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Elle se leva aussitôt et se dirigea vers Jena. Michael crut un instant que sa mère allait frapper la jeune fille, mais Zenora l’arrêta au passage.

— Pas toi, Sue Li, dit-elle d’un ton posé. Laisse-moi communier avec elle. Tu es trop en colère.

D’une main ferme, elle repoussa Sue Li vers son siège. Michael agrippa la table. C’était un mauvais rêve. Forcément.

Zenora prit les mains de Jena. Michael comprit que son esprit venait d’emprunter les sentiers qui suivaient les conduits nerveux dans le corps de l’autre. Allait-elle sentir palpiter une vie au centre de cet organisme ? Une vie nouvelle en train d’éclore dans le nid utérin ?

Zenora laissa retomber ses mains et, s’écartant de la jeune fille, se massa le front.

— C’est exact. Une vie bat dans ce corps. Mais cette vie appartient-elle pour moitié à Michael ? Cela reste encore à prouver.

Le garçon s’effondra sur sa chaise.

— J’en ai la preuve, rétorqua Jena en tendant la main vers l’écran placé près d’elle et en brandissant une disquette verte. Voici les résultats des tests sanguin et chromosomique que j’ai fait faire il y a une semaine. Ils révèlent qui est le père, sans aucune contestation possible.

— Laisse-moi voir, dit James Ryton.

Il prit la disquette et l’inséra dans le lecteur de Zenora. Halden vint le rejoindre et observa attentivement l’écran qui diffusait une lumière bleutée tandis que défilaient les informations.

— Hum. Le fœtus est de sexe féminin, annonça Halden. Et le chromosome d’anormalité est bien là. (Il pianota sur la console.) Le centromère est en position acrocentrique. Pincé, cela ne fait pas de doute.

— Ça ne prouve qu’une chose, à savoir que le père est un mutant, riposta James Ryton d’un ton agressif.

— Ça prouve davantage, James. Tu sais que la localisation du centromère indique la paternité aussi clairement qu’un test sanguin. (Halden se tourna vers Zenora.) Pouvons-nous accéder aux données chromosomiques de Michael par le Réseau ?

— Oui.

— Prends l’écran de la salle qui est disponible.

Michael restait pétrifié sur sa chaise, tel un prisonnier condamné, les yeux rivés sur les images qui construisaient l’échafaud où il allait être pendu.

Le temps s’égrenait à l’infini. Enfin, Zenora hocha la tête d’un air sinistre et leva les yeux de l’écran.

— Ça concorde, Halden. On a une parité dans les allées dominants, dans la localisation et la configuration des centromères, ainsi que dans le type sanguin. (Elle se tourna vers Michael et sur son visage aux contours généreux s’ébaucha un sourire triste.) Je suis désolée.

Tout bruit avait cessé dans la salle où le clan attendait que Halden prononce la sentence. Le Gardien du Livre regarda Michael d’une étrange façon. Comme s’il le voyait pour la première fois. À côté de lui, James Ryton, les yeux perdus dans le vide, n’exprimait aucune émotion. Un muscle tressautait sur la joue de Sue Li. Le silence enveloppait la pièce. Pour finir, Halden se leva.

— Les fiançailles sont accordées, déclara-t-il, tandis que sa bouche prenait un pli bizarre comme si les mots avaient une saveur d’amertume. La nouvelle vie doit être protégée par le clan.

Michael se leva d’un bond.

Épouser Jena ? Pas question. Cela ne faisait pas du tout partie de ses projets. Il avait toute son existence qui l’attendait lorsqu’il retournerait chez lui. Une existence avec Kelly. Il ne pouvait pas épouser Jena. Mais défier le clan signifiait l’expulsion. La honte pour ses parents. Que deviendraient-ils ? Et lui, quel sort l’attendait ?

Dans l’autre cas, s’il renonçait à défier le clan, qu’adviendrait-il de Kelly et de lui ?

— Je ne veux pas l’épouser ! hurla Michael, étonné lui-même de s’entendre dire cela.

Dans sa rage, il balança un coup de pied dans sa chaise et se précipita au-dehors dans la neige, repoussant de son esprit les récriminations mentales que lui adressaient les membres du clan.

Il allait partir pour le Canada. Retrouver Skerry. Ils ne le rattraperaient jamais. Jamais. Il se lança dans une course éperdue, loin du clan, et s’enfonça dans les ténèbres qui se refermèrent sur lui.

Anéantie, Sue Li avait regardé disparaître son fils. Elle n’arrivait plus à renouer les fils de sa pensée. À analyser ses sensations. Son regard se dirigea de l’autre côté de la table, vers Jena. La jeune fille regardait elle aussi vers la porte, comme si elle attendait que Michael réapparaisse d’un moment à l’autre. Puis, tristement, elle baissa les yeux et fixa le sol.

— Bon, je pense que tout est pour le mieux, déclara Zenora.

— Pour le mieux ? rétorqua sèchement Sue Li. Comment sais-tu ce qui est pour le mieux ? Moi, je peux te dire que je n’en sais rien.

— Il va revenir. Ne t’inquiète pas, dit Tela.

— Peut-être vaut-il mieux pour lui qu’il ne revienne pas, explosa Sue Li d’une voix de plus en plus forte.

Le visage blême, Jena la regarda.

Alors Sue Li déversa sa colère sur elle.

— Tu as trompé mon fils, dit-elle. Tu as gagné le droit aux fiançailles et tu pourras peut-être l’y obliger si jamais il revient. Mais je n’oublierai jamais ce que tu as fait, et jamais je ne te pardonnerai.

Des larmes emplirent les yeux de Jena.

Folle de rage, Sue Li chercha son mari du regard.

James Ryton était absorbé devant l’écran, compulsant à nouveau le contenu de la disquette. Sue Li lui trouvait une mine plutôt réjouie. N’était-il pas inquiet pour Michael ?

— Je déclare la question ajournée tant que nous ne connaîtrons pas les véritables intentions de Michael, annonça Halden.

— Mais ça peut prendre des jours, fit remarquer Tela. Et nous devons rentrer chez nous. Reprendre le travail.

Halden s’essuya le front.

— Laissons à Michael le temps de s’habituer. Je lui donne trois jours pour prendre sa décision. Après ce délai, s’il n’est pas revenu, nous le déclarerons hors-la-loi et reprendrons les travaux du conseil.

La plupart des membres du clan, libérés des contraintes de la réunion, s’attardèrent dans la salle principale.

— Sue Li, ne t’en fais pas, il reviendra, dit Tela. Viens chez moi, nous chanterons ensemble.

— Plus tard, peut-être, Tela.

Plusieurs femmes s’étaient rassemblées autour de Jena.

— C’est formidable, dit une cousine.

— C’est pour quand ? demanda une autre.

Lorsqu’elles s’aperçurent que Sue Li les observait, le petit groupe se dirigea vers elle.

— Félicitations, Sue Li, dit la cousine Perel.

— Épargne-moi tes compliments, répliqua Sue Li sans aménité.

Elle jeta un regard autour de la salle. Ren Miller n’était pas loin.

— Ren, tu veux bien aller chercher Michael ? le pria-t-elle.

Le jeune homme aux cheveux roux faillit s’étouffer sur son rouleau au soja.

— Euh, Sue Li, je ne voudrais pas te faire de peine, mais je ne tiens pas à être impliqué dans des histoires de famille.

Et il lui tourna le dos. Frustrée, Sue Li s’approcha de Halden qui était assis, les yeux fermés, dans un fauteuil à eau bleu délavé.

— Halden ?

L’homme ouvrit brusquement les yeux.

— Comment peux-tu rester assis là ? Tu ne vas pas essayer de retrouver Michael ?

Halden leva les mains en signe d’impuissance.

— Et qu’est-ce qu’on y gagnerait ? Tu voudrais que je te le ramène troussé comme un poulet ? Non, Sue Li. Ce que tu me demandes est parfaitement déplacé. En tant que Gardien du Livre, je me dois de rester neutre. Il faut que Michael revienne parce qu’il l’aura voulu. Je regrette.

Et il retourna à sa méditation.