucoup trop occupés.
Il se renfrogna.
— Je croyais qu’on était d’accord tous les deux sur les dangers qu’il y a à prendre son travail trop au sérieux. Surtout après la mort de Jacobsen.
— Eh bien, je me suis rendu compte que le travail aide à cicatriser. Et mon patron ne me lâche pas.
— Pour ça, j’en suis bien persuadé.
Le rouge monta aux joues de la jeune femme.
— Qu’est-ce que cette phrase est censée signifier ?
Karim prit un air dégoûté.
— Je ne suis pas naïf, Andie. N’importe qui peut voir que vous avez un faible pour votre patron. Et tout le monde sait que ça travaille beaucoup, une secrétaire entichée de son patron. (Il s’interrompit pour boire une gorgée de Campari.) Oui, Jeffers est certainement très occupé. J’ai parcouru son projet de loi concernant l’Union des Mutants dans le rapport du Congrès. Il ne perd pas de temps, hein ? Établir une motion de soutien à l’abrogation du Principe d’Équité. La soumettre à l’examen du sous-comité des Approbations. Il fait des ronds de jambe au sénateur Sulzberger, le leader de la majorité, et même au vice-président.
— Quel mal y a-t-il à ça ?
— Aucun, surtout quand on est un requin qui voit un certain profit à détourner des fonds pour servir des intérêts particuliers.
— Lesquels, par exemple ?
— Les droits des mutants.
Andie se sentit à nouveau transpirer.
— Là, je proteste. On dirait du sectarisme antimutant. Stephen n’est pas un requin. Il est simplement plus efficace. Plus engagé. S’il travaille tant, c’est parce que sa tâche lui tient d’autant plus à cœur.
Karim ne put retenir un sifflement.
— Vous commencez à vous exprimer comme vos communiqués de presse.
— Ne soyez pas cynique, Karim.
— Surtout à propos de Stephen, hein ? (Le ton était glacial.) Vous avez bien changé, Andie. Je vous croyais plus lucide. Désolé de vous avoir fait perdre votre temps.
Il se leva.
— Karim ! Attendez !
Andie se mordit la lèvre tandis qu’il s’éloignait. Il se comportait comme un enfant en accordant à une petite folie passagère aux couleurs de l’été plus d’importance qu’elle n’en avait jamais eu. Elle refoula la voix insistante lui disant qu’il lui manquait déjà. D’ailleurs, Jeffers allait, d’ici une demi-heure, prendre la parole au Sénat à propos de l’enquête sur le meurtre de Jacobsen.
Elle n’avait pas le temps de s’occuper des états d’âme de Karim.
Sous le soleil de cette fin d’après-midi, elle se hâta d’aller rejoindre sa place sur les bancs de la Chambre. Elle arriva deux minutes avant l’intervention qui l’intéressait. Elle en profita pour observer le sénateur Sulzberger. Celui-ci clouait le bec à un personnage qui avait dû s’étendre un peu trop longtemps sur son opposition au projet de loi 173, loi qui prévoyait de protéger la base martienne contre toute exploitation commerciale. Sa mission accomplie, Sulzberger se rassit.
Puis Andie attendit impatiemment que Jeffers, dans un costume gris fait sur mesure, monte sur le podium. Il installa ses notes et jeta un regard sur la salle.