Vague, non ?
Mais important, sûrement. Rien que le mot séminaire déjà…
Car il ne s’agit pas d’un congrès prévu longtemps à l’avance. Un congrès, la plupart du temps, c’est un grave prétexte permettant à des gens dont les occupations sont ennuyeuses de faire la foiridon sous d’autres cieux au nom d’une bonne cause. D’ailleurs, ne nous y trompons pas, jadis le mot voulait dire « union sexuelle », si son sens s’est quelque peu élargi depuis, il n’en conserve pas moins sa signification originelle.
Donc, y a pas congrès.
Mais séminaire.
Amen !
Comme les converses tournent doucement au brouhaha, biscotte le champagne (tout ce qu’il y a de brut pour les gosiers étrangers), le vénéré Big Boss prend simultanément du recul et la parole afin d’inviter ses hôtes à passer dans la pièce voisine, là où les sièges ne sarabandent plus le long des murs, mais sont groupés en un essaim compact.
Cette deuxième salle est celle des débats.
Une estrade s’y dresse, laquelle supporte une table Louis XV garnie d’un tapis vert qui vous flanquerait envie, mesdames, de jouer au billard pour peu que vous ayez une queue à la main.
M’est avis qu’on va foncer dans le gras de la question. Fectivement, Pépère gravit les deux marches de l’estrade au côté d’un petit vieux dont la tronche ressemble à un champignon (le côté vesse-de-loup pas encore tombée en poussière).
— Messieurs, dit-il, si vous voulez bien prendre place à votre gré…
Il désigne le troupeau de chaises, promène sur les assistants un regard aussi souverain que pontife, puis il sourcille et, après s’être excusé auprès du vieillard mycodermique, se précipite à la porte où je l’entends tonner :
— Bérurier ! Vous finirez les restes plus tard !
— V’là ! V’là ! répond une voix qui n’est pas sans évoquer l’hélice d’un navire enlisée dans de la vase.
Au bout de très peu de moments, Sa Majesté se pointe en catiminette, les fouilles bourrées de bectance, avec une boutanche de rouille sous la veste.
Il cherche une place libre, en avise une à quelques encablures de moi et s’y pose pour un semi-bivouac.
Le dirlo agite une sonnette d’argent pour solliciter le silence d’abord et par voie de conséquence, l’attention.
— Deuxième service ! se croit obligé de souligner Alexandre-Benoît.
Je me dis que voilà un garçon qui ne fait rien de positif pour son avancement. Si : sa besogne. Mais dans la vie, il ne suffit pas d’accomplir son devoir, il faut aussi, et peut-être surtout, l’orner de fioritures. Ce qui fait la réputation d’un chef de cuisine, ce ne sont pas ses grillades, mais ses sauces. Moi, si j’avais des chiares, j’en ferais des apprentis sauciers[1].
— Messieurs, fait le Vieux, vous me pardonnerez de m’exprimer en français, mais ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et comment pourrais-je être plus clair qu’en utilisant ma langue maternelle ? Pour les participants qui ne la comprendraient pas (ici il marque un temps pour laisser son mépris lâcher un jet de vapeur) des écouteurs sont prévus. Vous les trouverez sous votre siège.
— Comme dans les zincs, la ceinture de sauvetage, ricane le Mastar en engouffrant un sandwich auvergnat à base de jambon et de pain bis.
Quelques collègues anglais s’harnachent. Un Allemand s’apprête à les imiter, puis se souvient qu’il a travaillé jadis comme arracheur d’ongles à la gestapo de Lyon et fait confiance à sa mémoire.
Le calme revient.
— Messieurs, attaque enfin notre bien-aimé directeur, l’objet de cette réunion extraordinaire va de prime abord vous surprendre car, a priori, il semble échapper à notre compétence. Il paraît, en effet, relever plus de la médecine que de la police. Et pourtant !
Il croise ses mains de prélat, fait doucement craquer ses jointures arthritiques et répète plusieurs fois, avec une voix de pensionnaire de la Comédie-Française :
— Et pourtant ! Et pourtant ! Et pourtant !
Voix de Béru, que l’on devine un peu beurré, déjà.
— Et pourtant, pourtant, je n’ai-aime que toi !
Façon Aznavoche modifiée pionard.
Le Dabe en bleuit de rage.
— Bérurier ! fulmine-t-il, je me demande si votre présence ici est souhaitable ?
— Faut voir, répond placidement le pris-à-partie en se téléphonant dans la margoule un canapé au foie gras qu’il avait remisé dans la poche supérieure de son veston, comme une brave grosse fourmi prévoyante (je parle d’une fourmi qui serait endimanchée). Son calme n’a rien de provocateur. Il y a quelque chose de disponible au contraire dans la réplique. Une gentillesse confondante, suprême, à laquelle le Big Boss se soumet.
— Messieurs, reprend-il en tirant nerveusement sur ses manchettes, quelque chose de stupéfiant, de terrible, se développe actuellement en Europe occidentale. Un fléau aux conséquences incalculables ! Le mal croît ! Il chemine ! Au début, cela s’est traduit par quelques rapports médicaux, assez banals. Mais devant la répétition de l’événement, la Faculté s’est émue. Elle a dû admettre son impuissance (si j’ose dire) à tirer des conclusions valables à propos du phénomène, dont je laisse le soin au professeur Connel O’Broshett, ici présent, de vous dire ce qu’il est. Je vous rappelle — mais en est-il besoin ? — que le professeur Connel O’Broshett de la faculté de Dublin est l’un des plus grands sexologues mondiaux actuellement vivants !
— L’a pas une frime à potasser la question, pourtant ! grommelle Béru.
Fort heureusement, le vieillard à tête de champignon de fausse couche ne l’entend pas et attaque d’une petite voix fluette à l’accent britannique très marqué :
— Messieurs, depuis bientôt un an, des cas d’impuissance sexuelle tout à fait anormaux se multiplient en Grande-Bretagne, en Belgique, en Allemagne de l’Ouest, en Suisse, en Italie et en France. J’ai cité ces pays dans l’ordre de manifestation du phénomène. Cette impuissance affecte des individus qui ont pour point commun leur situation sociale. J’entends par là que presque tous occupent des postes importants dans la vie politique ou économique de leur pays. Des membres du gouvernement, des directeurs d’entreprise, des chefs d’industrie sont frappés par ce mal étrange dont je vous laisse à supposer combien il affecte le moral de ceux qui en sont atteints.
— Tu parles, Auguste ! Quand t’as Popaul en berne ton thermomètre à gamberge doit vachement dévaler la pente ! souligne l’Éminent.
— Autre chose, continue le Champignon, l’âge des intéressés n’est pour rien dans l’affaire puisque cette impuissance atteint parfois des sujets âgés de trente-cinq ans. Elle se traduit de la façon suivante : première phase un appétit sexuel décuplé. Le… malade, puisqu’il faut l’appeler par son nom, est pris d’une frénésie érotique qui l’amène aux pires déviations sexuelles. À cet état de transe succède une spermatorrhée très abondante. C’est-à-dire que le patient subit des pertes séminales involontaires. Ensuite de quoi c’est l’impuissance pure et simple. Les examens les plus poussés, les analyses les plus fréquentes, les tests les plus hardis n’ont apporté aucune solution à ce fléau d’un nouveau genre, aucune explication non plus quant à son origine. Et si les hommes atteints de cette affection n’appartenaient pas à une catégorie donnée de citoyens, nous serions tentés de croire qu’il s’agit bel et bien d’un mal nouveau à caractère endémique. Seulement, messieurs, les faits sont là : l’impuissance précoce frappe une élite donnée, d’où nous avons été amenés à conclure qu’il s’agissait d’un monstrueux attentat contre les forces vives de nos pays. Par conséquent, il est souhaitable que toutes les polices des nations concernées entreprennent une enquête serrée pour arriver à trouver les sources du mal. Nos laboratoires travaillent fiévreusement à essayer d’identifier la cause de cette impuissance, à vous de découvrir l’esprit satanique qui use d’une telle arme. Si vous avez des questions à me poser, je suis à votre disposition.