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Alors il attend les vendredis pour se libérer…

Ça lui fait cinquante et un jours de détente dans l’année car, comme il est bon catholique, il s’abstient « d’assaisonner » ses nouilles le Vendredi saint.

Ainsi parla la marquise…

PÉRIODE BELGE

F comme fichtre

Une ribambelle de gosses s’envolent à notre entrée comme des pigeons dérangés. Notre groupe les a effrayés. Ils sont partis si vite que nous n’avons pas eu le temps de les compter. Mais ils étaient nombreux. Le surprenant c’est qu’ils semblaient à peu près tous du même âge, ce qui est rare pour les mouflets d’une même famille.

— Dommage que nous les ayons effarouchés, déplore la marquise, ils paraissaient mignons.

Le Mastar n’est pas de cet avis.

— Mignons mes fesses, madame la marquise. Les chiares, quand ça grouille, c’est un fléau. Au début vous leur faites des sourires pour les désintimider, et au bout de dix minutes ils vous pissent contre et vous bombardent d’épluchures en vous traitant de pourris. Plus fumelards que des hommes ! Tous des petits monstres. Moi, quand je me demande la période honteuse de ma vie, y a pas, j’sus obligé de plonger dans ma petite jeunesse. De Dieu, toutes les saloperies que j’ai pu commettre : la merde fraîche dans les chaussons de grand-mère, les crapauds dans le bénitier de not’ église, la bagnole du vieux boulanger dont avec laquelle y f’sait ses tournées et que je dégonflais les boudins ! Une vieille carriole haute sur pattes comme une jeune biche et qui reniflait bon le pain chaud. Elle avait un marchepied où qu’on grimpait en groupe. On volait des miches au père Thévenon… Lui, miraud, avec des lunettes épaisses comme des soucoupes, plus embuées que la fenêtre les jours d’hiver, y s’apercevait de rien.

La porte s’ouvre vivement et un homme svelte, un peu quinquagénaire sur les bords, portant une barbe fournie en poivre et en sel et admirablement taillée (tout comme son complet Lapidus d’ailleurs) fait une entrée preste dans le grand salon.

Notre nombre l’arrête dans son élan. Il se fige et nous examine d’un œil qui fait de louables efforts pour rester bienveillant.

Il a une inclination de buste, plutôt brève. Son élégance vestimentaire est à la mesure de son élégance de maintien. Il a le geste qui baigne dans l’huile. Quelque chose d’harmonieux éclaire sa personne. Son regard sombre est encore assombri par de longs cils.

— Vous êtes ensemble ? demande-t-il.

— Oui, monsieur, fais-je en m’avançant vers lui, la main tendue. Commissaire San-Antonio, délégué au Z.O.B.

— Van Danlesvoyl, répond-il en pressant sinistrement ma dextre.

— Permettez-moi de vous présenter mes collaborateurs. Madame la marquise de la Lune, Monsieur et Madame Alexandre-Benoît Bérurier.

Il se réincline.

— L’on ne m’avait pas dit que des dames faisaient partie de votre équipe, déclare le maître des lieux avec un tantinet de morosité.

— Elles sont ici à titre officieux, monsieur Van Danlesvoyl. Puis-je vous entretenir en particulier ?

Il se détend, soulagé.

— Avec plaisir. Passez dans mon bureau…

Avant que nous ne sortions, la marquise de la Lune juge bienséant de lui décocher un compliment.

— Nous avons aperçu un groupe de bien charmants enfants, sont-ce les vôtres ?

Notre interlocuteur lui fait cette surprenante réponse :

— Ils portent mon nom, en effet !

Mais, de toute évidence, il n’a pas envie de s’étendre sur le sujet et me guide dans la pièce voisine. Le bureau est douillet, dans les teintes vieil or et bleu roi. Admirablement meublé. Feu de cheminée de cinéma. Des canapés profonds comme des tombeaux égyptiens… Je découvre un énorme chat persan endormi sur un coussin, il est si parfaitement immobile qu’on pourrait le croire naturalisé.

Mon hôte me désigne deux petits canapés de cuir disposés à l’anglaise devant la cheminée.

— Mettons-nous là, nous serons mieux pour deviser.

Je prends place. Lui en face de moi. Il croise les jambes. Sa main droite se pose comme une colombe sur son genou. Il a les cheveux longs, un peu frisottés sur le derrière de la tête et ressemble à un buste d’Épicure que j’ai beaucoup aimé.

Je louche sur les toiles accrochées aux murs. Un Juan Gris, un Gromaire, un Braque, le tout merveilleusement encadré (ce qui est rare). Je désigne une œuvre dont la facture m’est inconnue.

Ça représente un grand verre stylisé, empli d’un liquide noirâtre couronné d’un nuage blanc.

— De qui est cette chose, appelée Clematito ?

— De notre affichiste, répond-il. Peut-être l’ignorez-vous, mais je ne dirige pas seulement les Aciéries de Burneville, notre famille possède également la bière Clématite[18], les sucres d’Horges et les Messageries Transocéaniques Parlefont.

— Fantastique ! exclamé-je. Toute bière mise à part, vous êtes un gros brasseur d’affaires.

Il sourit menu. Ce genre d’humour ne lui a jamais effacé la moindre ride.

— Bon, si vous me racontiez vos ennuis, cher monsieur Van Danlesvoyl ?

— Je suppose que vous les connaissez ? Mon cas n’est pas isolé à ce que m’a appris Van Tozansher, le grand patron de la police bruxelloise.

— Il est indispensable que vous me racontiez les faits dans leur ordre chronologique.

— Bvouuuh, la corvée ! soupire le Belge. Prenons un verre, ça facilitera les choses… Scotch ou champagne ?

— Scotch.

— J’ai un truc écossais plus vieux que moi et bien meilleur, déclare Van Danlesvoyl. Tu nous sers deux spéciaux, Dodo ?

À ma vive surprise, un grognement retentit dans la pièce. Je vois surgir d’un canapé le buste d’un bel éphèbe blond porteur d’une chemise mauve à fleurettes blanches. La chemise n’est pas boutonnée, découvrant le torse glabre du garçon. Il a les tifs décolorés, des yeux bleus, pathétiques à force d’exprimer le vide intégral, et il porte un collier d’or à grosses mailles.

— On peut pas lire tranquille, alleï, grommelle cette semi-gonzesse en clapant de la langue.

Il jette son numéro de Spirou sur le plancher et se dirige vers une cave roulante en tortillant du croupignon.

La vue de cette fausse demoiselle déguisée en faux jeune homme m’en révèle long comme la rue de Vaugirard sur les mœurs de mon hôte.

Celui-ci capte mon regard et sourit.

– À quoi bon tricher avec vous, puisque vous êtes ici pour étudier l’aspect le plus intime de ma vie ? murmure-t-il. Oui, Dodo est ma petite amie.

– ÉTAIT ! rectifie aigrement l’éphèbe en servant ses whiskies.

— Méchante ! proteste Van Danlesvoyl.

Immédiatement, ses beaux yeux s’embuent.

— C’est vrai que les choses ont bien changé, soupire le brasseur-aciéreur-armateur-sucreur.

— Tu parles, Poldy ! grince la tantine.

— Mon prénom est Léopold, me dit Van Danlesvoyl, comme pour justifier le diminutif qui vient de lui être donné.

Dodo puise de ses doigts fuselés d’énormes cubes de glace dans une énorme poire métallisée. Il les jette dans nos verres et nous les apporte de sa démarche louvoyante. Il est outrageusement parfumé. Je distingue un soupçon de rouge très pâle sur ses lèvres charnues.

— Vous voulez un doigt de flotte, ou vous le prenez sec, comme un grand ? me demande-t-il en me coulant une œillade à 220 volts.

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18

Certaines gens croient saisir toutes mes astuces. Les pôvres ! Si un seul parmi vous trouve celle-ci, bien que j’attire votre attention dessus, qu’il m’écrive, je lui enverrai un porte-clé représentant Béru.