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Moi qui déchois peut-être, et jamais ne déçois !

Allons, bon : un alexandrin !

Faut que je me surveille. Y a un côté Hugolâtre chez le bonhomme. Tiens, un jour, je vous en pondrai un en vers ; pour voir. On le lira aux jeudis de la Comédie-Française !

J’appuie encore après avoir compté jusqu’à 15. La musique continue à nous scier le cerveau. Le général soubresaute. La fraise fraise ! Le vibromasseur vibre et masse ! Béru halète comme trente-six nourrices et deux locomotives. Clic-clac ! Quatrième photo ! Oh, mon Dieu ! Dites, ça se pouvait donc ! Clic-clac ! V’là la cinquième. Ah, que c’est beau, la nature !

Malgré le bruit des instruments et la stridence du disque, il y a comme du silence dans nos âmes. Nous avons le sentiment d’assister à une grande première mondiale. N’en est-ce point une ?

On essaie de ranimer la virilité trépassée de la première victime. Les cinquante années d’expérience amoureuse de la marquise sont à pied d’œuvre. Elle jette sa profonde connaissance du sexe masculin dans la bataille, Mme de la Lune ! Son honneur est en jeu ! Elle fait donner les gros moyens. Tout son bastringue pour godeurs d’exception. Son Cap Kennedy de la tricotanche. Elle a rassemblé ses secrets de sorcière du kangourou. Elle qui constitue la providence des embourbés de la zézette, des parcimonieux de la braguette, des épuisés du radada ; elle qui redonne de la confiance aux désespérés et du volume à ceux qui pendent, la voici dans ses nobles z’œuvres. Chère femme ! Ô grandeur de la générosité humaine ! Ô noblesse de la main tendue vers les misérables flétrissures ! Regardez-la agir et admirez ! Saluez de la pointe du cœur sa sollicitude. Voyez comme elle est belle, et hardie, et confiante. Majuscule dame ! Merci d’exister ! Bravo ! Continuez ! Vous avez ramené votre fraise de si loin. Pourquoi une fraise, au fait ? C’est votre secret ? Soit ! Vous savez mieux que nous, pauvres jouisseurs. Vous jouez de nos nerfs et de nos muscles comme certains virtuoses jouent de l’orgue. L’homme pour vous est un clavier dont chaque touche vous est familière. Allez, Madame ! Agissez ! Nos vœux vous escortent.

Elle jette de fréquents regards interrogateurs à Adeline. Mais Adeline reste imperturbable. Non, RIEN NE SE PRODUIT. L’appendice du général est sans réaction.

Clic-clac ! Sept, huit, neuf photos !

Un tourbillon ! L’escalade dans la folie érotique. Quel esprit a conçu de telles images ? Quels apôtres se sont soumis à sa volonté pour qu’on pût les réaliser ? Le monde est plein de combattants secrets qui agissent dans l’ombre anonyme.

Le don de soi est chose courante. Mais cela va plus loin que le don de soi. Cela implique partiellement le don (l’abandon, plutôt) de l’espèce. Il y a dans ces photos dont la lubricité touche au démantèlement mental une offrande de la collectivité. Une compromission pathétique du genre humain.

Cela dure, dure…

C’est insoutenable.

Le tzzziu tzzzzziu de la fraise… Le bjjjjjjj du vibromasseur… Les sons râpeux de l’électrophone… Et puis ces clic-clac… Et nos respirations oppressées… Le bon Mac Heuflask geint et regimbe. Il a mal. Il proteste du nez et du dos en soubresautant.

— Coupez ! clame soudain la marquise.

Tout ce qui était électrique se tait.

Un silence de catastrophe succède.

On n’ose se parler, voire se dévisager. Une calamité immobile règne dans la pièce, l’emplit, la déborde. Après un séisme, lorsque la terre bouleversée est devenue nuage, il doit pareillement flotter sur le paysage éventré cette torpeur indicible, ce louche abandon de la nature, ce mutisme abominable du ravage. La vie se tait, comme effrayée de ses turpitudes.

Eh bien là, nous éprouvons le même désemparement provoqué par le sombre bilan de l’expérience.

Chose étrange, c’est le patient qui réagit le premier. Il se lève, désemmaillote soi-même son pénis peau-de-chamoisé, passe sa culotte, ajuste son kilt. Sublime dignité d’un militaire de Sa Majesté.

— Well, well, well, well ! dit-il par quatre fois.

Après quoi il crache rouge dans son mouchoir et annonce :

— Je vais aller me rincer la bouche !

Mac Heuflask exit.

Dès lors, nous nous tournons vers la marquise.

Qu’espérons-nous d’elle ?

L’expression de sa déception ? Des explications ? Mais un échec ne s’explique pas. Il se constate seulement. On l’avoue, un point c’est tout.

Consciente de cette féroce attente qui nous mine, l’aimable femme se met à parler.

Les stances de la marquise[13]

Ô rage, débute-t-elle.

Ô désespoir !

N’ai-je donc tant vécu que pour cette déception ?

Messieurs, je me sens déshonorée.

Mon premier échec !

Et comme il est total !

Car le membre du général n’a pas bronché, n’est-ce pas, Adeline ? Pas un tressaillement, pas un frémissement, rien ! L’inertie minérale ! Toutes mes théories gisent à mes pieds comme une jupe dégrafée. Me voici battue en brèche ! Désemparée.

Le doute est en moi. Cruel ! J’ai pour auréole la honte ! Pourtant j’étais si certaine de réussir. Personne n’avait jusqu’alors résisté à la roulette. L’on a appelé cela, la « douleur exquise », le saviez-vous ?

Rien de plus intense ! De plus total ! De plus insoutenable ! Douleur exquise, mes fesses, messieurs ! La preuve est faite qu’elle a ses réfractaires, ses récalcitrants !

Et le vibromasseur sur peau de chamois ? Impossible d’y résister croyais-je. J’ai tenté l’expérience sur un bougre après qu’il eut sacrifié huit fois de suite à Vénus, comme l’on dit dans les livres. L’homme était pratiquement mort, messieurs. Hors jeu ! Eh bien, grâce au vibromasseur sur peau de chamois, il a pu participer une neuvième fois !

Je ne parle pas des diapositives. Vous les avez visionnées et un regard discret m’a suffi pour me prouver qu’elles vous avaient émus ! Ce sont de belles et rudes images qui malmènent l’esprit en commotionnant le corps.

J’ai également obtenu des résultats tangibles — ô combien ! — avec le concerto pour violon de Brahms interprété par Yehudi Menuhin et la Philharmonique de Berlin sous la direction de Rudolf Kemp. Il est enregistré en 33 tours et quand je le passe à la vitesse du 78, c’est magique !

Alors, messieurs, je me disais que ces quatre atouts joués en même temps devaient FATALEMENT nous assurer la victoire. Des tests très poussés m’ont prouvé qu’ils parvenaient à mettre un eunuque en état d’érection ! Vous m’avez entendue ? Je répète : un eunuque !

Pour moi, scientifique de la chose, j’étais certaine du résultat. Car mes références sont là, bien acquises !

On me connaît sur la place de Paris.

On n’ignore pas que chez moi, et chez moi seule, un ancien président du conseil, deux ministres, un banquier illustre, un monstre sacré du théâtre et un romancier de grand renom parviennent à jouir, messieurs.

Et cependant ces gens ont des moyens, de l’expérience, des relations !

L’univers était à leurs pieds. Ils avaient traîné leurs impuissances aux quatre coins du monde.

Eh bien non : crotte à l’Asie ! Flûte à l’Afrique ! Merde à l’Amérique ! Tiens, fume ! pour l’Océanie, mon appartement est l’unique point géographique où ils arrivent à s’assouvir.

Chez moi, rien que chez moi !

Grâce à mes méthodes ! À mes initiatives audacieuses ! C’est que je vis avec mon temps, moi, messieurs. Je ne crache pas sur le progrès ! Je fais appel aux découvertes les plus récentes ! Je tiens compte des nouvelles techniques ! Déjà j’use de la cybernétique, du D-tubocurarine à azote quaternaire, du condenseur optique, de la chambre de Wilson, laquelle je vous le rappelle concerne les particules ionisantes rapides. Je me suis engloutie dans la science pour mieux approcher l’homme ; ne plus rien ignorer de lui.

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13

Nota : la lecture de ce passage est facultative. On peut la sauter à pieds joints, sans pour autant perdre le fil de l’histoire.