Pour Mme de la Lune, c’est kif-kif.
— Allez, allez, halez ! ordonne-t-elle en s’agenouillant sur la couche ravagée du pauvre homme.
Elle a un stéthoscope en sautoir et tient un petit plumeau. Ses gestes sont admirables de précision, de promptitude. Comme elle est experte, précise !
Adeline tire sur la corde, lentement, lentement. Celle-ci se tend. Le menton du général se fait saint-cyrien. Son buste connaît un début d’oscillation. Il garde les yeux fermés. Presto, la marquise se farcit les portugaises avec les fiches de l’appareil médical et applique l’extrémité métallique sur la veine jugulaire de son coriace client.
Simultanément, la v’là qui joue du plumeau. Comment ? Je peux pas vous le dire, on nous écoute. Vous insistez ? Bon, alors attendez, je vous le fais imprimer à l’envers, de la sorte vous n’aurez qu’à retourner le bouquin pour savoir. Si vous me lisez dans un lieu public, manœuvrez en douce sinon les témoins de la scène penseraient que votre cervelet perd de la valve.
Bon, on y est ?
— Haaârk crgg ! déclare tout net le vaillant général, en ouvrant une bouche aussi large que la nouvelle tribune du Parc des Princes.
— Alors ? demande la douairière.
— Tout va très bien, madame la marquise, chuchote Adeline qui a à cœur de ne pas me faire rater un effet qui s’imposait malgré son affligeante médiocrité.
Et elle continue d’haler à la va comme j’te tire !
Voyant bleuir le ci-devant Casanova, je me dis qu’il serait opportun d’intervenir pour faire cesser cette ignoble farce.
Les gens sont dingues, je vous jure. On les croit sérieux, comme ça, parce qu’ils mettent une cravate et attendent le feu vert pour passer, mais c’est illusoire. Tous plus sonnés les uns que les unes, hantés de projets bizarres, d’intentions extravagantes, de goûts louches, de vices fourbes, de croyances breloquantes. Des vrais champignons de fausse couche, tous tant qu’ils essaient d’être ! Biscornus de la coiffe ! Sujets à de sombres desseins ; ouverts aux tentatives les plus funèbres. Me font peur, je vous le dis pour de bon. Quand ils sont tourmentés par la culotte, alors-là, ils dépassent les bornes. Plus rien ne les stoppe. C’est la transe mord-bide, l’escalade du mont chauve sans alpenstock, la folie noire. Enfin, vous me direz pas, mais suspendre un vieux crabe par le cou dans l’espoir de lui dégager le tiroir à outils, c’est démentiel, non ? Notez que ça se pratique de plus en plus. Récemment, j’ai ligoté un truc commak dans le presse : un adolescent qui voulait to take son fade sans se marteler le pilastre a eu l’idée foireuse de se chanvrer la glotte. Conclusion, il est resté sur le carreau, avec peut-être la braguche en forme de cirque Amar, seulement il n’avait pas que le sémaphore de roide, ce petit cul-d’ail !
Donc, je bondis pour interrompre le massacre. À cet instant, il se produit un incident de parcours inattendu. Adeline a tiré trop fort sur la corde. Celle-ci ne s’est point rompue, non, mais elle a arraché le lustre tenant lieu de poulie. Le gros bastringue de fer forgé s’abat sur le plumard en provoquant un nuage de plâtre. La marquise a dérouillé le luminaire sur le dossard.
Pour le coup, elle est out, cette chère madame. Son sang bleu (rouge au demeurant) lui gicle de plaies multiples. Elle est affalée sur le général, les bras en croix, son stéthoscope en guise de collier et son plumeau mutin lui tenant lieu de sceptre, au spectre !
Adeline pousse des couinements de souris piégée. Le général qui flirtait déjà avec l’inconscience rouvre un store D’un geste prompt, il fait basculer la vieille et le lustre sur la carpette pour se mater le zoziau. Le choc, j’suppose, a dû lui propulser des ondes dans la centrale thermique et il s’attend à trouver son pavillon brandi.
Déception ! Amertume ! Toujours rien. Il continue de mollusquer du fruit de chêne. Il joue relâche !
Pendant qu’il conjugue des imprécations, Adeline et moi assistons la pauvre marquise ! M’a l’air fichtrement endommagée, Mémère. Ça raisine vilain dans ses cheveux bleus. Et puis elle a une entaille au bas de la nuque. J’espère que la loupiote de fer ne lui a pas rompu une ou deux vertèbres ! Les cervicales, ça ne pardonne pas…
Assisté de son assistante, je la transporte dans une chambre du haut. Elle est de plus en plus inconsciente. Ô ironie du saur (comme disait hareng), elle n’a pas lâché son petit plumeau et l’objet n’a jamais été plus ridicule qu’à cet instant. Il me fait songer aux burniches du général, comprenez-vous ? L’idée de sa fonction recréé l’organe !
Bien que la gravité de l’heure ne s’y prête pas, j’éclate de rire.
Adeline sursaute !
— Qu’est-ce qui vous prend ? demande-t-elle furieuse.
Je lui désigne sa taulière, inanimée, saignante, avec le stéthoscope et le plumeau.
— Pardonnez-moi, c’est nerveux, fais-je, vous ne trouvez pas le tableau d’une cocasserie indicible, vous ?
Elle regarde. Lentement son front se déplisse. Ses yeux s’éclairent et la voici qui se marre à son tour. Plus fort que moi ! Un vrai délire ! Une cascade de marrade ! Un déluge de poilage ! Elle rigole à tripigner ! À s’étouffer ! À s’égoutter !
— Mais oui ! pouffe-t-elle ! Oh là là, bien sûr que c’est drôle ! Madame !.. Comme ça… Avec son plumeau-à-houpette !
Elle trépigne ! Elle a des spasmes ! S’abat au travers du lit près de sa patronne ! S’y trémousse à araser ! S’y tortille de telle short (bien qu’elle n’en ait pas) que par les cornes de belles et buts, de belge et bu, de bêle zébu, de Belzébuth, des vapeurs ardentes m’emmitouflent les idées, me percutent la glandaille, m’époustouflent le sensoriel tante est si bien que je finis par lui bondir entre les bottes montantes.
Ce qui se passe alors défie l’entendement, mes braves vous tous. Je veux bien vous le relater mais alors pas dans les grandes lignes, dans les plus petites possibles au contraire, afin de ne pas choquer les vieux birbes qui, heureusement, ont la vue basse.
Figurez-vous, mes jeunes amis, que je la démarre de prime abord à la brutale. Façon papa-est-de-retour-de-sa-tournée. C’est la charge toute banale. Le cordonnier d’en bas ferait pas plus classique. J’en suis surpris moi-même. D’ordinaire on fiorit ! On prodique ! On atermoie ! D’autant que j’ai affaire à une professionnelle de grande classe, Adeline est à la prostitution ce que la Rolls-Royce est à l’automobile. C’est plus du moyen de locomotion pour le septième ciel, mais une philosophie !
Cet assaut de soudard la déconcerte mais ne lui déplaît point. Il est certain que sa mise en disponibilité de ces jours derniers lui chamboulait un peu le système. La sexualité c’est comme le reste : ça ne peut pas se permettre une période de vacation trop prolongée. Un haut-fourneau qui s’éteint, c’est un haut-fourneau foutu ! Autre chose ; je te prends un virtuose : vous voyez Rubinstein s’arrêter de clavioter, vous z’autres, pour faire du jardinage ou du vélo ? Mais ses doigts magiques se noueraient à m’sieur Arthur ! Une pute de grand style, elle doit faire ses exercices journaliers, sinon elle se rouille (et ne dérouille plus). Moi, Adeline, je sais que ça lui manquait son broquage-maison ! Le moteur d’une bagnole au repos se « gomme ». Alors, une bergère étudiée pour, vous imaginez les ravages de l’inaction ! Elle comporte plus de la même manière ! Elle « accroche », elle « dérape », elle « fuit ».
Bon, bien, Adeline, je lui décerne le parcours traditionnel. Séance de trot assis dans la grande allée cavalière. Une mise en condition, quoi ! Juste ce qu’il faut pour se consacrer vraiment à l’ouvrage, larguer les dernières amarres du réel. Seulement, bien vite après, je passe à un autre genre d’exercice. Oh, pardon, m’sieur l’abbé ! De l’ouvrage sérieux ! Tissé main ! Vous parlez que j’arrive en pays de connaissance de cause ! Un vrai billard ! À peine j’opte une initiative, mam’selle prend le relais aussi sec. Et avec quel brio ! Tenez, j’ai pas le temps de lui démarrer « Le Sauna finnois », elle envoie déjà la vapeur ! Je me propose de passer au vélocipède smyrniote (c’est une Turque qui me l’a enseigné) et elle se place d’emblée dans la position lycanthropique, cette fieffée louve. L’amour, dans ces conditions, ça devient vite un exercice de style ! Je dois être drôlement compétitif car elle se pique au jeu, Adeline !