— Le zizi-panpan ? Le turlututu à crinière ? La carambole sicilienne ? L’escalade apennine ? La gondole perverse ? La strada souterraine ? Le figuier géant ?
— Oui, mon père ; du moins, je pense.
— Compliments, on ne se refuse rien pour son confort ! Plusieurs fois ?
— Tous les matins, mon père, depuis huit jours.
Je siffle.
— Eh ben, ma vache, votre girouette à crémaillère vous coûte cher. Cinquante fafs de radada chaque matin, voilà qui grève le prix de la pension. Il doit se faire beau gosse, votre pétrisseur de cellulite. Surtout s’il peut beaucoup, comme vous l’affirmez. Le tricotin, c’est drôlement rentable, décidément. Vous avez l’intention de continuer vos petites parties de voluptés matinales jusqu’à la fin de la cure ?
Elle sanglote.
— Je n’arrive pas à m’en passer, mon père !
— Eh bien, ma fille, que voulez-vous que je vous dise ? Vous attendez l’absolution ? Bon, on peut vous absoudre pour le passé, mais non pour l’avenir, le pardon pré-crédit n’existe pas encore. Le plus simple, c’est d’attendre la fin du traitement et de vous vous vidanger la conscience en fin de parcours, mon petit, comme dirait madame Soleil… Sinon, on tombe dans le bricolage. En rentrant dans vos foyers, courez à votre paroisse habituelle, vous faire faire une bonne pulvérisation. La rémission générale de vos fautes pour démarrer du bon pied, si je puis ainsi m’exprimer. D’ici là, quelque chose me dit que votre cher époux aura retrouvé l’usage de son chibroque. Vous avez bien raison de prier. Parfois, faut un peu gueuler, mais la Providence finit toujours par vous entendre. Amen !
Elle se signe.
Je redonne la lumière. La grosse Ritale paraît apaisée. Elle doit se dire que le clergé français est plus tolérant que le sien. Réaliste.
— Un whisky ? proposé-je.
— Oh, padre, je ne voudrais pas abuser de vos instants.
— Mais pas du tout, chère madame. Votre compagnie est un agrément. Dites-moi, sans vouloir revenir sur le sujet, d’autant que je suis lié par le secret de la confession, j’aimerais pourtant vous poser une question à titre personnel. Votre mari, ça lui est arrivé comment, cette sale histoire ?
Elle hoche la tête.
— C’est un attentat, me dit-elle. Mais la chose ne doit pas s’ébruiter. Beaucoup de personnalités sont frappées, paraît-il. En ce qui concerne mon mari, on ne sait pas comment c’est arrivé. Il paraît que pour les autres, une bande organisée plaçait je ne sais quelle machine infernale dans les coussins de leur fauteuil. Nous n’avons rien trouvé dans ceux de mon Rafaello.
— Il fait du cheval ?
— Non.
— De la bicyclette ?
— Non plus.
J’énumère toutes les circonstances de la vie courante qui pourraient placer un P.-D.G. à califourchon sur une pile au couillognum. Aucune d’elles ne correspond aux activités habituelles de Qualebellacoda. Mais peut-être l’a-t-on fadé comme Oskar Hamboler, en utilisant un véhicule humain ? Ça n’est pas sa bonne femme qui peut m’affranchir sur ce point.
Le biniou se met à frétiller dans le silence de ma chambre à peine troublé par le léger ronron du climatiseur. Je décroche. C’est le Vieux.
— Eh bien, vous ne me rappeliez pas, San-Antonio ?
— Excusez-moi, j’étais occupé. Vous avez pu joindre la personne en question ?
— Oui.
— Alors ?
— Dites-moi, c’est un drôle de bonhomme, ce Qualebellacoda, du genre énergique, hé ?
— Pourquoi ?
— Je lui ai débité, mon petit compliment, en y mettant beaucoup de conviction, dois-je dire. Il m’a écouté sans m’interrompre. Après quoi, savez-vous ce qu’il m’a dit ?
— Je n’en ai pas la moindre idée ?
— D’aller me faire foutre, mon petit. Puis, il a raccroché ! Qu’est-ce que vous en dites ?
— Que nous sommes tombés sur un client qui trouve de l’agrément à sa nouvelle situation, soupiré-je.
Le Vieux émet un gémissement qui attendrirait un C.R.S. cerné au cœur d’une manif.
— Comment se peut-il ? murmure le cher homme. Mon Dieu, comment se peut-il ?…
Puis, d’une voix incolore, il demande :
– À propos, San-Antonio, vous ne savez pas si les Bérurier rentrent bientôt de Suisse ?
Q comme queutard
— Quand allons-nous leur rendre leur dîner ? chuchote la dame invitée chez des relations mondaines à l’oreille de son mari.
— Tout de suite ! répond le mari, chez qui le homard Thermidor n’est pas passé, en se mettant à dégobiller sur la nappe empesée.
Je me marre, tout seul.
Moi, c’est au petit morninge que je me raconte des histoires. Je les invente dans un état second, La semi-conscience est une terre fertile pour cultiver les choses de l’esprit, depuis la calambredaine infâme, comme ci-dessus, jusqu’au pouème le plus délicatement troussé. M’arrive d’en commettre, des pouèmes. Tiens, manière de vous époustoufler le mental, en voici un que je viens de gicler dans une seule exhalaison.
Faut le faire, non ? On sent la qualité intrésèche du mec à cette coulée poétique qui lui dévale l’âme comme la pluie sur une vitre.
Ce tartinage pour vous expliquer qu’avant de mettre le panard sur la moquette, j’ai déjà procédé à une exploration minutieuse de la situation. Des lueurs me vacillent in the caberlot, entrecoupée de gags jaillis de moi, malgré moi, et dont je m’amuse comme un môme.
Bougez pas, une fable expresse pour finir, vous situer l’éclectisme à San-A.
« Un monsieur trouvait son immeuble trop petit.
« Il fit un vœu.
« Et il se trouva exhaussé. »
Si ça vous intéresse écrivez-moi : je les vends cinq francs pièce. Je fais pour la réunion mondaine, le banquet d’anciens combattants, le repas d’anciens-z’élèves, la noce de banlieue, le congrès rotaryen, le train-de-pèlerins-pour-Lourdes, les déplacements de l’harmonie municipale, l’anniversaire à tonton, les vingt-ans de Jeannette, l’enterrement-tout-terrain, la salle de garde, le comice agricole, le député-bon-enfant, le commissaire de bord, le Club Méditerranée, les joueurs de boules, le fin lettré, le fin diseur, le contrepéteriste, le maquignon, le patron-coiffeur, le thé de la baronne, le poste de police, l’équipe de foot en tournée, le chef d’entreprise, les jeunes mariés timides, le guide de musée, la marchande de poissons à la criée, le contrôleur de wagons-lits, le camp de nudistes et les ligues de ceci-cela. Le choix, hein ? Il a d’énormes possibilités, le gars ! Un éventail de Carmencita ! Le jour que je vas dégoupiller tout ça et que ça se répandra sur le monde, alors là, oui, on assistera à un fumant raz de marée, mes poules ! Le Santonio, il sera hissé à la place qu’il a droit. Couvert d’honneurs, de distinctions. Pour faire pipi faudra qu’il écarte ses médailles ! Mon drame, c’est que je prends pas assez garde à ma carrière. Les ceuss de mon entourage me grondent. On me conseille pourtant bien, avec une pertinence que j’en bredouille. « Débarrasse-toi de ton je-m’enfoutisme, ils me supplient. Fais acte ! »
J’ai jamais pigé ce qu’ils entendaient par là. Faire acte ! Moi, c’est sur une nana, que je fais acte. Sorti de là (si je puis me permettre) je vois pas comment je pourrais. Enfin bon, je vais essayer. Pour commencer, je ferai don du présent manuscrit à la Ville de Paris. La première frappe, sur I.B.M. électrique à boule ! Ruban bien encré, corrections (pas beaucoup) faites à la main de maître. En remerciement, ils me flanqueront citoillien donneur, j’espère ? Y a tout un plan de bataille à dresser. J’y songerai. La postérité ça se prépare. Regardez-les, tous : les grands compositeurs, les peintres célèbres, les écrivains à petits tirages, comment ils prennent leur piédestal, tout vivants, tout crus, pour pas se louper le posthume. Du travail de longue haleine. Ils se préparent à survivre au lieu de se préparer à mourir. Faut de la santé, je dis. Être très con, très content de soi, très un tas de trucs pour s’organiser l’absence avec autant d’acharnement.