— N’aurait-il pas suivi quelques vilaines chiennes de passage ? suggère l’immortel musicien.
Sa vioque se cabre. Un hoquet lui fait trépider le râtelier.
— Jipsy ! s’insurge-t-elle. Suivre une créature en chaleur. Tu es fou, mon pauvre ami ! Téléphone, te dis-je. Moi, je repars…
Avant de sortir elle nous couvre d’un regard ardent, sévère, déjà vengeur :
— Des personnes valides ne pourraient donc pas nous aider ? lance-t-elle.
Devant notre immobilité, un râle lui part de la gorge. Enfin, elle récupère une goulée d’air, La v’là repartie.
Oskar Hamboler hoche la tête.
— Les policiers ! soupire-t-il, comme s’ils n’avaient pas d’autres chiens à fouetter ! Vous me voyez alerter les gendarmes d’ici pour ce petit monstre à poil ? Par moment, je me demande si ma femme ne serait pas un peu dérangée.
Je décline enfin mon identité. Mais l’artiste, distrait, se méprend.
— Ah bon, c’est vous ! fait-il… Je ne vous espérais pas si vite. J’ai préparé l’argent.
Il ouvre un coffret mural, dissimulé derrière un tableau, ce qui est une astuce diabolique lorsqu’on veut se protéger des voleurs helvétiques, et y puise une forte enveloppe de papier kraft, maintenue close par un élastique. Il me la tend.
— Comptez ! Les cinq cent mille francs s’y trouvent. Évidemment, c’est cher, très cher, mais la virilité n’a pas de prix. Notez que sur le plan artistique « ça » ne me gêne pas. Au contraire, je me concentre mieux, seulement, il y a Rösely. Alors, comme disait je ne sais quel auteur de chez nous : « Là est la question ! »
Voyant que je ne m’empare pas de sa foutue enveloppe, il s’étonne :
— Quoi ! Le marché ne tient plus ? Vous n’allez pas augmenter vos tarifs, j’espère ! Ce ne serait pas honnête. Il a déjà fallu que je chaparde dans les économies du ménage pour me procurer la somme ! C’est mon épouse qui dirige tout ici. Et elle a l’œil, la vieille bougresse ! Une Jurassienne, ça tient des comptes. Pour elle, un million, c’est un million. Je vais me faire apostropher durement lorsqu’elle découvrira mon larcin.
— Attendez, attendez, maître, interviens-je. Du diable si je comprends quelque chose à votre histoire. Reprenons tout depuis le commencement, voulez-vous ? Il semble que nous ne soyons pas sur la même longueur d’ondes. Depuis un certain temps vous êtes impuissant, n’est-ce pas ?
— Totalement ! Si vous saviez comme ça m’a mis en porte-à-faux avec Rösely ! Le climat de la maison est devenu irrespirable.
— Rösely, c’est Madame Hamboler ?
— Du tout, c’est la bonne !
— J’avoue ne pas comprendre…
— Facile, fait le maître avec une infinie patience, ma femme est frigide depuis toujours et les seuls rapports physiques que nous ayons eus depuis notre nuit de noces ce sont les bains de pieds de moutarde que nous prenons en commun, l’hiver. Par contre, notre athlétique Rösely est une commère qui aime la chose et entend la pratiquer quotidiennement, quand ça lui chante. Ses envies sont brusques et je dois les satisfaire. Dieu merci, le ciel — entre autres dons — m’a nanti d’une constitution robuste qui me permet de m’affirmer sexuellement avec un certain brio. J’ai donc pris l’habitude de la contenter et nous menons une vie quiète tous les trois. Seulement depuis mon avarie rien ne va plus. Elle est devenue odieuse, elle me bat, me prive de dessert et a décidé de nous quitter si je n’arrivais pas à remettre le moteur en marche avant la fin du mois. Nous quitter ! Vous réalisez ! gémit Oskar Hamboler ! Nous quitter…
— Vous y êtes très attachés ? laissé-je tomber, platement.
— Non seulement, mais depuis le projet de loi Schwartzenbach, il est impossible de trouver de la main-d’œuvre en Suisse ! Les gens de maison, c’est fini !
Il essuie un pleur.
— C’est pourquoi votre coup de téléphone de l’autre jour m’avait redonné espoir. Dites, vous n’allez pas m’abandonner ! Sans servante, que vais-je devenir. Ma femme ne sait même pas accommoder un œuf coque ni faire un thé-tilleul[37] ! Lorsque par misère Rösely prend un jour de congé pour visiter sa sœur, je suis obligé de faire le ménage. Vous ne pouvez savoir, la vaisselle, quel fléau cela représente pour un chef d’orchestre. J’ai beau passer des gants de caoutchouc, mon doigté est perturbé.
— Un instant, mon cher maître, à quel coup de téléphone faites-vous allusion ?
— Ben voyons…
Il est plus effaré qu’un hibou dont le réveille-soir se serait détraqué et qui ouvrirait les yeux à trois plombes de l’aprème.
— Alors ce ne serait pas vous ? Un de vos collaborateurs, peut-être ? On m’a demandé textuellement : « Seriez-vous disposé à recouvrer votre virilité moyennant la somme de cinq cent mille francs ? » J’ai hésité. Un demi-million de francs suisses, ça donne à réfléchir. Pourtant l’enjeu vaut la chandelle, si je puis dire. Mon interlocuteur s’impatientait « Réponse ? » répétait-il dans l’appareil. J’ai fini par dire « Oui ». « Parfait, m’a-t-il alors déclaré, préparez la somme, d’ici peu vous recevrez la visite de quelqu’un qui vous procurera la guérison instantanée en échange de l’enveloppe. »
— V’là qu’est neuf, non ? s’écrie Bérurier. C’te fois, la situation se décarre, comme on dit dans le Larousse en cent vingt voltes. Les gus de l’Organisation cherchent à engranger après avoir semé.
— Exact, mon brave ami, renchérit Mme de la Lune, dans un premier temps, ils ont réduit les sexes de ces messieurs à l’inertie. Dans un second, ils les ont laissés baigner dans l’angoisse de la situation, et à présent, troisième temps, ils proposent le remède moyennant finances, après que les malheureux auront tout essayé en vain pour se ranimer. Avouez, mes bien chers, que cette entreprise est géniale ?
Nos digressions ne font pas la botte d’Oskar Hamboler, lequel nous examine à tour de rôle d’un œil démantelé.
— Mais alors, ce n’est vraiment pas vous ! balbutie le maestro. Vous ne pouvez rien pour moi.
Berthe-la-Silencieuse juge que le moment de placer sa réplique est arrivé.
— Mais si qu’on peut, mon pauvre bonhomme. J’sus là pour vous tirer l’embarras du calcif.
— Et nous z’autres, on n’vous prendra pas une flèche, renchérit l’Hénorme. À la rigueur vous refilerez une tocante à Maâme, si vraiment vous tiendrez à vous reconnaître. Juste un petit ognard en or fuselé, avec un encerclage de diams et le bracelet en plaqué platine pour quand elle va faire ses courses, manière de bêcher un peu auprès de la bouchère et consœurs, vous savez comment t’est-ce que sont les mémés ? Coquettes comme des paonnes !
Le chef d’orchestre frémit tel un chiot devant une balle de caoutchouc passant hors de sa portée.
— Non, vrai ? Me guérir ! Me guérir !
— Mais oui, mon loup, rassure le Mastar en lui tapotant l’endosse. J’ai une magicienne comme bergère. Une femme douée d’un don, quoi, faut admettre. Vous avez des gonzesses miraculées qui font valser des roses. D’autres à fluide qui te racornent une entrecôte. Ma légitime, elle, une passe magnifique et elle te vous rajuste les cosses de la batterie. C’est les mystères de la nature. Le signe du destin, ou çui de cinq-sens, j’ignore. On peut que le con se tâter, mon grand. Tu vas la retrouver ta vraie baguette, vieux voyou. Et la régaler ta chambrière. Lui verser ses arriérés de tendresse avec les intérêts au cul-mulé. Lui éblouir le baigneur tellement fort qu’elle te sera soumise pire qu’une esclave. Tu parles d’un 14 juillet qu’elle aura droit, la grande jument. Entre nos parenthèses, dis, la musique, quand t’escalades ce bijou, t’as pas l’impression de courir le Prix d’Amérique sur un percheron ?
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En Suisse, le mot « thé » signifie : infusion, tisane.