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J’arrache l’ultime tiroir du burlingue. La violence de mon geste le vide comme s’il s’agissait d’un seau d’eau. Une pluie de photographies se répand à mes pieds. Ah, princesse, quel vertige ! Non, pincez-moi, je rêve ! Ces images… Si vous saviez… Attendez, je dois rancarder Béru d’abord, c’est normal. Si je vous écoutais, faudrait vous bonnir l’historiette avant de l’avoir inventée. Un de ces quatre j’y arriverai, promis. Par télépathie. Je vais m’éduquer en conséquence, de manière à ce qu’un jour vous n’ayez plus qu’à m’adresser un virement pour que je vous transfère mes zœuvres de cerveau à cerveau. Les cellules grises communicantes ! Ça oui, ce sera la grosse révolution dans l’édition. Notez qu’on pourra pas feinter pour autant les éditeurs : fissa ces messieurs nous placeront un compteur Chproutz sur la coiffe pour contrôler nos émissions. Mieux, je vous l’annonce, ils organiseront le trafic eux-mêmes. On aura un standard exprès qui annoncera : « M. le Curé de Romorantin voudrait que San-Antonio lui télépathe « Un éléphant ça trompe » à 14 h 30 précises. Mettez vos trente francs dans le biduleur à basse fréquence, monsieur le curé ! Merci. Et maintenant réglez votre montre à l’heure Fleuve Noir. Au troisième pope il sera exactement neuf heures quarante-cinq. Terminé ! » Ou bien : « Le colonel Neux de la Teste de Mont sera en réceptivité ce soir à dix heures pour capter le futur dernier Coplan. Les frères Kenny sont priés de ne pas penser tous les deux en même temps car, depuis le précédent télépathing de ces auteurs le colonel est devenu bègue. »

Moi, l’avenir, je le discerne, par bribes, éclairs. J’ai des fulgurances, mes braves. Le rideau de brume s’écarte de temps à autre pour me dévoiler les grandes vérités de demain. Je prévois le salut par la dictature de l’ordinateur. Pas moyen de s’en tirer autrement. On est allé trop loin dans l’inconséquence. On s’est déjà poussé hors de nos limites. On vit trop en plein dans un univers où les constructeurs d’autos s’opposent à ce qu’on interdise la circulation dans Paris pollué et ankylosé. Tous les magiciens de la salope à quatre roues nous auront pilotés aux abîmes, le pied au plancher, les yeux béants sur le graphique de leur production. Sans voir plus loin que le petit quadrillé qui attend au bout du trait sur leur courbe ascendante. Et pas qu’eux… Tellement d’autres encore qui fabriquent n’importe quoi pour n’importe qui en déféquant sur les conséquences. Vous impatientez pas à propos des fameuses photos citées en référence quéques paragraphes plus haut. Ça va venir. Au paravent faut que je me dégorge des giclées de rancœur qui m’encombrent.

Je les trouve tellement gueux, les voraces qui nous suicident. Sublimes presque de témérité. Les Saint-Cyriens de 14 qui chargeaient en gants blancs et plumet au vent ? Des pleutres à côté d’eux ! Ces bons salingues organisent délibérément l’anéantissement de notre civilisation. Ont-ils l’impression de ne pas en faire partie, ni leurs enfants ?

Ont-ils des planques, hors planète, qui les attendent ? Et où le fric aurait encore cours ?

Ah, merde, qu’ils continuent ! Plus vite on aura fait faillite, plus tôt on recommencera. Dans la vie, le bon se situe toujours à la période des recommencements. Ensuite ça tourne caca et vinaigre. L’homme, ses bonnes intentions c’est comme ses slips : il ne peut pas les garder propres très longtemps.

— Ben, t’en pousses une bouille, Mec, ricane le Gravos, c’est ces photos qui te font de l’effet ?

— Viens un peu les mater, mon père, lui réponds-je, et je te parie une tarte aux fraises qu’elles t’en feront aussi.

Je devrais dire « qu’elle t’en fera » car ces photos en réalité ne sont que la reproduction d’un même cliché.

Un cliché qui représente Berthe Bérurier.

De face !

Souriante.

Les stances de la marquise

Avant que vos amis vous parlent par ma voix, souffrez que j’ose ici me flatter de leur choix, commissaire. Et laissez-moi les remercier de leur confiance. Ils ont senti en moi la consolatrice-type et je leur en sais gré. Il est vrai que chez une femme ayant consacré sa vie à l’amour, les paroles apaisantes naissent plus spontanément que chez d’autres fatalement frivoles puisque plus éloignées de LA préoccupation majeure du genre humain.

Ne considérez point comme un échec cette fuite du bandit blond, car vous me permettrez d’appeler bandit, n’est-ce pas, un homme qui a le triste courage de déviriliser ses contemporains. Oh ! comme je voudrais lui voir appliquer la rude loi du talion ! Comme elle serait méritée dans son cas ! Bon, Peter Blut a réussi à s’enfuir. Selon la police allemande, il aurait quitté son pays à bord d’un avion particulier dont la destination était le Danemark. Il n’importe. Cet homme, mon doux commissaire, vous l’avez démasqué ! Vous, et nul autre ! Et il sera retrouvé, tôt ou tard ! En ce moment, vos collègues[31] germaniques explorent son domicile, interrogent ses relations, mettent son passé en charpie pour découvrir les rameaux de ce méchant arbre.

Ils y parviendront. Croyez-moi, un coup vient d’être porté à cette infernale organisation. Mortel, je présume ! Le membre d’une bande identifié, c’est la maille qui file à un bas. D’ici peu de temps, se produira « l’échelle » à travers laquelle vous apercevrez la peau nue.

Reste un mystère qui nous est personnel à élucider : les photographies de notre très chère Berthe. Je reconnais ma perplexité. Pourtant, une lueur me vient, bel ami. Une suggestion. Fragile ! Insensée. Je vous la livre sans barguigner car la familiarité vraie c’est de pouvoir tout se dire. Supposez que le réseau Couillognum ait eu vent du don de Berthe. Hmmm ? Qu’on ait appris en haut lieu la facilité avec laquelle notre chère chérie répare ce que la médecine jusque-là estimait irréparable.

Vous me suivez bien tous ? Pour le coup, Mme Bérurier devient pour eux un personnage d’une singulière importance puisqu’elle peut neutraliser leurs basses — ô combien ! — et impitoyables manœuvres. Elle est l’ENNEMIE, en majuscules d’imprimerie. Si mon raisonnement se tient, mes bons enfants, nous nous trouvons dans une situation inversée. À savoir qu’au lieu de poursuivre, c’est nous qui risquons d’être poursuivis. Ou du moins Berthe. Les gens de la Couillognum Society ne supporteront pas qu’elle piétine ce que je n’ose appeler leurs plates-bandes. Ces vilains ont compris notre tactique : enquêter auprès des impuissants particuliers. Ils s’apprêtaient, sans doute sur l’initiative de Peter Blut, à diffuser le portrait de la chère infirmière dans l’entourage de ceux qui nous restent à voir. Par conséquent, visitons-les. Et surveillons Berthe ! De très près ! Désormais, elle est l’appât.

Alors, bon appétit, messieurs !

Où m’avez-vous dit que se trouvait notre prochain « client », commissaire ?

Ah, oui, en Suisse ! Un chef d’orchestre réputé, n’est-ce pas ? Son nom ? Oskar Hamboler ? Connais pas. Et pourtant, je suis mélomane. Il est vrai que la gloire est à deux dimensions. Il existe la gloire locale et la gloire universelle. Elle n’ont rien de commun. Les gloires universelles sont souvent les moins connues. Elles ricochent d’élite en élite sans atteindre la masse. Il vaut mieux être un grand chez soi qu’un petit chez les autres, car les autres, somme toute, c’est le superflu de l’existence, la figuration confuse… Cet Oskar Hamboler doit probablement rameuter les foules suisses lorsqu’il se produit. Mais existe-t-il une « foule suisse » ? Voilà deux mots qui ne paraissent guère mariables. La Suisse, c’est une unité composée d’une foultitude d’unités. Elle est divisée mais une. Je la connais bien, allez ! Candide et rusée à la fois. Charitable et grippe-sou. Paysanne somme toute. Voulez-vous que je me permette une image baroque ? Eh bien, moralement, ses montagnes sont à plat. Cela paraît farfelu comme définition, mais je me comprends. Le Suisse vit à l’horizontale sur ses pentes. Il n’a pas le pied montagnard : il a le pied marin, et c’est ce qui fait sa force ; car la véritable force d’une nation ne réside ni dans son armement ni même dans sa culture : elle se trouve dans les pieds de ses habitants. Il y a une manière de fouler son pays qui fait qu’on en est le propriétaire ou seulement l’occupant. Le Suisse a un pas de propriétaire. Il n’est pas de passage : il est là !

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31

Ici j’aurais pu écrire collogues, pour faire la réplique à mon néologisme précédent, mais il aurait prêté à confusion, ce mot existant déjà !