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Il touche sa moustache rêche d’un doigt vérificateur.

— Seulement voilà, se redressera-t-elle un jour ? soupire-t-il.

L’angoisse, la meurtrissure morale lui fument par les naseaux. Comme il est malheureux !

Bérurier, toujours humain, contourne l’énorme bureau et va frapper sur l’épaule de l’Écossais.

— T’abats pas Mac, déclare-t-il gravement. Est-ce que t’as essayé Lourdes ?

Mac Heuflask se cache la tête dans ses mains où scintillent des poils roux.

— Oui, avoue-t-il. Bien qu’appartenant à la religion réformée, je m’y suis risqué.

— Alors ?

— Ah, messieurs, les miracles se font de plus en plus rares alors qu’on en aurait de plus en plus besoin. L’eau de ce haut lieu de la foi n’a fait que glacer un peu plus le siège de mes anciennes ardeurs.

Je le laisse se vider de ses lamentations. Faut qu’il s’épanche, s’essore. Alors je reviens au caractère investigateur de ma mission.

— Général, rassemblez bien vos souvenirs ; au moment où vous fûtes frappé par ce mal étrange, avez-vous remarqué quelque anomalie dans votre vie courante ? Réfléchissez avant de répondre.

— Qu’entendez-vous par « anomalie » ? demande le militaire.

— Je veux dire par là, avez-vous enregistré des incidents anormaux ? Avez-vous fait la connaissance de gens qui vous étaient auparavant inconnus ? Par exemple, avez-vous eu une nouvelle maîtresse, un nouveau domestique ? Un collaborateur exceptionnel ?

— Parbleu, tout était plus ou moins nouveau puisque je venais d’accéder à de nouvelles fonctions ! Tout : les lieux, les gens qui m’entouraient. Quant aux filles, comme j’en changeais à peu près deux fois par semaine…

— Pensez-vous qu’on ait pu vous faire absorber à votre insu des produits nocifs ?

— Cette foutaise, inspector ! J’étais invité à tant de réceptions, chez tant de gens différents, principalement des étrangers.

J’éprouve un sentiment… oui : d’impuissance devant l’ampleur de ma tâche. Je n’apprendrai rien de positif. Pas le moindre brin d’hypothèse à quoi s’accrocher. Pourtant, a priori, le raisonnement du Dabe était bon : « Avant tout, San-Antonio, vous devez questionner de fond en comble la première personne frappée par le mal dans chacun des six pays concernés, en commençant par le début. Sans doute découvrirez-vous un dénominateur commun à ces six individus ? Ils ont peut-être subi cette « agression » de la même manière ? Si c’est le cas, de la répétition d’un détail pourrait surgir un début de vérité. »

Vous le voyez, son calcul était valable.

Allons, San-A., du nerf ! De la fougue ! Travaille ton optimisme. Les sceptiques n’arrivent à rien.

— Mon général, certes, à l’époque de votre nomination en qualité de chancelier, votre existence s’est modifiée quelque peu, cependant, sur le plan individu vous étiez demeuré le même, je suppose ?

— Comprends pas, explications, je vous prie ! ronchonne le bougon écossais.

— Je veux dire que votre vie sociale, vos activités extérieures, seules avaient changé. Mais votre vie privée ? Les grands de ce monde, les plus puissants, les plus riches restent des hommes, avec des habitudes, des marottes. Ils ont des vices et des vertus à peu près indélébiles. Une manière de prendre leur bain, de faire l’amour, de lire leur journal. Bien, vous étiez nommé chancelier, cela ne vous empêchait pas d’avoir un rhumatisme à l’épaule, d’adorer les fraises au sucre ou la chasse au canard. Ce qui me préoccupe, c’est ce que j’appellerais, si vous le voulez bien, votre bastion intime.

L’autre m’interrompt avec un agacement voisin de l’irritation :

– Écoutez, mon, vieux, dit-il. Que vient foutre mon « bastion intime » dans cette affaire ? Il est probable qu’on m’a fait avaler une damnée saloperie ! Or, la chose a pu s’opérer n’importe où, et particulièrement dans une de ces foutues réceptions au cours desquelles on prend le premier verre que le premier venu vous tend.

— Si le produit mutilateur vous a été administré par voie buccale, c’est exact…

— Parce que vous croyez qu’on me l’a foutu en piqûres ou en suppositoires, vous ? Sachez que depuis la guerre, mon jeune ami, je n’ai tâté ni de l’un ni de l’autre !

— J’ai longuement discuté de ce problème avec des médecins français. Dans l’ensemble, ces messieurs ne croient pas à une ingestion de potion machiavélique. Ils prétendent qu’aucun produit à leur connaissance ne saurait rendre un homme impuissant de façon durable, ou alors il faudrait en répéter régulièrement les prises et encore le « traitement » serait-il long ! Ils pensent plutôt qu’on a soumis vos organes génitaux à des rayons.

— Ah oui, ils pensent ça, vos manches d’Outre-Manche ? Eh bien j’ai le regret de vous dire qu’ils sont aussi stupides que ceux d’ici. Vous m’imaginez, me prêtant à des séances de rayons ?

— Imaginons qu’on vous les ait infligés à votre insu.

Robert Mac Heuflask se fait de l’air avec son jabot.

— Il va finir par me faire pouffer de rire, ce type ! annonce-t-il à Béru en me désignant du menton.

— C’t’un comique, souligne le Gros. Mais j’aime pas qu’on en rigole trop fort devant moi, m’sieur Moudu.

Insensible à la menace voilée, le général se penche en avant.

— Enfin, crédieu, vous ne supposez pas que j’ai offert mes génitoires aux rayons d’un quelconque appareil ! Vous voyez d’ici le général Mac Heuflask, le vainqueur d’El Fé Ouarsashatt, présentant ses bourses à un petit futé de laboratoire ?

J’ébranle d’un coup de poing l’accoudoir de mon fauteuil qui représente un lion alangui.

— D’après vos confidences, vous en avez subi de bien plus sévères depuis, général !

Il se rembrunit. Son visage se disloque comme celui d’un bonhomme de neige au moment du redoux.

— D’accord, mais je voulais guérir. Tandis qu’à cette époque j’étais ardent et vigoureux et n’avais besoin d’aucun traitement.

— Vous commettez une erreur en imaginant que ces pseudo-rayons vous eussent été administrés par un laborantin. Si la chose a vraiment eu lieu, elle s’est produite à votre insu !

— Mais comment ?

— C’est ce que je cherche à définir. Est-elle concevable, oui ou non ?

— Non !

Là-dessus, le réveil carillonne à nouveau. Spontanément, le Gros et moi regardons l’heure. Vingt minutes à peine se sont écoulées depuis que j’ai versé une seconde « caution ».

Béru pousse une bramante.

— Alors là, c’est du vol, pépère ! Vos heures, c’est des heures de garagiste ! Faudrait voir à ne pas nous empailler.

— Ne vous méprenez pas, dit vivement le général. Et surtout ne mettez pas en doute mon intégrité, je ne le tolérerais pas. Simplement, il est cinq heures et je dois prendre mon thé. Ce laps de temps vous sera bien entendu décompté.

Il se lève. À cet instant précis, mes bonnes et belles amies, un ronron de voiture retentit à l’extérieur (à l’intérieur il serait plus surprenant) ; des graviers malaxés par les pneus de l’auto viennent frapper les volets fermés du burlingue. Mac Heuflask bondit, tel un tigre s’apprêtant à sauter dans un moteur.