À partir de cet instant, je me convaincs que les bruits ne m’ont pas abusé. Il ne s’agissait pas d’une bande sonore. Il y va de la tringlette, Rafaello ! Oh, tonnerre de Zeus, et comment diantre ! Au premier matage, on a l’impression qu’il calce la femme serpent, tellement elle est entortillée à lui, Sylvana. Une pieuvre ! Elle a douze jambes ou quoi ? Faudra un couteau à huîtres pour les désunir en fin de circuit. C’est la forêt vierge à elle toute seule ! Et lui le beau Tarzan, revu et modifié par Cinecittà ! Au moment où je prends connaissance de leurs perfos, il lui fait la bombarde moldave, mais alors il a transformé le poste de l’obusier, signor Qualebellacoda. Au lieu de se placer sous un angle droit, il a opté pour l’angle aigu, ce qui accroît la difficulté tout en améliorant le résultat. C’est un type à initiatives. Un réformateur. Je m’en confirme l’impression lorsque je le vois passer à la toupie à toupet, un exercice d’une rare audace qu’il faut être ceinture noire de chasteté pour oser se le permettre. Là encore il innove. La tradition, il s’assoit dessus pour se désendolorir les hémorroïdes. Comme vous le savez, généralement, pour la toupie à toupet on met sa main gauche sur l’épaule droite de la partenaire, et on lui tient le poignet gauche de la main droite. Lui il inverse l’ordre des facteurs, comme disait un receveur des postes. Pourtant ne m’a pas paru gaucher. Non, je vous répète, c’est du bonhomme qu’abhorre les conventions. C’est comme quand il lui entreprend le Retour de Monte-Cristo tout de suite après. Généralement y a qu’en France qu’on pratique cet exercice. Un peu en Belgique aussi, mais à la lisière. En réalité, malgré son appellation, il est d’origine inca, ce machin. L’aurait été rapporté du Pérou à la fin du siècle dernier par l’explorateur Ieftériva qui l’employa dans le 13e arrondissement d’où cette puissante réalisation amoureuse ne sortit pas avant la fin de la Première Guerre mondiale. Ce n’est qu’après le franc Poincaré qu’il se répandit à travers tout le territoire et fut rebaptisé Retour de Monte-Cristo, alors que son nom original, si j’en crois le Grand Larousse en huit cent trente-deux volumes, c’est Ouhtumfoulbrak[53].
Il est duraille de s’arracher à pareil spectacle. N’en déduisez pas que je tourne au petit voyeur voyou ; moi, la contemplation par trou de serrure et miroir sans tain, c’est pas mon blaud. J’appartiens à la catégorie agissante, seulement je suis un esthète de l’art et la façon que manœuvrent ces deux-là est si édifiante qu’on ne peut qu’admirer tête basse. C’est beau comme le mont Blanc sous la lune ou les chutes du Zambèze. Cependant, soucieux de ne pas être repéré par le couple, je m’esbigne sans prendre la peine de relourder. Il a une façon bien agréable de tromper l’attente, Qualebellacoda pendant que sa Baudruche prend son bain de merde. Notez qu’elle aurait rien à rouscailler, la grosse, compte tenu de ses extras avec le masseur. Le Rafaello, comment il s’est écrasé après avoir recouvré son énergie ! Pas un mot à la reine mère. Il la laisse en rideau définitivement.
Heureux de l’aubaine. Moralement, il a obtenu quitus. Il a sa conscience pour lui. L’est devenu mutilé du bâtonnet à cent pour cent. Elle est à l’âge, la chérie, où faut plus demander à son bonhomme d’avoir été et d’être encore. La retraite anticipée, il l’a obtenue grâce aux loustics de la Couillognum’s Agency. Dorénavant, l’avenir (ou ce qui en reste) lui appartient en toute propriété. Il peut faire reluire des nénettes sans garder une part pour Madame, ce qu’est toujours préoccupant. Moi, je sais des mecs qu’ont la vie gâchée par le devoir conjugal attardé. Des qui doivent pas tout dépenser leur tempérament pour pouvoir encore figurer honorablement dans le lit matrimonial, qu’autrement leur mégère grimpe en mayonnaise et revendique de manière cinglante. À un tournant de l’âge où les prouesses se raréfient, avouez que c’est désastreux, non ? Heureux ceux qui peuvent s’affranchir de ce joug. Le signor Rafaello a été sauvé par le gong. Avec le recul, il doit se dire que ç’a été la bonne aubaine dans le fond, cette aventure. Le conte de fées inespéré. Désormais, il a repris son autonomie vis-à-vis de sa vieille patate. Non seulement elle ne peut plus lui réclamer de brossi-brossage, mais, qui mieux est, elle le fera jamais plus tarter avec des crises de jalousie.
C’est la voie romaine qui s’ouvre. Reste plus qu’à mettre sa technique au service des jouvencelles. À butiner des chaglaglates mordorées.
Heureux homme.
Je regagne ma chambre en réfléchissant. Tout compte fait, je n’y trouve pas mon compte, moi, dans cette aventure. La piste Qualebellacoda est sciée, archi-sciée puisque le bonhomme a déjà été contacté et que tout est rentré dans l’ordre pour lui. C’est bien la mouscaille : pour l’ultime client, voilà que j’arrive trop tard.
Je marche lentement, plongé en mes pensées moroses. Quand soudain, j’aperçois quelque chose qui me fait cabrioler le guignol.
Le couloir est désert, silencieux. C’est l’heure où la clientèle mijote dans la boue nauséabonde. Elle est là pour ça, la clientèle : qu’on la couvre de fange entièrement ! Elle paie pour se faire rouler dans la gadoue. Faut lui en filer jusqu’au pif, de la bonne merdouille fumante. L’oindre jusqu’aux orteils, sans oublier le zigomard, des fois qu’il choperait des rhumatismes aussi, biquet. Les gens, ils aiment le merveilleux, c’est leur vocation intime. On leur affirmerait qu’ils doivent macérer dans une fosse d’aisance pour se guérir l’eczéma ou se prémunir contre le cancer, vous les verriez passer leurs vacances dans des citernes de chiotteries. Notez que je m’insurge pas contre les vertus curatives de la fango d’Abano. Elles existent d’une manière ou de l’autre pour que tant de gens viennent s’y rouler, s’en tartiner le baquet, s’en mastiquer les raies, s’en farcir les orifesses. C’est seulement de la manière que je rigole. De l’humilité que ça implique à la base.
Mais je vous disserte intempestivement, mes brutes. Vous en êtes restés au « quelque chose » qui me file une méchante décharge dans les cerceaux. Votre petite (toute minuscule) gamberge se cristallise là-dessus. Inutile de vous assécher le cervelet. Ce qui me provoque le spasme ci-dessus, c’est une pancarte « Do not disturb » accrochée à un pommeau de lourde. On a tracé au crayon feutre un large cercle rouge dans la partie blanche de l’écriteau.
Mme de la Lune, lorsqu’elle est barbouillée de crème hydratante, elle ressemble un peu au masque mortuaire de la Pavlova. Avec son turban en tissu éponge, son peignoir blanc, ses grandes mains belles et flétries, elle devient inquiétante. Une espèce de divinité antique dont les pouvoirs mystérieux flottent dans l’air à la ronde.
Elle écoute mon récit en polissant ses belles griffes de vieille panthère repue.
— Eh bien, soupire-t-elle, après que je me suis tu, voilà une relance inespérée. Si je résume bien : le beau signor Qualebellacoda n’est plus impuissant, il fait brillamment l’amour avec sa secrétaire pendant la cure de son épouse et malgré sa première réaction qui a été d’envoyer promener le faux maître chanteur, il souhaite établir un contact avec l’Organisation. Que comptez-vous faire, mon bel Antoine ?
— Ma foi, la conduite à tenir est dictée par l’événement, je vais établir le contact. Il est passionnant de savoir ce qu’il a encore à voir avec des gens qui lui ont rendu son honneur de mâle après le lui avoir soustrait.
Je cramponne le téléphone et réclame Parigi dans les plus brefs délais. Comme nous ne sommes pas en France, j’obtiens la communication en un temps très court.
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Je ne réponds pas de l’orthographe, n’ayant passé que 48 heures en classe d’inca au lycée.