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— Vous faites beaucoup de cheval, n’est-ce pas ? je questionne.

— Au moins deux heures par jour.

— Alors ne cherchons plus : on vous a farci votre selle. Qui s’occupe ici de votre sellerie ? (surtout ne pas ajouter « rémoulade », sinon on ne me prendra plus au sérieux).

— J’ai un chef de manège, mais cette selle m’a été offerte il y a quelques mois.

— Par qui ?

— Une ravissante fille brune pour qui j’ai eu quelques faiblesses et quelques bontés. Elle m’a fait jurer de ne plus utiliser désormais une autre selle, en souvenir d’elle.

« Une fille brune. »

— Ne s’appelait-elle pas Frida Kramer ?

Alors là, le tuméfié en reste comme deux tranches d’ananas au sirop dans une soucoupe de drugstore.

Son œil violacé proémine de plus en plus et son nez sanguinole d’abondance.

— Vous connaissez son nom ?

« Parbleu, me dis-je : pourquoi en aurait-elle changé, la petite panthère noire, qu’avait-elle à redouter ? Elle faisait sa tournée des piles sous un pseudonyme, pensant, son service accompli, récupérer sa véritable identité. »

— Vous le voyez. Elle était allemande, n’est-ce pas ?

— Exact.

Il fait mine de rajuster un monocle imaginaire par-dessus son aubergine.

— D’ailleurs, à l’époque de ma virilité, je ne faisais l’amour qu’avec des Allemandes. L’homme doit se montrer nationaliste avec sa semence plus qu’avec le reste.

— Où l’aviez-vous connue ?

— Dans un restaurant, près de mes usines, où je vais grignoter une choucroute de temps en temps.

— Auriez-vous une photo d’elle ?

— Bien sûr : et une superbe encore ! Je l’ai photographiée sur cette piste, entièrement nue sur un cheval nu. De toute beauté, j’ai fait agrandir !

— On peut admirer ?

— Certes !

Il donne l’ordre à un assistant qui se retient de rigoler (because la hure du boss) d’aller chercher le cliché.

— L’adresse du restaurant où vous la connûtes ?

— Le Gay Berlin, Destruktionstrasse.

— Où habitait cette ravissante amazone ?

– À l’Hôtel des Quatre Saisons, face au lac, à Hambourg.

— L’avez-vous vue en compagnie d’amis ou d’amies ? Vous a-t-elle présenté un garçon balafré qu’elle assurait être son frère ?

— Non. Je ne l’ai jamais vue que seule ! Au lit, c’était une affaire kolossale !

Il réfléchit. Le raisin lui dégouline sur le jabot, puis sur sa culotte de peau blanche. Il n’en a cure. Tout doucettement ses méninges achèvent de se remettre en place, du moins à la place qu’elles occupaient avant l’accident, ce qui implique nullement que c’eût été la bonne.

— Donc, cette petite gueuse est venue me pêcher à mon restaurant dans un but déterminé, fait-il.

— Bien sûr, mon vieux Von, soupire Béru. Si tu t’imaginais que ce fut pour ton beau monoc’ du dimanche, tu t’gourais. Elle voulait seulement mettre ton usine à trique en chômage. V’là pourquoi qu’é t’a offert c’te selle d’agneau façon Bluff-Allô-Bill. Quand elle s’est aperçue que tu chevalais tous les jours, la mâtine s’est dit : « V’là la manière rêvée de lui plomber les farceuses ». Bien gambergé, une fois de plus. Ensuite de toi, elle est été faire le coup de la manucure à une brave fiote de Bruxelles. En v’là t’une qui jugeotait de la coiffe, espère !

Le garçon de piste me rapporte la photographie demandée. Pour la première fois, enfin, je vois la fameuse Frida. Vous m’objecterez que je l’ai vue en saponification et en os, pas plus tard qu’il y a quéques jours, chez Mamie Van Triloock, oui, certes, seulement ce qui mijotait dans la cantine du grenier ne me donnait pas une idée très précise du personnage. Tudieu, l’admirable personne ! Superbe ! Altière ! Le regard ardent, la bouche sensuelle, les traits énergiques, l’ovale parfait, la chevelure courte.

— Vous permettez ? fais-je à Von Dârtischau, en tirant mon couteau suisse de ma poche.

L’Allemand ne répond pas. Agenouillé sur la terre poudreuse, il fait rouler d’une main l’autre la petite pile au couillognum. Elle semble le fasciner.

Profitant de son inattention, je dégage la partie ciseau de mon atelier portable et m’empresse de prélever le visage de la défunte Frida.

— En somme, murmure Von Dârtischau, voilà l’origine de mon impuissance ?

— Textuel, assure le Mastar. C’est pas gros, hein ? On dirait une capsule de gaz pour siphon. Tripote-la pas trop, Von, qu’autrement tu vas encore mollusquer du chibroque et que ma Berthe sera pas toujours à tome pour te remettre sur les rails.

Loin de tenir compte de cet avertissement, l’industriel porte la pile à ses lèvres et la baise.

— Enfin, la voilà, balbutie-t-il. Ô cher objet de mon affranchissement ! Ô pile libératrice qui m’a dégagé des tristes servitudes humaines ! Ô cher petit miracle toujours à disposition ! Qui me l’a retrouvée ? Lui ! s’écrie-t-il en me désignant !

Il accourt, les mains tendues et me shake les hands vigoureusement.

— Merci, vous ! Je dépose à vos pieds des monceaux de gratitude ! Vous êtes mon sauveur ! L’archange venu de la douce France, si chaude et si dorée. Holà, mes gens ! Qu’on appelle mon secrétaire, d’urgence ! Vite ! Il devrait déjà être là. Et ma femme de chambre ! Schnell ! Schnell, nom de Dieu ! Ah ! mon ami ! que de reconnaissance je vous dois ! Dites, pendant la guerre, aucun membre de votre famille n’habitait Grenoble ? Non ? Juré ? Ah ! bon ! j’ai fait fusiller une partie de la population et ça me chagrinerait tellement de penser qu’un des vôtres aurait pu figurer sur la liste. Un être comme vous, quel bonheur ! Ah ! voilà ma femme de chambre ! Gretta, continue-t-il en allemand moderne, prenez de quoi ravauder et cousez d’urgence cette merveilleuse petite chose dans mon slip !

Il brandit la pile.

— Ce sera votre travail, tous les soirs, tous les matins… Le soir vous la coudrez dans mon pantalon de pyjama, le matin dans mon slip. Vous ne ferez plus que ça. Voilà vos fonctions désormais : couseuse de pile. Je vais vous augmenter. Doubler votre mois. Non ! Le tripler ! Je ferai installer la télévision dans votre caravane. Votre vieille mère aura une pension. Tenez, prenez-la délicatement. Ne la perdez pas surtout ! Ne la laissez pas tomber. Que je constate la moindre avarie sur ce merveilleux objet et je vous fais fusiller ! Après tortures ! Hmmm, y a bon, tortures ! Électrodes ! On a des groupes électrogènes puissants, ici ! 220 V ! Fssst ! Elektrokutée ! Kaputt ! Ah ! voici mon secrétaire ! Herr Kommissaire, je vous présente Otto Didakte, Otto, vous ferez livrer une douzaine de Dolorès-Gode à monsieur, prenez son nom et son adresse ! Mettez-lui un exemplaire de chacun de nos modèles. Et vous paierez les droits de douane à ces sacrés salauds de chers et braves amis français. Toutes leurs dégueulasseries de taxes, y compris leur infection de T.V.A. ! Acht ! La vignette aussi ! Renseignez-vous, j’en oublie sûrement, en France ils consacrent tous leurs revenus à leur voiture. Je ne veux pas que ça lui coûte un seul franc, même français, à ce cher excellent Kommissaire. Allez, schnell ! Exécution, comme on disait pendant la guerre ! Ha ! Ha ! Exécution ! Prévenez l’orchestre qu’il devra jouer La Marseillaise à l’apéritif. Si mes musiciens ne la savent pas, qu’ils l’apprennent. Une seule fausse note, vous m’entendez, Otto ? Une seule fausse note et le chef sera fusillé ! Non ! pas fusillé : je lui ferai écraser la tête entre les deux cymbales ! Comme ça : boum ! boum !