Il se relève.
– À propos de baiser, de mettre et d’étalon, il faut que je rejoigne mon aimable partenaire, comme l’assoiffé retourne à la source ! Ma soif est inextinguible ! Marquise, vous ne serez pas venue pour rien !
Ayant proclamé, le digne Écossais disparaît.
— Ainsi, murmuré-je. C’était donc cela ton secret ?
— Textuel ! rengorge le Gros. Quand je m’ai rendu compte que ces deux dames faisaient chou blanc avec le guignolet du vieux, je me suis dit : « Alexandre-Benoît, y a qu’une personne au monde qu’est capable de ranimer ce pauv’ bonhomme. Et c’est ta Berthe dont la haute tension est si radicale que je mets au défi une momie de pouvoir lui résister ! » Alors, j’ai demandé à ma chère femme et néanmoins épouse de rappliquer. Les résultats, vous l’avez vu ! C’est pas du toc, hein ? Le père La Dorure s’arbore une sacrée tierce à pic en atout renforcé ! Mamma mia, ce mandrin ! Tu parles d’un levier de vitesse ! Tu pourrais y amarrer le France, au brave Mac !
Jusque-là, la marquise de la Lune s’est cantonnée dans une prudente réserve. J’ai suivi sur son noble visage le ballet des sentiments contradictoires. J’y ai lu tour à tour la stupeur, la jalousie, l’admiration, les regrets, l’envie, l’hébétude. Mais c’est une grande dame et qui sait s’incliner devant la suprématie d’autrui.
Elle va à Berthe, prend place sur une banquette de velours, près du siège de l’héroïne, et, furtivement, presque peureusement, prend la main baguée-Mac Heuflask de la Gravosse.
— Mon enfant, chuchote Mme de la Lune, ma chère petite fée, ma belle glorieuse, vous allez tout me dire…
Berthy accorde un regard prudent à l’insidieuse personne.
— Vous dire quoi t’est-ce ? demande-t-elle.
– À propos de votre méthode…
— Y a pas de méthode, répond dame Béru après un temps d’étude. C’est comme ça.
La marquise trémousse du valseur sur sa banquette pourpre. Le faux-fuyant de Berthe la met au supplice. Elle veut savoir ! On devine que désormais, le secret de la Baleine constitue sa raison de vivre. Le percer est le seul but de son existence. Elle l’a décidé. Elle y mettra le temps et le prix, mais elle saura.
— Voyons, vous avez nécessairement fait quelque chose au général ?
— Pas grand-chose, affirme modestement Berthe.
— Ce pas grand-chose fut néanmoins déterminant. Alors confiez-le-moi, ma chérie.
Berthe hoche la tête, puis se penche à l’oreille de Mme de la Lune.
— Quoi ! C’est tout ? se récrie la vieille prêtresse.
— Tout ce qu’y a de rigoureusement tout ! certifie la dame Bérurier.
— Voyons, vous oubliez probablement le principal. Un truc ! Une caresse particulière ?…
— J’oublie rien. Ce fut tel quel !
— Bien vrai ?
— Parole ! Pourquoi que je vous mentirais ? Je l’aurais belle d’esploiter la situation, de me pavaner la victoire ! Non, rien que ce que je vous dis. Et encore, pas longtemps. Dix minutes au plus…
La Marquise met la main sur son cœur, recule du buste pour trouver à sa vieille vue l’éloignement idéal permettant une contemplation parfaite de la Grosse.
— Alors, ma chère, murmure-t-elle. C’est plus important que ce que je pensais : vous avez un don !
— Et de deux ! gueule le général à travers la porte.
E comme…
Le lord chancelier va vous recevoir tout de suite ! me promet un huissier compassé (de mode).
Pourquoi ai-je le sentiment que cet homme est gêné ? Malgré son imperturbabilité anglaise, je crois déceler un je ne sais quoi d’inquiet sur cette face glabre et rose.
L’entrevue m’a été obtenue rondo par le big boss du Yard. Il ne m’a pas fallu une plombe pour revenir de chez le bienheureux général Mac Heuflask et pour me faire ouvrir les lourdes capitonnées de ce haut lieu qu’est la Chancellerie.
Ma raison d’être ici ?
Je vous la dirai un peu plus tard. Manière de vous faire composer en même temps que ce livre. Toujours est-il, vous l’allez voir, que ma visite à la môme Dusvivandy n’aura pas été inutile. J’avais raison, v’voyez ? Les zauteurs ne font rien gratuitement.
Oh, il ne s’agit pas d’une révélation à proprement parler. Pas même d’un fait précis… C’est beaucoup plus vague, plus fumeux. Il s’agit d’une réflexion de la jeune fille. Cette réflexion, le général l’a reprise à son compte tout à l’heure au moment de ses débordements d’allégresse. Moi, vous me connaissez ? Constamment en état d’alerte. Plus sur le qui-vive que le Strategic Air Command. Mon sub ne laisse rien passer.
La porte matelassée de cuir noir s’écarte et je vois sortir du cabinet de travail de Son Excellence le grand Chancelier, une petite rouquine, boulotte pour avoir trop boulotté, moche comme douze pékinois et passablement échevelée. Elle a une joue en feu, un accroc à sa jupe, une échelle de pompier à sa dégueulasserie de collant, et du rouge à lèvres jusqu’aux oreilles. Pas besoin d’avoir lu l’œuvre grivoise de la comtesse de Ségur pour piger que la miss vient de se faire caramboler facile sur un coin de burlingue ou un accoudoir de canapé. C’est le type même de la secrétaire qui s’est fait respirer entre un coup de fil et la signature d’une lettre. Elle a beau presser contre elle un dossier verdâtre plus austère qu’une veuve de pasteur et affermir sa démarche de girl-scout, un zig aussi averti que je le suis des choses de la vie ne s’y laisse pas prendre. Mon sourire égrillard lui fait détourner la tête et avancer le menton. Petite truffe, va !
— Si vous voulez bien me suivre, sir ?
L’huissier me guide dans l’immense pièce lambrissée. Ce qu’il y a de glandu, entre mille autres choses, dans le monde civilisé, c’est que tous les locaux d’apparat se ressemblent. Un burlingue de ministre anglais, hollandais, hongrois ou italien ressemble comme un jumeau à un bureau de ministre russe, grec ou français. C’est partout les mêmes hauts plaftards, les mêmes moulures dorées, les grandes glaces gentiment piquées, les canapés en faux Louis XV, voire XIV, les tapis en faux Chiraz, les faux Rembrandt aux murs et les vraies plantes vertes (mais qui paraissent artificielles) dans d’énormes cache-pots de porcelaine, gais comme des urnes funéraires.
Le chancelier est un tout petit bonhomme à tête de marteau de cordonnier, affligé d’un tic qui lui fait tordre la bouche à la fréquence de deux contractions par seconde.
Il se lève pour m’accueillir, ce qui me permet de constater que sa braguette est moins bien boutonnée qu’une veste de clown. On relève des traces de rouge à lèvres sur son crâne chauve, lequel ressemble à un paquet dûment composté.
— Comment allez-vous ? me dit-il.
— Mes respects, monsieur le chancelier, lui réponds-je.
Son encrier a été renversé et c’est le buvard du sous-main qui a dégusté.
Il m’indique un siège.
— Vous êtes un inspecteur du Z.O.B., paraît-il ?
— En effet, Excellence. J’enquête à propos du désagrément dont souffrait votre prédécesseur. Je dois vous révéler qu’à la date d’aujourd’hui les pénibles effets de la chose ont cessé et que sir Mac Heuflask est redevenu parfaitement normal !
— Dieu soit loué ! s’écrie le chancelier (du damier). Ne plus pouvoir faire l’amour est une chose horrible. C’est si bon, l’amour ! Oh, que c’est bon ! C’est bon ! C’est bon !
Le voici qui se trémousse et appuie sur le cliquet d’un parlophone.
— Dorothée ! s’écrie-t-il, revenez tout de suite !
Son corps est agité d’un tremblement. Il claque des chailles et roule des lotos hallucinés. Je comprends à présent la gêne de l’huissier. Il m’est avis, mes bien chers drôles, que ce nouveau chancelier subit le même sort que son devancier. Il en est à la phase évolutive, celle de la frénésie.