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— En effet, Adeline, ce furent ses propres paroles. Et pour Maria ?

La belle Adeline fait une moue.

— Là, il a commis une légère erreur, il a dit : née en Sicile, alors qu’elle est née en Sardaigne, mais le reste cadrait pile !

— N’est-ce point merveilleux ? triomphe la marquise. Ah ! la sexualité, mon ami, est une terre encore en friche. L’homme, avec sa suffisance fondamentale, croit tout savoir d’elle ! Le fat ! Nous n’en sommes qu’aux premiers balbutiements. À l’orée, à la lisière ! Nous commençons seulement à la soupçonner, à la pressentir. Un jour, oui, elle nous deviendra enfin ce qu’elle est. Nous l’investirons pour de bon. Nous en prendrons possession. Alors la vie basculera, je le prophétise. Les mœurs deviendront autres. Enfin maître absolu de l’extase, de la vraie, l’homme abandonnera sa vigilance qui le mène aux pires sottises. Il n’y aura plus de guerres, plus de travail, plus de crimes. Les lois tomberont. L’idée de patrie sera abolie ! Le syndicalisme ne signifiera plus rien. Les partis n’auront plus d’objet. Je vais même plus loin : on aboutira, au fil des siècles, à la confusion des sexes.

Le général qui s’était absenté for the tea revient, lesté d’un plateau fumant.

— Chère chère, dit-il à Mme de la Lune, pour une fois qu’il y a une femme dans cette tanière, nous allons lui demander de servir le thé. Et ensuite, si vous le voulez bien, nous nous mettrons au travail. Pardonnez ma précipitation, mais vous devez concevoir mon impatience ?

— Adeline et moi sommes à votre disposition, Robert.

Là-dessus, la marquise répartit l’eau chaude dans les tasses.

— Si je comprends bien, lui dis-je, vous venez ici en consultation ?

— Nous venons soigner, rectifie-t-elle. Et, je l’espère bien, guérir !

— Oh oui ! Oh oui ! Oh oui ! clame Mac Heuflask avec ferveur. Vous êtes mon ultime espoir, marquise. Ma planche de salut ! Après vous ce sera le soleil ou la mort. Si vous ne me réanimez pas, je saurai que tout est définitivement perdu, alors je me logerai une balle dans le crâne !

— Hé là ! fait la dame, effarée, pas de chantage, général ! Ma science a ses limites. Et puis il se peut qu’un premier « traitement » ne suffise pas.

— En quoi consiste-t-il ? demandé-je.

La marquise fronce légèrement le nez.

— Il est assez compliqué, vous verrez.

— Comment cela, je verrai  ?

— Je vous réquisitionne, mon cher, car il nécessite de la main-d’œuvre et votre présence à tous deux est pour nous une aubaine. Lorsque nous aurons pris le thé, aurez-vous la bonté d’aller chercher dans le coffre de notre voiture le matériel qui s’y trouve.

* * *

— Vachement lourdingue, rouspète Béru. Je me demanque ce qu’a là-d’dans. Tout ça pour lui trémoler le bitougnard, au père Mac ! Que d’histoires. J’sus sûr qu’y se monte le bourrichon, pépère.

Il dépose la malle métallique sur le perron.

— Dedieu, j’ai le dossard en compote. Dis, c’est tout de même pas leur baise-en-ville, aux dames-radasses ? Parce que si oui, elles se mettent des armures en guise de pyjama. Moi, j’ai horreur de voyager avec un gros fourbi. Mon rêve, c’est de partir les mains aux poches. Mes tracasseries ont commencé le jour que je sus été chez un onc’ à nous, à la ville. Ma mère m’a dit : « Alexandre-Benoît, maintenant que tu vas sur tes dix-huit ans, je vais t’acheter une brosse à dents ». Dans la vie, la chierie commence par une brosse à dents, mec, même si tu t’en sers que pour les grandes occasions. La brosse à dents, c’est comme qui dirait l’emblème de notre misère humaine. De notre guignolerie. Parce que les hommes, Sana, y sont tous guignols, et au plus ils sont célèbres, au plus ils sont guignols ! Y a des jours, quand je les regarde lamproie à leur misère, je me dis que le bon Dieu doit être végétarien. On est là qu’on se débat… Qu’on lutte, qu’on chiale, qu’on tente d’esquiver les mauvais coups… Foutaise. Le monde est mal foutu. J’écoutais le général t’t’à l’heure et ça me persuadait du fait. Je sais des gus que ça leur démonterait pas le moral d’être impuissants. Des qui n’utilisent jamais leur fiche-banane… De quoi se navrer, je te dis. Une maldonne complète. Un nez-chèque ! Tiens, j’ai un neveu qu’était doué pour la boxe. Il eusse fait un champion du monde pur fruit. Ben, il était allergique au cuir. Rien que de respirer ses gants en tenant sa garde, ça le faisait éternuer. Tout est à lavement… Certains gens se figurent que leur nombril résulte de la pointe du compas ayant servi à tracer le monde, va donc leur dire qu’en réalité il sert à mettre le sel pour quand on bouffe des œufs durs au lit !

Il donne de la pointe du soulier dans l’espèce de grosse cantine argentée.

— Je te parie ma propre paire que ça ne servira à rien tout ce bazar. Elle aura beau dire et beau faire, la marquise, elle ne les réveillera point, les burniches du Vieux, et sais-tu pourquoi ? Parce que son impuissance, elle se tient pas seulement dans ses joyeuses, mais z’aussi et surtout dans son crâne ! Y pense trop à son problo, l’Écossais. Tu n’peux pas lutter contre la gamberge, ou alors faut avoir un cerveau d’acier… comme moi !

Il se releste de la cantine.

— Enfin, on va bien voir, dit-il.

* * *

Il est presque aussi bizarre qu’étrange, l’appareil déballé des surprenants bagages de la marquise de la Lune.

Très technique en tout cas.

Électrique, aussi. Y a des bras laqués, des pivots, des moyeux, des machins chromés, des trucs nickelés, des poulies, des courroies, des embouts, des fraises.

Adeline assemble le tout avec une patience de maquettiste ; en pointant une délicate langue rose entre ses lèvres charnues.

Sa patronne la dirige, d’un mot, d’un geste, d’une brève onomatopée qui tombe dans le silence crispé comme l’ordre d’un chirurgien dans un bloc opératoire.

— Pas de vis inversé ! dit-elle brièvement.

Ou bien :

— On va commencer par le numéro 2.

Puis, lorsque son robot de métal achève de s’élaborer, elle demande à Mac Heuflask :

— Vous êtes monté sur le 220 ?

— Ne me parlez pas d’être monté, rouspète le grincheux. En effet, je suis équipé en 220.

— Alors pas besoin du transfo, Adeline.

Faut lui voir la précision, à la marquise !

La manière qu’elle directive !

Son autorité tranquille, sa sûreté ! Rien qui mette autant en confiance que la sûreté d’une personne s’apprêtant à vous bricoler le charnel. Les hommes n’ont confiance que dans la confiance des autres. Elle est dans la tradition des grands patrons, la marquise ! Le professeur Dubost préparant un changement de guignol !

On l’observe, muets, impressionnés par ses gestes efficaces. Quelle grande dame, vraiment !

Une demi-heure plus tard, Adeline se déclare parée pour la manœuvre. La chambre de Mac Heuflask ressemble à l’atelier d’un électricien. Des prises multiples moutonnent au ras du plancher. Y a des fils partout. Ils tire-bouchonnent en direction du lit. L’appareil mystérieux se dresse près de la couche de l’Écossais. Un électrophone occupe la table de nuit. D’autres ustensiles sont répartis, de-ci et même de-là, à portée de main, dans une disponibilité savamment préparée.

— Mes bons amis, voulez-vous avoir la bonté de m’aider ? sollicite la savante personne.

— Avec joie, ma marquise, s’empresse Béru, à condition toute foie qu’on n’aye pas à payer de sa personne. Je demande pas mieux que le général retrouve sa vigueur, mais comptez pas sur mézigue pour mettre la main à la pâte, c’est pas le genre de mon établissement.