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La robe qu’elle arbore ce soir est belle comme un minuit de 14 juillet. Sur fond bleu-notte, on voit des étoiles, des comètes, des éclaboussements lumineux, des traînées fusiformes, des retombées de strass, des coulées de fausses aurores, des constellations myriadiques[48], des fulgurances pétrifiées, des traînées incendiaires. C’est beau, l’art abstrait ! Chaque fois que la grosse remue, ça propulse des éclats impitoyables dans quarante rétines au moins. Un Anglais de la table voisine qui souffre des lampions a dû chausser ses lunettes of sun, c’est vous dire ! Pour supporter longtemps faudrait un masque de soudeur à l’arc, sinon on flancherait de la prunelle à la queue leu leu.

La jeune fille, bien au contraire, porte une robe blanche, très stricte, quasiment grecque. Elle est blonde et infiniment jolie malgré la rigueur de sa tenue, de sa coiffure et de son attitude.

— Ma bonne marquise, soupiré-je, je compte sur vous pour nouer d’urgence des relations avec ces gens-là. Je suis certain que vos manières exquises et votre douce autorité feront merveille.

– À vos ordres, mon cher fils, riposte ma compagne. Notez que l’épouse n’incite guère au rapprochement. Elle est ce que j’abomine le plus au monde : l’ostentation grotesque. Par contre, je soupçonne le signor de présenter quelque intérêt. Bel homme, agréable à regarder. Il représente un certain aspect de l’Italie classique. Quant à la fille blonde, qu’est-ce selon vous ? Une employée considérée ou une parente pauvre ?

— Difficile à pronostiquer. Ses manières sont parfaites et sa toilette d’une sûre élégance. Il semblerait que l’argent ne constitue pas son souci dominant, et cependant sa réserve vis-à-vis de la mégère donnerait à penser qu’elle est rétribuée par le couple…

La marquise hausse les épaules :

— Nous verrons bien. En attendant, je puis vous assurer d’une chose, c’est que notre futur ami n’est pas très affecté par son… infirmité. Il garde un entrain, une fougue qui ne sont pas les caractéristiques d’un homme accablé par le destin. Somme toute, une partie de nos « victimes » font mieux qu’accepter leur sort : elles s’y complaisent. L’Allemand surtout. Et si le Suisse était navré, c’était pour des raisons très marginales.

— Je puis vous dire, soupiré-je, que le Français rue dans les brancards. Et je ne comprends pas que l’Italien se résigne. Imaginez-vous cela, un Italien impuissant ? Mais le calme du signor Qualebellacoda est un défi aux traditions les plus élémentaires !

Mme de la Lune hoche la tête.

À nouveau, prudemment, elle répète :

— Nous verrons bien.

* * *

Nous voyons sans tarder.

Quelle maestria possède cette femme !

Quel sens du « contact humain » ! Avec quelle aisance, elle attaque le trio, lorsque les gelati expédiées, les Qualebellacoda quittent la salle à manger pour passer au salon. L’abordage s’opère en douceur. La marquise s’arrange pour se trouver dans l’étranglement du couloir, là où un catafalque supportant des plantes vertes et des volières emplies de pigeons chargés de justifier l’enseigne de l’établissement ôte aux gens la possibilité de circuler librement.

Lorsque les trois ritaux parviennent à sa hauteur, Mme de la Lune feint de ressentir une décharge électrique. Son sursaut n’échappe pas à la grosse adipeuse, laquelle lui accorde un regard surpris.

— Mon Dieu, balbutie ma vieille amie, d’un ton haché par l’époustouflance, quelle toilette merveilleuse !

Puis, délibérément :

— Vous parlez français, madame ?

— Che ? fait la Tour de Pise en balayant la marquise de ses yeux de vache repue.

Mince, ça s’engage mal. Heureusement, la jeune fille en blanc cause fichtralement notre langue et sert illico d’interprète. En apprenant que sa robe impressionne une vieille Parisienne, la femme de Rafaello prend son pied. Elle jacte chiftir en volubile, si rapidos que la traductrice bénévole a du mal à lui filer le train.

Bref, quarante-deux secondes plus tard, nous voilà tous assis dans un coin du salon autour d’une table basse chargée de liqueurs. On me balance du « padre » gros comme le bras d’honneur que je vous ai adressé par la poste hier matin. On se lie d’amitié à la vitesse grand « V ». « Maman » a gardé sa particule. Moi, je suis vicaire à la paroisse du Saint Fleuve Noir de l’Enfant-Jésus, boulevard Saint-Marcel, à Pantruche (j’ai voix au chapitre). Eux, ils crèchent dans la banlieue de Rome. Le Signor Qualebellacoda est dans la potasse (KOH). Le plus gros importateur d’Italie. C’est Madame qu’a des rhumatismes. Voilà dix ans qu’ils viennent en cure à Abano. Ça la tient dans les articulations, Mémère. Son bonhomme la convoie parce qu’elle supporterait pas de vivre loin de lui. Un couple, c’est un couple, n’est-ce pas ? Rien, jamais, ne doit le désunir, fût-ce temporairement. Alors, bien qu’il ne suive pas le traitement, ce chéri s’installe à l’hôtel avec ses dossiers et sa collaboratrice, la signorina Sylvana Silvani ici présente. Et il bosse pendant que sa rombière prend son bain de « fango », l’amour ! C’est pas du mari surchoix, ça ? De l’époux d’élite ? Ah, elle l’aime, son Rafaello !

Tout en déclarant, elle lui pétrit la paluche pendant que Sylvana traduit. Notez qu’il parle français, le Signor. Moins bien que Jacques Chabanne, mais néanmoins de manière très satisfaisante et séduisante, en faisant scintiller ses dents de loup bien élevé.

Une qui me botte (et à qui je la proposerais volontiers, comme l’écriraient des que j’ose pas citer) c’est la collaboratrice. Ce que j’aimerais collaborer moi aussi avec cette nière, mes petits potes. Sa peau me tourmente le sens tactile. Ça me picote les extrémités, un velouté pareil.

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Myriadique. À verser au dossier.