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— Je n’aime pas Jena.

— Ça aussi, je le sais. Mais tu as désormais des responsabilités qui vont au-delà de tes préférences.

— Tu veux parler de l’enfant ?

— Oui.

Dans sa colère, Michael repoussa la main de sa mère.

— Bon sang, pourquoi Jena ne se fait pas simplement avorter ? s’écria-t-il.

— Tu le sais, pourquoi. Le clan interdit l’avortement.

— Et mon bonheur, à moi ? répliqua-t-il d’une voix cassée.

Sue Li sourit tristement.

— Tu découvriras peut-être que le bonheur vient avec le temps. Et quand on s’y attend le moins.

— Je pourrais disparaître.

— Tu le pourrais. Il y a une station de métro au carrefour. Je te donnerai même l’argent pour le billet. Mais où iras-tu, Michael ? Que deviendras-tu ? Et moi, qu’est-ce que je vais devenir si je perds encore un de mes enfants ?

Il y avait de la tendresse dans cette voix. Michael remonta ses genoux contre sa poitrine et se balança d’avant en arrière sur le sable humide. Des larmes coulèrent sous ses paupières closes.

Kelly, songeait-il. Kelly, je suis désolé. Vraiment désolé.

Il sentit la main de sa mère sur sa nuque. Étouffant un sanglot, il redressa la tête, écrasant ses larmes de ses poings. Un moment il resta les yeux fixés sur les vagues gris-vert qui évoluaient au rythme lent et grave de leur danse éternelle. Pour finir, il hocha la tête.

À la bonne heure.

— Je vais revenir. Pour l’enfant. Et pour toi.

— C’est vrai ?

À nouveau Michael hocha la tête.

Il se leva et aida sa mère à se mettre debout.

— Je t’aime, Michael, dit-elle en se haussant sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur la joue du garçon. J’ai de la peine pour toi.

— Je l’aimerai toujours.

— Je sais.

Elle lui prit la main. Ensemble, ils retournèrent à la réunion, escortés par la grande cape claquant dans le vent.

Lorsqu’ils entrèrent dans la salle, Halden les accueillit avec un soupir de soulagement.

— Tu l’as trouvé ? Tant mieux. Je ne voulais pas prolonger cette réunion au-delà d’aujourd’hui.

Il envoya une injonction mentale pour réclamer l’ordre. Puis, s’adressant à Michael :

— Es-tu revenu de ton plein gré ?

Michael garda le silence un instant. D’un regard circulaire, il observa ce clan dont il faisait partie. Cent yeux dorés lui rendirent son regard.

— Oui, répondit-il. Je demande pardon d’avoir perturbé la séance.

— J’espère bien, dit Tela d’un ton sévère.

— Je crois que nous pouvons comprendre la confusion où était notre jeune frère, dit Halden d’un ton bienveillant.

Autour de la table, les têtes acquiescèrent.

Michael s’assit à côté de Jena qui, le visage tout rouge, lui adressa un sourire embarrassé.

Elle m’aime vraiment, se dit-il. Suffisamment pour avoir osé employer ce moyen pour me lier à elle. Au risque d’essuyer ma colère, ma haine et mon refus.

Il contempla sa fiancée. Elle était belle. Grande, fraîche sous ses cheveux blonds. Lui, il pensait à une autre fille, plus petite, avec des cheveux noirs et un sourire plein d’entrain. Sa bouche se crispa sous l’effet de la souffrance.

Kelly. J’ai attendu trop longtemps.

Jena lui pressa la main. Michael la regarda à nouveau. Je ne l’aime pas, songea-t-il. Mais est-ce que je la déteste ? J’arriverai peut-être à être gentil avec elle. Un jour.

Michael prit l’autre main de la jeune fille et ferma les yeux tandis que Halden entonnait le psaume de clôture qui scellait son destin.

Au sein du clan, nous formons une famille. Dans le cercle intérieur, nous ne faisons qu’un. Des âges enfuis au futur ultime, Nous avançons aujourd’hui comme hier, Ensemble, main dans la main, cœur à cœur, Esprit à esprit. L’espoir d’une vie nouvelle Nous unit comme un seul être.

Sur la plage de sable volcanique, scintillaient des éclats de mica. En cette journée d’hiver inhabituellement douce, elle absorbait la chaleur des pâles rayons de soleil et la sensation était trop vive sous la plante des pieds pour être supportable. Andie courut vers la couverture en poussant des cris aigus. Stephen leva les yeux de son écran et sourit sous son panama.

— Ah, le paradis ! gémit Andie en se frottant les orteils. Quand tu as proposé Santorin, je ne pensais pas y attraper des ampoules sous les pieds.

— Tiens, prends une gorgée de ceci, dit Jeffers en lui passant une boîte de résiné concentré. Ça te soulagera.

Il revint à son écran.

Andie avala une lampée de ce vin vert clair aux senteurs de pin, et en apprécia la saveur fraîche et amère. Puis, elle s’étendit sur la chaise longue et contempla les eaux turquoise de la mer Égée. Quelle bonne idée d’être venus ici ! Ils avaient passé les trois journées précédentes à explorer les ruines d’Akrotiri ensevelies sous les cendres, à se promener sur les crêtes, et à faire l’amour dans leur suite du grand hôtel aux murs blanchis à la chaux, perché sur le flanc de l’ancien volcan. Washington était à des milliers de kilomètres. Andie ferma les yeux et, s’offrant à la caresse du soleil, finit par s’assoupir.

Un cri la tira de sa rêverie. Au bord de l’eau, deux femmes corpulentes en costumes de bain noirs hurlaient en montrant quelque chose du doigt. Loin du rivage, là où le bleu devenait plus profond, une minuscule tête noire se balançait au gré des vagues. Beaucoup trop loin. La tête disparut, émergea en crachant de l’eau, disparut à nouveau.

— Stephen ! s’écria Andie. Cet enfant est en train de se noyer !

Elle bondit sur ses pieds et courut vers la mer. Andie était une bonne nageuse, du moins en piscine. Mais ici, c’était l’océan, glacé et puissant, aux flots implacables. Dès qu’elle se trouva dans l’eau, la force des vagues lutta contre ses propres forces. Cette tête qu’elle apercevait était tellement loin. Andie chercha sa respiration. C’est alors qu’un autre nageur la doubla, un nageur qui ne bougeait pas les pieds et qui laissait derrière lui un sillage d’une étonnante précision.

Andie revint tant bien que mal sur la grève et là, encore haletante, elle vit la tête de l’enfant s’enfoncer une nouvelle fois. Retenant son souffle, elle attendit de la voir réapparaître. Et puis, il y eut une autre tête, plus grosse, avec des cheveux plus clairs.

Jeffers.

Comment avait-il fait pour arriver là-bas si vite ?

Il plongea, son dos brilla un instant dans le soleil. Puis plus rien. Sur la plage, c’était l’angoisse. Les minutes s’écoulaient. Lorsque soudain, jaillit une gerbe d’eau verte avec, à son sommet, comme un bouchon qui sautait, l’enfant ; et puis Jeffers juste derrière. En quelques instants, ils regagnèrent le rivage, et une foule bruyante les entoura.

Jeffers reprenait son souffle. Mais l’enfant restait inerte, les lèvres bleuies. Andie commença à lui faire la respiration artificielle. Devait-elle appeler un robomédecin ? Était-il encore temps ? L’enfant ne bougeait toujours pas, ne réagissait pas.

— S’il te plaît, murmura Andie. Ne meurs pas. S’il te plaît.

Des mains froides sur ses épaules la tirèrent doucement en arrière.

— Laisse-moi faire.

Jeffers se pencha sur l’enfant, plaça une main sur sa poitrine et l’autre sur sa tête, puis ferma les yeux. Son front se ridait sous l’effet de la concentration. Il marmonna des sons gutturaux, inarticulés. Ses lèvres se rétractèrent dans une grimace. L’enfant fut agité de convulsions. Sur le cou de Jeffers ; on vit les muscles se tendre comme des cordes de piano. L’enfant toussa et se mit à pleurer. Sa jeune mère tomba à genoux et serra le petit corps contre sa poitrine. Elle versait des larmes de joie tandis que les gens applaudissaient.