Les scrupules de la jeune femme disparurent comme par enchantement. Elle tomba dans ses bras sans se faire prier, comme si elle avait déjà fait cela cent fois.
Une fois qu’ils furent au lit, Andie constata avec soulagement qu’il n’avait rien que de très normal, qu’il fonctionnait comme tout être humain mâle. Rien d’incongru, Dieu merci, question sexe. La jeune femme sentit les muscles onduler sous la peau hâlée tandis qu’il s’activait sur elle, en elle. C’était la première fois qu’elle approchait un mutant de si près. Il était chaud, comme si la température de son corps était plus élevée que la normale. Les yeux dorés, les yeux de lynx, la tenaient sous leur pouvoir hypnotique. Était-elle sa proie ? Et puis après ? Elle n’avait envie que d’une chose pour l’instant : avoir Stephen Jeffers dans son lit. Elle laissa échapper un faible gémissement. Puis d’autres, de plus en plus forts, au fur et à mesure qu’elle commençait à jouir.
16
Michael fendait l’eau claire de la piscine, bras au corps, jambes immobiles, laissant derrière lui un mince sillage argenté. Sur son passage, d’autres nageurs lui jetaient des regards d’envie. Cela le laissait indifférent. Ce qu’il y avait de bien avec la télékinésie, c’était cette faculté de se propulser dans l’eau sans le moindre effort. Naturellement, ce don lui barrait le chemin des compétitions. Le fameux Principe d’Équité interdisait toute participation des mutants aux manifestations sportives. Mais cela n’avait pas d’importance. Se mouvoir dans l’eau était une sensation merveilleuse et il se contentait de ce simple plaisir des sens. Pourquoi chercher à humilier quelques pauvres normaux qui battaient des bras et des jambes ? S’ils voulaient maintenir leurs joutes stupides dans cette « pureté » qui leur faisait oublier leurs propres limites, grand bien leur fasse.
Il se tourna sur le dos et glissa en direction de Kelly. Pour une normale, elle était fort gracieuse. Il aimait la façon dont ses cheveux noirs flottaient derrière elle, et aussi son costume de bain bleu qui collait à elle comme une seconde peau.
— Tu as le temps de faire encore deux longueurs ? demanda-t-elle.
Michael consulta l’horloge, soudain saisi par un sentiment de culpabilité. Il avait promis à Jena de passer la chercher à la station de la navette à neuf heures. Il était sept heures trente.
— Euh, non. Je dois rentrer de bonne heure. Des contrats à étudier. Mais on peut revenir demain.
— D’accord. De toute façon, je ne travaille qu’à mi-temps.
Elle nagea jusqu’à lui, lui mit les bras autour du cou et l’embrassa tendrement. Une brève excitation s’empara de lui au contact de ce corps en suspension dans l’eau, mais il se dégagea. Kelly fronça les sourcils.
— Quelque chose ne va pas ?
— Non. Simplement j’ai froid.
— Eh bien, sortons.
Elle se dirigea vers l’échelle, puis lui lança un regard espiègle.
— Tu me fais l’ascenseur ?
Usant de son pouvoir télékinésique, il la souleva doucement hors de l’eau et la déposa sur un banc de hêtre. Le surveillant lui décocha un regard mauvais.
Et merde ! jura Michael intérieurement ; et il lévita à son tour, émergeant de la piscine pour atterrir dans une élégante pirouette à côté de Kelly. Celle-ci applaudit et lui jeta une serviette verte.
À nouveau, le surveillant se renfrogna. Michael haussa les épaules. Il ne contrevenait à aucun règlement, tout juste à quelques vieux préjugés en matière de physique. Les mutants avaient démontré dans quelles erreurs se fourvoyaient les physiciens, ce qui provoquait souvent chez eux un ravissement mêlé de stupeur.
— On se retrouve dans un quart d’heure, suggéra Kelly.
Elle agita sa serviette en direction de Michael et se dirigea vers les douches des femmes en ondulant effrontément des hanches. Comment s’était-il débrouillé pour que sa vie devienne si compliquée ? se demandait Michael en regardant la vapeur s’élever de la piscine chauffée.
Lorsqu’il vit qu’un second cadenas avait été posé sur la poignée en métal de la porte de son armoire, la verrouillant ainsi une deuxième fois, il ne fut qu’à moitié surpris. Quand apprendraient-ils que cela ne servait à rien ? Avec un soupir, il concentra toute sa puissance télékinésique sur le cadenas. Une fois accéléré le mouvement des molécules à l’intérieur du métal, celui-ci prit une teinte rosée et commença à fondre, coulant sur le sol avant de se refroidir en une flaque brillante. Il ralentit la course des molécules pour activer le processus. Le zigoto qui avait bricolé son armoire ne retrouverait qu’un tas de ferraille. Michael n’avait jamais cessé durant des années, au lycée et à l’université, de déjouer ainsi les mauvais tours des normaux.
Kelly l’attendait, revêtue d’une parka jaune fluo qui brillait à la lumière de cette fin de journée d’automne. Michael enlaça la jeune fille. Tandis qu’ils s’embrassaient, elle se frotta contre lui de façon suggestive, ce qui éveilla chez Michael un pincement coupable doublé d’une étincelle de désir. À plus ou moins brève échéance, elle finirait par découvrir qu’il sortait avec une autre fille. Déjà, elle soupçonnait quelque chose. Il ne pouvait pas courir le risque de la perdre. Mais comment rompre avec Jena et renoncer ainsi à la magie de leurs étreintes enivrantes ? Il se fit le serment de mettre un terme à leur liaison. Plus tard.
Les arbres projetaient leurs silhouettes squelettiques sur la toile pourpre du ciel. C’était le moment de la journée que Michael préférait. Il aurait voulu prendre Kelly par la main et se promener quelques minutes avec elle dans la fraîcheur du soir. Au lieu de cela, il monta dans son glisseur et la ramena chez elle.
Andie attendit le troisième clignotement du spot sur l’écran pour prendre le message. La face de chien de Bailey apparut. La fatigue creusait des rides autour de sa bouche.
— Belle rousse, j’ai quelque chose sur cette mutante.
— Mélanie Ryton ?
— Elle-même. Ne t’excite pas. Rien que des trucs plutôt décousus.
— C’est-à-dire ?
— Une déclaration de vol de glisseur déposée il y a deux mois par un homme d’affaires du Maryland. (Bailey loucha sur une feuille qui s’étalait sur son bureau.) Un certain Benjamin Cariddi prétend que Mélanie Ryton lui a volé son véhicule.
— Il a bien spécifié son nom ? Comment le connaissait-il ?
— Il déclare sur ce papier que c’était sa petite amie. Ils se sont disputés.
— Avec sa petite amie ?
— Oui. Il dit qu’elle était employée comme danseuse exotique au Star Chamber. (Bailey releva les yeux.) C’est un endroit où je n’enverrais pas mon pire ennemi.
Andie esquissa un sourire glacé.
— C’est peut-être l’endroit où M. Cariddi trouve toutes ses petites amies.
— En tout cas, le glisseur a été retrouvé. Abandonné près d’une station de métro dans une banlieue du Maryland.
— Et ça fait longtemps qu’on n’a pas de nouvelles de la petite ?
— Aucune piste.
— Peux-tu me transmettre une copie de ce rapport ?
— Bien sûr, belle rousse. Tu veux autre chose ?
— Oui. Dis-moi ce que je dois raconter à ses parents.
La navette avait une demi-heure de retard. Michael faisait les cent pas à la station d’embarquement. Un petit groupe de mutants était à la cafétéria, mais il préféra éviter leur compagnie. Se trouver assis en face de mutants était bien la dernière chose dont il avait envie.
C’était leur communauté qui lui valait en ce moment la plupart de ses problèmes.
Il avait déposé Kelly rapidement ; pas au point, toutefois, de n’avoir pas remarqué son regard troublé et déçu à la fois. À cette heure, il aurait dû se trouver avec elle.