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— Faitement, rallonge le Gros, pas bégueule, et pour qui une vanne est le cadet de ses sous suisses. À présent, je vas vous dire ce dont il est arrivé à votre petit namour de chienchien, chère Maâme.

Il se racle la gorge. On appréhende en silence. La petite vieille aux cheveux bleus attend, avec du sang qui s’accumule au coin de l’œil.

— V’là, fait Bérurier. Ce bout-de-zan a avisé un écureuil, ainsi qu’on a eu l’honneur de vous en causer précédemment. Il l’a couru après. Un toutou, je vous mets au défi, vous lui lâchez un écureuil devant la truffe, le v’là qui fonce, qu’y soye chien de chasse ou de laitier, ou même bijou-à-sa-mémère comme dans le cas dont on préoccupe. Emporté par son nez lent, vot’médor se sera pété la frime contre la fontaine en coursant son casse-noisettes. Ensuite d’après quoi, étourdi, il a tombé dans l’eau et s’est noyé. Personne y a fait du mal, allez, ma brave dame ! Qui t’est-ce qu’aurait eu le cœur de s’en prendre à une petite bricole sans défense comme ça ? Visez-moi ce pauv’ moustique av’c son ruban détrempé… On dirait une pantoufle perdue…

Il essuie un pleur imaginaire, qui n’en va pas moins droit au cœur de la vieille. Vaincue par toutes ces belles assurances, elle aborde le troisième stade de la peine : celui de la prostration.

— Oskar chuchote-t-elle en s’abattant sur un siège, tu téléphoneras à une maison funéraire. Je veux qu’il ait un bel enterrement. Le cercueil en acajou, avec des poignées d’argent massif ! Capitonnage en satin. Et que le caveau soit beau, Oskar. Marbre rose et lettres d’or…

— Oui, ma colombe ! Ne t’inquiète pas, ma zibeline ! Sois forte, mon hermine des neiges ! Tout ce que tu voudras : un catafalque ! Un mausolée ! L’eau chaude sur l’évier ! La stéréo ! On jouera du Chopin. Je serai au pupitre ! J’alerterai les notables, les corps constitués. Je te promets un conseiller fédéral au moins, pour les funérailles. Garde ton grand courage, mon oiseau rare. Place ta confiance dans le temps souverain ! Prie ! Un jour la paix viendra ! Tu retrouveras ton équilibre… Tu referas ta vie. Rappelle-toi, lorsque « Libellule » s’est fait écraser par une motocyclette, tu as cru que tout était fini. Et puis il y a eu Jipsy…

Le maestro se démène. Se prodigue. Brave homme. Mari de devoir. On administre un calmant à la pauvre femme. On parvient à lui arracher des bras le cadavre de la houppette mouillée. Elle s’abandonne.

Lorsqu’un semblant de calme s’est rétabli, je constate la double absence de Béru et de la forte Rösely. Profitant de ce que Berthe est occupée avec Mme de la Lune, je pars discrètement à leur recherche et les découvre dans une chambre du premier étage, grâce aux indiscrétions d’un sommier mal insonorisé. Je toque à la porte en chuchotant :

— Alexandre-Benoît !

— Entre ! lance joyeusement Béru.

Lequel vient de sortir.

Inutile de vous décrire la scène soudarde qui m’est révélée, l’on me taxerait de basse complaisance. Moi, vous me connaissez ? Je n’abuse jamais des situations croustillantes. J’en sais qui se complaisent dans le scabreux. Des sans foi ni loi, exploiteurs de décalbardages honteux, toujours avides d’en remettre. Des qui contribuent à la perversion systématique des masses. Les artificiers du feu d’archifesses ! Les dépantalonneurs pour comiques-croupions ! Des qui s’obstinent dans la culture du trou, sans paraître savoir qu’un trou c’est simplement rien avec quéque chose autour ! San-Antonio, lui, c’est l’auteur sérieux, utile. Le côté électroménager de la littérature. Pas de superflu. Du fonctionnel ! Y a aucune fioriture dans un réfrigérateur, naisse pas ? Tout y a sa place, bien précise. Chaque pièce y est indispensable. Ma prose idem ! Je marne dans « l’au-plus-juste ». Je limite les frais. Ne révélant que ce qui doit l’être, ne détaillant que l’essentiel. Bon, la chambre… Béru achevant de… La vachasse troussée. Elle est conçue pour, Fräulein Rösely. C’est du bestiau de carambole, cette damoiselle. Du monstre à faire reluire les valets de ferme ! Ses dessous ? Dur à répertorier. Doit les acheter chez des merciers reculés de l’Appenzell qu’ont encore du stock d’avant l’entrée du canton dans la confédération. Elle a la juponaille médiévale, Rösely.

Elle me sourit béat. Chez les crétins, le sourire n’est pas un reflet de l’âme, mais une réaction organique. Béru a les yeux en technicolor, pareils aux rosaces de Our Lady from Paris.

— C’était juste pour me rendre compte, dit-il. Franchement, y a pas de quoi péter une pendule, mais c’est du sujet tout terrain, pour calcer dans les labours. Ça craint pas les cailloux, ni les fourmis, pas même les orties. Pour ce qu’est des rédactions sensitives, tu te l’accroches. Mam’selle attend que t’aies fini ta cueillette d’asperges en pensant à rien.

On a l’impression que le Gros rend compte d’une nouvelle voiture dans les colonnes d’une revue sur l’automobile. Il vient de tester un véhicule utilitaire, pour les travaux ingrats de la campagne nécessitant de la mécanique robuste.

— En escaladant des personnes comme voilà, poursuit l’Ineffable, tu te demandes à quoi que ça correspond, pour elle, la bouillave. Ce que ça peut lui trémousser en fait de plaisirs carnés. La défense passive, mon pote ! Mais alors, d’une docilité que t’aurais peine à croire. Maniable malgré son empattement. Tu braques aussi bien qu’avec un taxi britiche. Et question d’amortisseurs, no problo, Mec. On monterait à douze que ça broncherait pas. T’as qu’à brancher le crapahutage et laisser courir. Une vraie chenillette ! Pourtant faut croire qu’elle a du contentement au baigneur puisqu’elle tarabuste le père La Baguette pour pas qu’il la laisse en rade de carburant. Ou alors, sinon, c’est moral, hein ? Va savoir… Les femmes, y a pas à chercher, faut les accepter comme elles sont, ou alors se faire œuf-nuque ou pédoque de charme. Bon, je redescends retrouver ma légitime dont je craignais que ce fusse t’elle en entendant ton pas.

L’Homme fort s’en va.

Fräulein Rösely se réharnache en ma présence, sans la moindre gêne. Elle relace le bas de sa culotte au-dessus des genoux, reboutonne la fente latérale de son jupon. Assure la tension de ses jarretières sur ses cuisses porcines.

Je rassemble mon courage et ce dont je dispose en fait de vocabulaire suisse-allemand pour l’attaquer.

— Chère merveilleuse mademoiselle Rösely, nous sommes venus pour apporter la guérison à votre maître, lequel, comme vous ne l’ignorez pas, souffre d’une panne de secteur dans la région Rhône-Alpes.

— Ja, Ja, baillache la vachesseté, Herr Hamboler, pas bon, nicht, plus rien !

— Y aura ! promets-je témérairement. Auparavant, j’aimerais savoir de quelle manière on s’y est pris pour le traiter.

— Traiter ?

Je lui explique sommairement en quoi consistent les radiations de couillognum et comment les vilains s’y prennent généralement pour réduire leurs victimes à l’inertie. Elle connaissait vaguement le principe, son maître le lui ayant expliqué cent quarante-trois fois depuis qu’il a reçu le communiqué du Z.O.B. Ensemble, ils ont inventorié les coussins et les rembourrages des sièges, sans résultat. D’ailleurs, Oskar ne s’assoit jamais ! Les chefs d’orchestre ont ceci de commun avec les vieux chênes, c’est qu’ils meurent debout, la baguette à la main pareille à un rameau desséché…

— Fait-il du cheval ? demandé-je.

Elle ouvre d’encore plus grands yeux, limpides comme la glace et cons comme la mort :

— Cheval ? Pferd ? insiste-t-elle.