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— Ne remettez jamais les pieds chez moi, espèces de petits vérolés ! hurlait l’ima-sous-mac dans un dernier coup de trompette. Graine d’assassins ! Enculés !

Les filles sont venues jusqu’au seuil de la porte. Et, nous braquant du doigt devant la populace, elles ont crié à l’unisson :

Vérolés ! Graine d’assassins ! Enculés !

La dernière invective leur a plu. Elles se sont mises à scander sur l’air des lampions, tandis que d’un pas titubant, on essayait de se frayer un passage dans l’assistance :

— Enculés ! Enculés ! Enculés !

— Ben qu’est-ce t’attends pour carillonner ? demande Béru. T’as l’air tout songeur.

— C’est cette porte, lui dis-je, elle me rappelle un souvenir de l’époque où j’étais lycéen.

* * *

Y a des pleunircheries de guitare dans l’appartement. Incertaines… Ça ressemble à des sanglots de gens qui ont déjà beaucoup pleuré. Et puis qui pleurent encore une peine infinie.

À force qu’on sonne, quelqu’un finit par nous ouvrir.

Inattendu. Une vieille dame est là, l’air épuisé, l’œil flottant. Des cheveux gris, mal teints, lui pendouillent sur les épaules. Elle est loquée d’un vieux peignoir ravagé, constellé de mauvaises taches et d’accrocs plus reprisables.

— Que désirez-vous ? chevrote-t-elle.

Pas besoin de la faire souffler dans l’alcotest pour piger qu’elle est beurrée. Du reste elle pue la gnole sûrette. Probable qu’elle se met sur orbite au whisky frelaté.

— Nous désirons avoir un petit entretien avec Miss Maud Dusvivandy.

— Hé, les gars, il est tard, rouscaille la vieillarde. Ma fille n’attend plus personne et il est pas l’heure de faire des visites à l’improviste.

— Police ! lui fais-je.

La poivrote a une embardée de la tronche.

— Oh, bon, vous m’en direz tant… Police, ça change tout ! J’espère qu’elle acceptera de vous voir. Moi j’sus respectueuse des lois, mais Maud fait dans la contestation !

— Je croyais qu’elle travaillait au Foreign Office  ? m’étonné-je, ça paraît peu compatible…

— Elle n’y travaille plus : ils l’ont virée comme une malpropre. Bon, bougez pas, je vais essayer de vous l’appeler.

Elle s’éloigne à l’intérieur d’un appartement-capharnaüm. Contrairement à sa recommandation, je « bouge ». D’une allure furtive mais décidée, je m’avance jusqu’à un living invraisemblable où trois jeunes gens sont vautrés sur des canapés de douairière-les-fagots. Deux garçons et une fille que je suppose être Maud Dusvivandy. Les deux gars portent des blue-jeans éculés et sont torse nu. Ils ont de longs cheveux blondasse-rouquinos qui leur dégringolent en frisant sur les épaules et des moustaches de mousquetaire-mal-tenu. Un peu « chargés », ces deux messieurs. Et ils n’y vont pas à la cuiller à thé, croyez-moi. Ils se shootent des pénos à bout portant à la seringue du regretté docteur Pravaz. L’un des deux grattouille la guitare. L’autre pelote sans trop y croire la donzelle que nous venons interroger. Celle-ci n’a pour tout vêtement qu’un tablier de cuisine gadget dont le motif représente Lord Herbert Kitchener en grande tenue, en couleurs et en train de reconquérir le Soudan.

That’s all !

P’t’être que si son ex-pote le général Mac Heuflask la voyait dans cet appareil, la petite Maud, il ressentirait des picotements dans les roustailles ? Je sais que, pour ma part, et malgré sa tenue… négligée, elle m’inspire, la môme. Question d’ondes, mes frères. Une frangine, d’emblée elle te va ou pas, inutile de lui demander sa pointure.

T’es pour ou contre. Partant, ou bien renâcleur. C’est popof qui décide, d’emblée. S’il a le mignon frétillement goujonneur, ça signifie banco. Si au contraire, il imperturbe, inscrivez pas-de-chance pour la mistoune et passez au rayon suivant.

La vieille soûlarde (demi-deuil) interpelle son enfant bien-aimée :

— Hé, Maud, y a là deux drôles de flics qui veulent te voir !

La gosse tourne vers sa chère môman une bouille ennuyée. Elle est drôlement sexy, la greluse. D’un gentil roux vénitien, avec taches de rousseur, zyeux couleur d’eau morte et nez un tantinet retroussé.

— Sans blague, ronchonne-t-elle, ces fumiers ne vont pas recommencer leur cirque ! D’abord c’est pas une heure pour les visites. Fous-les à la porte, Ma.

— Voilà qui n’est guère gentil, ma chère, dis-je en pénétrant dans le bouzin. Nous venons de si loin pour vous voir…

Quelle tabagie ! Ça pue la cigarette blonde, le chanvre indien, la gnole et puis aussi, en sourdine, la friture froide britannique (la pire). Curieux univers. Il semble que cet appartement ait fait naufrage. Il devait être douillet, jadis. Un peu bourgeois. Et puis quelque chose s’est produit dans la vie de ses locataires, et il a commencé doucement à prendre de la gîte avant de couler à pic dans un noir désordre…

La fille me défrime sans grand intérêt ni hostilité excessive. Le guitariste n’a seulement pas pris garde. Le peloteur cramponne un verre de rye et boit comme on crache.

— Vous avez un drôle d’accent, note la fille, vous êtes quoi, Italien ?

— Presque : Français ! J’espérais mon anglais meilleur. Un ami me disait récemment : « lorsque tu parleras anglais avec un accent qui te paraîtra terriblement ridicule, c’est que tu approcheras de la perfection », je pensais être à point, mais il faut croire que non !

Elle hoche la tête, sans sourire. Y a un je ne sais quoi de définitivement brisé chez cette gosse, qui vous navre et vous fascine.

— Et le gros machin qui a une tête de cochon déguisé, derrière vous, c’est français également ?

– Également, oui, ma petite miss. On vous offre les deux pôles de la flicaillerie française : le plus beau et le plus ignoble des poulets. À vous de choisir.

Béru me capte la manche.

— Pourquoi qu’é me montre du doigt, cette petite radasse, à cause de moi ?

— Tu lui plais, fais-je, elle voulait savoir tes prix.

Il s’épanouit et touche son nœud de cravate.

— Dis-y que c’est gratuiss après huit plombes.

Je m’avance à travers l’invraisemblable bric-à-brac du salon. Le sol est jonché de bouteilles plus ou moins vides, de papiers plus ou moins gras, de coussins plus ou moins crevés et d’objets hétéroclites. Faut drôlement mater où l’on déplace son point d’appui.

— Et qu’est-ce que des policiers français peuvent me vouloir ? demande-t-elle d’un ton morne.

— Des renseignements, ma petite fille, assuré-je en m’asseyant entre elle et son gilgopince « chargé » à bloc.

Le zig aux longs tifs émet une protestation et me flanque un coup de coude dans les côtes premières.

— Dites à votre duc de Buckingham de se tenir tranquille ! recommandé-je, sinon je l’empoigne par la tignasse et je le scalpe !

L’autre pomme ne se le tient pas pour dit et voilà qu’il me met une baffe de petite gonzesse hystéro dans la poire.

Le Molosse bondit.

— Des voix de fête ! il glapit en français dans le texte ! Ah, non, pas devant moi ! Dis, San-A., il est camé, Léon, on dirait ?

— Comme un bouquin de Théophile Gautier, réponds-je. Fais-le tenir tranquille qu’on puisse bavarder, mademoiselle et moi.

— C’est parti ! consent le Dodu en ajustant un uppercut très sec au menton du freluquet.

Le julot se disloque sur le plancher en beaucoup moins que pas longtemps. Mon ami le remue d’une pointe de pompe méprisante.