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Si je vous avouais… Ça me fait tout guilleret d’aborder un musicien. J’imagine que l’impuissance dont « le nôtre » est frappé ne doit pas tellement perturber sa vie, la vie d’un musicien étant la musique… Chevillée au corps, mes très chers ! Che-vil-lée ! Un exemple ? Mais alors un pur, un vrai ?

Soit ! Vous l’aurez voulu.

Imaginez que j’ai compté un temps, parmi mes pratiques, un violoniste fameux.

Peu porté sur la chose, je vous le dis tout net. Veuf, il venait chez moi avant chacun de ses concerts, comme un jockey se purge pour faire le poids. Il avait besoin de solder tous les arriérés avec son corps afin d’être pleinement disponible et de pouvoir intégrer son âme à celle de son Stradivarius. À la même époque deux messieurs fréquentaient mon appartement. Très assidus. Un gros bonnetier, riche à périr, et son secrétaire, jeune homme aux mœurs indécises. Ces deux messieurs n’étaient pas à proprement parler homosexuels, bien qu’ils se livrassent parfois à des ébats qui eussent pu le donner à penser. Le patron était plutôt un blasé et son collaborateur un insatisfait. Les femmes ne l’émouvaient pas, et les hommes le laissaient incomblé. Dure clientèle que celle-là, mais exaltante, commissaire. Il faut faire montre d’invention, d’originalité, d’audace. Trouver du nouveau, encore et toujours. Réformer, rénover, oser ! J’aime !

Bref, un après-midi que mes bonnetiers débarquent, le regard en point d’interrogation, je leur annonce que nous allons procéder à une petite expérience relevant du domaine de la physique. Le matériel en est des plus simples : une grosse olive de plastique à laquelle est fixée une corde à violon. Le « sujet » loge l’olive dans une partie de sa personne que le corps médical réserve habituellement aux thermomètres et autres suppositoires. Ensuite de quoi il se contracte. Un partenaire complaisant doit alors tendre la corde au maximum et promener un archet dessus. Il en résulte des vibrations d’une délicatesse infinie qui, généralement, comblent d’aise le patient.

Mon idée charme mes visiteurs.

On se met en place pour le récital. L’opération commence. L’aimable secrétaire nous déclare aussitôt sa joie, ce qui provoque la mienne, ma conscience professionnelle étant ce que vous savez. Soudain la porte s’ouvre à la volée. Qui voyons-nous surgir, le cheveu en bataille comme au plus fort d’un concerto, dans ses caleçons longs de violoniste ? Monsieur… Pardon, étourdie, j’allais lâcher son nom ! et ne me le serais pas pardonné. Oui : notre virtuose. Je l’ai encore devant les yeux, d’une précision totale. Son regard survolté ! Sa pâleur… Le tremblement de ses lèvres. Sa poitrine haletante. « Et moi qui pensais à un yukulele ! finit-il par s’exclamer. Ou peut-être à une cithare, voire à un banjo désaccordé. Quelle surprenante sonorité ! Comme c’est souple ! Ce que c’est velouté ! Vous permettez ? »

Il m’a pris la corde et l’archet. Il a essayé. Il soupirait d’extase.

— En avez-vous d’autres, ma chère dame ? m’a-t-il demandé.

Moi, jamais prise au dépourvu, je lui présente une demi-douzaine d’olives à cordes. Rien n’est plus fâcheux qu’un incident mécanique au moment crucial. Imaginez-vous Eddy Merckx crevant lors d’une échappée sans que son directeur technique soit en mesure de lui passer une autre roue ? Du coup, mon violoniste entre en transes !

— Vous permettez, cher monsieur, s’excuse-t-il en logeant d’autres olives près de la première, avec l’avare frénésie d’un écureuil constituant des stocks de glands pour l’hiver, vous permettez ?

L’autre permettait, de grand cœur ! C’était un garçon d’un abord facile. Lorsqu’il a eu mis six olives en place, le violoniste nous a tous mobilisés pour tendre les cordes. On aurait dit un graphique d’Air France montrant le rayonnement de ses lignes à travers le monde, depuis Paris.

Alors, « il » a joué, mes amis. Le Menuet de Boccherini pour débuter, crois-je me souvenir. C’était divin. D’une qualité encore jamais atteinte. Tout le monde pleurait, y compris « l’instrument ». On en avait le souffle coupé. On l’a supplié de continuer. Il nous a interprété du Bach ! Du Vivaldi… Les compositeurs les plus divers se trouvaient comme sublimés par cette exécution absolument inédite. Nous regrettions qu’il ne puisse se produire en public. Quel triomphe il aurait fait !

Mais allez donc jouer de ÇA à Pleyel !

Vous savez combien les gens, les mélomanes surtout, sont conservateurs !

Ainsi parla la marquise.

PÉRIODE SUISSE

M comme… musique ou comme… vous savez

Un immense chalet de l’Oberland bernois, beau comme un vieux meuble solennel et pimpant, fleuri de géraniums et de pétunias blancs (rouge et blanc, couleur de la chère Helvétie) se dresse au sommet d’un promontoire dominant l’aimable station de Saasfépa, canton de Berne.

Superbe construction, harmonieuse et forte, décorée de fresques naïves représentant l’ours bernois dans toutes les attitudes propres à ce délicieux plantigrade. De larges baies où se reflètent les montagnes d’alentour à la pointe desquelles la neige perle en permanence comme le lait aux seins d’une nourrice[32]. Et puis des conifères qui déconnent car la plupart sont plus caducs que les accords d’Evian… Une image de sérénité. LA sécurité ! On a envie de s’arrêter là et d’y vivre.

La propriété porte un nom dont l’origine s’explique aisément, compte tenu de la profession de son occupant, mais qui, vu les circonstances, paraît quelque peu incongru.

« La baguette levée ».

C’est là qu’habite Oskar Hamboler entre deux concerts, sa femme et sa bonne à tout faire.

Lorsque nous nous présentons au chalet, nous sommes accueillis par un abominable petit chien qui ressemble à une houppette de minaudière. La bestiole en furie réussit l’exploit de japper, de mordre le bas du pantalon de Béru et d’uriner dans sa chaussure ; le tout en même temps. Alexandre-Benoît qui fit un peu de football en son jeune âge place un shoot qui mettrait Just Fontaine en arythmie complète, et le canicule[33] exécute une trajectoire de trente mètres, laquelle s’achève dans la vasque d’un bassin moussu. Vague plainte du roquet. Un plouf !

— But ! annonce triomphalement le Gravos.

Sur ce, une gaillarde nous ouvre. Carrée, masculine, le teint brique, le cheveu filasse. Elle porte un uniforme de femme de chambre (vu la couleur de ses crins, ce serait plutôt une femme de chanvre[34]).

Elle nous pose une question en Schwisser-Tüsch, que je tente de traduire en vrai allemand d’abord, puis en français ensuite et qui, si mes connaissances linguistiques ne sont pas prises en défaut doit signifier quelque chose dans le style.

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32

De toute beauté, la métaphore. Franchement, je suis content de moi, j’ai bien fait de prendre mes granulés hier soir.

San-A.
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33

Signifie « homoncule » chez le chien. Traduit du San-Antonien par le professeur René Cossu de l’Université de Bouffémont.

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34

Honteux, je sais.