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— Scusate, Padre, murmure la Boudine, gênée.

Je la prie d’entrer. Mon éberlûment est à la mesure de sa timidité.

— Que puis-je pour vous ? lui demandé-je après lui avoir désigné un siège.

Elle caresse son nez constellé de grumeaux de poudre de riz.

— Padre, balbutie-t-elle, vous m’inspirez une grande confiance…

Je m’incline.

— J’en suis honoré, madame.

— C’est pourquoi je voudrais que vous m’entendiez en confession.

Blouingggg ! Ai-je bien pigé ? Y aurait pas erreur dans ma traduction ?

— En confession ? répété-je, sonné comme un angélus de Millet.

Elle joint les mains, ce qui transforme son geste de piété en une grappe de dix francforts solidement bâties.

— Je vous en supplie. Il y va du salut de mon âme. J’en perds le sommeil, padre.

— Mais, chère madame, ne pourriez-vous faire appel au ministère d’un prêtre italien ? Je parle mal votre langue, comme vous pouvez le constater et il est préférable que vous fassiez pénitence auprès d’un religieux plus apte à la recevoir. L’éventualité de prendre un traducteur est à repousser car, à ma connaissance, on n’a jamais procédé à une confession par personne interposée…

Elle secoue sa lourde tête sommée d’un édifice de peignes à paillettes.

— Non, non, vous parlez suffisamment l’italien, padre. La preuve c’est que vous comprenez tout ce que je vous dis. Or c’est moi qui dois parler. Quant à l’absolution, vous pourrez me la donner en latin ou en français, cela n’a sûrement pas d’importance.

Vous admettrez, chers lecteurs et trices, que dans mon job y a des moments de qualité, non ? En plus des allocutions familières, des allocations familiales et des congés payés, on a droit quelquefois à des divertissements inédits.

— Ma fois (pardon : ma foi) déclaré-je, si vous éprouvez un impérieux besoin de soulager votre conscience, madame, mon devoir est de vous aider. Confessez-vous donc, je vous écoute.

Elle minaude.

— On peut éteindre la lumière, padre ? Ça me sera plus facile…

— On peut !

Je coupe la sauce. La chambre n’est plus éclairée que par l’enseigne au néon d’un cabaret, de l’autre côté de la rue.

Elle attend que je décarre, Poupette. Mais du diable si je sais par quelle formule lui ouvrir les vannes. Dans ces cas embarrassants j’évoque Béru. « Que ferait-il à ma place ? » me demandé-je. Car il sait se dépatouiller des situations contraignantes, le Mastar. Le mieux, songé-je, est de parler français sur un ton sacramentel.

— Vas-y, ma gosse, ça joue ! psalmodié-je.

Elle démarre. Au fur et à mesure qu’elle parle, des sanglots gonflent sa poitrine qui n’a pourtant pas besoin d’une dilatation supplémentaire.

Je lui recommande d’aller mollo, because j’ai beau être polyglotte pour les besoins de l’action, il n’en reste pas moins que je rame un brin lorsqu’il s’agit d’établir la correspondance.

— J’ai commis un grave peccato[51], mon père… Il faut dire que j’ai des excuses…

Tout de suite, la mangave à l’indulgence. Les pénitents, vous remarquerez, ils s’arrangent pour minimiser leurs fautes. Z’enveloppent leurs turpitudes dans du coton, les dressent en jolies pyramides dans le compotier pour qu’elles soyent plus mieux présentables.

– Ça n’est pas à vous d’en juger, mais au Seigneur, ma fille, je m’applique de lui rétorquer.

C’est un peu balancé, non ? Vlan ! le contre, illico, pour lui déboussoler l’autosatisfaction.

— Depuis plusieurs mois, mon mari est devenu impuissant, padre. Or, je possède un fort tempérament. Avant ce malheur, il accomplissait son devoir d’époux chaque jour…

J’ignore s’il y a l’équivalence de la Légion of Honneur en Italie, mais moi, un zig capable de s’embourber ce tombereau quotidiennement, je la lui cloquerais d’office. Carrément au plus haut grade pour pas faire de détail.

— Sa… heu, maladie, continue la Charcuterie ambulante m’a détraqué le système nerveux, padre. Comme vous le voyez, je suis dans la force de l’âge et il est terrible d’être privé d’amour lorsque celui-ci est nécessaire à son équilibre psychique. Pourtant, padre, j’aime mon Rafaello qui est un homme merveilleux. J’ai prié, je prie toujours pour la résurrection de sa virilité. Je fais dire des messes, brûler des cierges. Je récite plusieurs chapelets par jour. J’ai promis d’aller à Lourdes au cas il retrouverait sa vigueur.

Elle se tait pour renifler. Les lueurs incendiaires de l’enseigne illuminent la trogne de la mahousse daronne.

— Et après, mon enfant, et après ? je demande, comme il sied en pareil cas.

— Eh bien, mes sens l’exigeant, je me suis laissée aller à certaines petites faiblesses qui m’ont rappelé ma vie de jeune fille.

— La mandoline ? laissé-je tomber distraitement.

— Che, la mandoline ? elle s’étonne.

— Rien, poursuivez, ma fille. Un petit solo dans votre situation est péché véniel, bien qu’il ne soit plus de votre âge. Alors ?

— C’est ici que la terrible chose s’est produite, padre. Le masseur de l’hôtel est un démon.

— Ne portez pas de jugement sur votre prochain, ma fille, et regardez plutôt en vous-même pour voir si j’y suis.

— Chaque matin, après mon enveloppement de boue, il me masse. Un garçon superbe, mon père. Grand, fort, musclé. On dirait une statue de bronze…

— Restez avec nous, ma fille, et ne vous faites pas mousser le pied de veau en confession ! intimé-je. Ensuite ?

— Ce brigand… Heu, excusate ; ce garçon s’est aperçu que ses attouchements me troublaient…

– À quoi s’est-il rendu compte de la chose, ma fille ?

Elle bredouille.

— Ma foi, mon père, c’est difficile à dire. Les mains de masseur lisent l’émoi comme celles des aveugles le braille. Nous autres, faibles femmes, ne pouvons toujours contrôler nos réactions. Sans doute ai-je eu des frissons, peut-être aussi ai-je poussé des soupirs. Bref, il m’a présenté son barème.

— Qu’appelez-vous son barème, mon enfant ? Je demande à mon toton.

— Il m’a expliqué qu’il ne se contentait pas de masser, mais qu’il était là également pour apaiser les clientes énervées. Ce bougre, pardon : ce jeune homme, a d’énormes possibilités sur le plan sexuel, padre. Il peut beaucoup, souvent et intensément… Oh oui, très intensément.

Sa respiration se précipite, je suis obligé de courir après pour la rattraper.

— Voyons, ma fille, remettez-vous, vous n’allez pas aller au fade en pleine pénitence ! m’indigné-je.

— Pardonnez-moi, mon père, ce voyou, pardon : cet homme m’a mise dans un état terrible. Sa force, ses mains, sa…

— Pas de commentaires équivoques, je vous en prie !

— Bref, j’ai pris connaissance de ses tarifs.

— Ils sont élevés ? ne puis-je m’empêcher de questionner.

— Assez : uno dito, dix mille lires ; una mano, vingt mille ; et uno totale, cinquante mille, récite la pécheresse.

Je coule un regard expert sur la mémé et je me dis que c’est donné.

— J’ai pris uno totale, avoue-t-elle.

– Ça comporte quoi, ma fille ?

— Tout, mon père.

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51

J’écris le mot péché en italien car tout le monde comprend et ça fait plus vrai.