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Il secoue la tête.

— Mais non, comprenez : je ne suis pas déficient parce que j’ai trouvé ce truc abominable. Je l’ai cherché parce que je suis déficient. Depuis quelques jours ça n’allait plus. Confidentiellement, je suis une forte nature, mon petit. Le repos du guerrier, y a que ça. Des nuits de veille, des jours d’angoisse à ployer sous les soucis, il faut une compensation, un équilibre. Mon équilibre c’était l’acte ! Je m’y livrais une ou deux fois par jour. Très important, primordial ! L’amour, y a bon ! Ça répare tout ! Ça régénère. L’homme qui s’est soulagé les glandes est un homme nouveau. J’ai traversé une période d’intense excitation. Rien que ça, après les rapports que j’avais lus à propos des symptômes, c’aurait dû m’éclairer ! Que fichtre ! L’individu est une taupe en ce qui le concerne. Il ne voit de lui-même que ce qu’il lui convient de voir. Il vit avec une canne blanche sciée. Et il croit, le Veau, à la sûreté de sa démarche ! Donc, excitation. Les ayants droit furent éblouis, mon cher. Je me mis à faire l’amour comme un tigre ! Mais pas longtemps. En un clin d’œil, le tigre devint descente de lit ! Plus rien ! Vous ne pouvez pas savoir… Horrible ! Mes tentatives restèrent vaines. Et pourtant, Dieu m’est garant que je m’employais et qu’on m’assista. Tout ! Je ne vous énumère pas. Les grands recours. Les pires aussi ! Nul ! Envolé, l’oiseau de feu ! La tonalité morte comme dans ce téléphone débranché. Un silence corporel infini. La nuit des sens…

Je pianote son bureau ministre pour évacuer mon agacement, ayant déjà entendu cette chanson, interprétée par mes précédents clients.

— Monsieur le directeur, coupé-je, relevez le front, en attendant mieux. Dans les rapports que je vous ai adressés j’ai volontairement omis un détail, ceux-ci étant officiels et celui-là scabreux. Nous disposons d’un antidote absolument parfait.

La figure qui s’oppose à la mienne est bouleversante. C’est le masque de l’espoir insensé ! Le condamné lié au poteau et qui entendrait l’officier commandant le peloton crier « Poisson d’avril » au lieu de « Feu ! » ne pourrait en exhiber un autre !

— Pardon ? fait le Dabuche, à travers les dents crochetées de ses bridges. Pardon, vous dites ?

— Je dis qu’en quelques minutes, vous récupérerez vos… heu… facultés génitales. La guérison est là. Plus exactement elle est demeurée en Suisse, dans une clinique alpestre, mais elle se trouve à une heure d’avion, pour tout vous révéler…

Et je lui dis tout !

Il m’écoute silencieusement. Sa figure reste de cire. Seul, son regard me rend compte de l’intérêt qu’il prête à mon récit. Lorsque je me tais, il hoche la tête et me demande d’un ton glacial :

— San-Antonio, voyons, ça n’est pas sérieux ?

— Je me porte garant de la chose, patron. J’en fus le témoin oculaire. Berthe Bérurier a cette faculté inestimable de rendre leur virilité à ceux qui l’ont perdue !

Les réactions des bonshommes, mes chéries, je vous jure, c’est quelque chose ! Tellement inattendues ! Tellement en porte-à-faux ! Moi, couillon comme pas mes deux, je m’attendais à une explosion de joie. Compte tenu de sa prostration initiale, je prévoyais même des cris. Des embrassades après ses sanglots !

Ah, la vache !

— San-Antonio !

La voix est sévère jusqu’à la cruauté. Elle me rappelle celle d’un prof de math qui ne pouvait pas plus me souder que je ne soudais ses cours et qui m’interpellait sitôt que je larguais ses pythagorneries pour baguenauder dans les nuages.

— Monsieur le directeur ?

— Pour qui me prenez-vous ?

— Mais…

— Vous imaginez-vous que je vais me laisser… bricoler par la donzelle d’un de mes subordonnés ! Et quelle femelle, Dieu du ciel ! Une mégère mafflue, pétasse à s’en faire éclater l’organisme ! Non, mais mon garçon, ça ne va pas ! Ça ne va pas du tout ! Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous me voyez, moi, en compagnie de la femme Bérurier dans un lit ? Mais en sortant de ce bouge que je sois triomphant ou non du bas-ventre, j’irais me loger une balle dans la tête ! Le salut par Berthe Bérurier ? À d’autres ! J’ai ma dignité, moi, monsieur le commissaire ! Et ma dignité, c’est ma raison d’être ! Alors c’est là toute la solution que vous me proposez ? Merci ! Elle est reluisante ! Si je m’attendais à une telle ignominie ! Le monde se corrompt donc jusqu’à la moelle, décidément ! C’est la complète abdication. Le bordel universel ! L’engloutissement dans le stupre. On copule grassement, bassement, pire : négligemment ! C’est la faillite du sexe, monsieur le commissaire ! L’amour devient fumier, l’acte basse manie ! On trébuche de compromissions en acceptations honteuses. Les unités de mesure volent en éclats. Les limites s’anéantissent. L’intolérable est toléré, l’inadmissible admis, la crapulerie acceptée, la dégradation convoitée. Moi et la citoyenne Bérurier ! Elle et moi, tous les deux, face à face ? C’est à pleurer ! À mourir de rire ! Et d’abord, que fait-elle pour ranimer les contaminés, cette matrone rance ?

— Je l’ignore, réponds-je sèchement. Elle les ranime, c’est tout ce que je puis vous assurer !

Il me court sur les joyeuses, le Vioque ! S’il continue sur ce ton, il risque de prendre son encrier de bronze artistique sur la coupole, moi je vous le dis. Allez donc vous pencher sur l’humanité souffreteuse, mes drôles ! Vous ne récolterez que crachats et invectives ! Donne-lui tout de même à boire, dit mon père ? Quel œuf ! Il en tenait une pleine marmite, le dabe à Totor !

— Mouais ! continue le Fané du Calbar, elle les ranime, Dieu sait par quelles basses manœuvres d’officines. Cette truie est à l’amour ce qu’une avorteuse est à l’obstétrique. Je frémis rien que d’envisager.

— Eh bien, ma foi, monsieur le directeur, n’y pensez plus, m’emporté-je. Et puisque vous préférez votre dignité à votre virilité, allez donc faire l’amour avec votre dignité ! Quand un homme se meurt, je ne me soucie pas de savoir si le médicament qu’on lui administre est à base de merde ou de pétales de rose. Je suis d’une époque où le résultat importe plus que le chemin qui y mène lorsque le but est valable. Ce n’est pas du cynisme, c’est du réalisme. Cela dit, dois-je vous parler de l’enquête ou bien préférez-vous vous morfondre dans l’amertume et le recueillement ?

Jamais je lui ai parlé ainsi, au frisotté de l’intervalle. Ça lui fait comme un seau d’eau glacée dans la vitrine. Il paraît sortir d’un songe nauséeux. Un funambule qui, brusquement, prendrait les copeaux sur son filin et se demanderait ce qu’il fout là. Son regard titube. Son œuf de Pâques s’enfonce entre ses épaules.

— Ah, San-Antonio, soupire-t-il. Je ne sais pas… Je ne sais plus. La vie a passé, s’est transformée. J’ai conservé mes principes. Il y a divorce. Plus je vieillis, plus je m’aperçois que l’homme n’est pas fait pour vivre très longtemps, car il ne parvient pas à s’éloigner de sa jeunesse. Il n’a pas d’autonomie. Son enfance est un piquet autour duquel il broute en rond. La vie, c’est l’histoire d’une enfance qui flambe et tombe en cendres. La mort est un retour. Il faut apprendre à rentrer chez soi, après avoir brûlé ce qu’on a essayé d’adorer. Nous sommes victimes de nos pairs qui ont le souci de nous préoccuper, dès notre arrivée en ce monde, en nous imposant des règles et des repères. Nous préoccuper pour nous occuper l’esprit. Avant tout ne jamais laisser un homme disponible. Le danger vient des gens qui ont le temps.

Il y a un silence.

— Bon, bien, grommelle le Dirluche après des espaces de méditation morose, madame Bérurier, donc ! Ses bons soins ! La guérison ! Je lui enverrai des fleurs. Et puis je démissionnerai. On ne peut rester le chef d’un homme dont l’épouse vous rend ce genre de service.