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L'élégante et fine silhouette s'imposa à sa vue lorsqu'elle se pencha vers elle:

– Alice… Moi je te crois. Je ne pense pas que tu aies inventé tout ça… Quelque chose me dit que tu es venue me raconter la vérité l'autre matin.

Alice lui envoya un pauvre sourire de reconnaissance. Elle le savait bien, mais cela n'empêcherait pas la roue implacable de venir la broyer, n'est-ce pas?

La femme flic eut un sourire franc et plein de sérénité:

– Je continue mon enquête sur Mlle Chatarjampa quand même… Et j'ai obtenu que ta protection soit assurée jusqu'à la fin de cette semaine… Le procureur Goortsen voulait que tu sois prise en charge dès ce soir par les représentants légaux de ta mère à Amsterdam, le cabinet Huyslens et Hammer qui en a fait la demande…

Alice réalisa que l'inspecteur Van Dyke venait de lui obtenir un sursis de quelques jours.

Lorsqu'elle repartit, Alice comprit qu'elle avait là une chance inespérée. Une chance inespérée de reprendre l'initiative et de faire basculer la roue dans le bon sens. Elle avait quelques jours de sécurité assurée. Quelques jours pour mettre un nouveau plan en route.

Un plan qui la sauverait de sa mère.

Sa mère qui ferait tout pour la détruire, maintenant.

CHAPITRE III

Le vase explosa contre le mur dans un bruit de simple vaisselle brisée. «Bon dieu, pensa Wilheim Brunner, merde, un vase de plus de cinq mille marks. Cassé comme de la vulgaire vaisselle de station-service.» Mais déjà la voix froidement furieuse venait d'éclater dans la pièce, figeant tous ses occupants.

– BANDE D'INCAPABLES. FOUTUS CONNARDS DE BONS À RIEN…

Koesler lui-même faisait le dos rond lorsque Eva Kristensen était en colère et Wilheim le vit vouloir devenir transparent devant la femme blonde et menaçante, dont les yeux luisaient d'un éclat furieux derrière les élégantes lunettes aux verres fumés.

– Cela fait maintenant cinq jours qu'elle a disparu et vous n'êtes pas foutus de la… repérer?

Sa question avait la douceur de l'arsenic. Wilheim détestait sa voix lorsqu'elle se faisait ainsi mielleuse et dangereuse. Cela annonçait souvent, presque toujours, des actes d'une brutalité croissante.

Koesler ne disait rien, figé dans son attitude militaire, au centre de la pièce, les yeux fixés vers un point situé derrière la tête d'Eva. Une attitude figée et mécanique apprise dans les camps de mercenaires sud-africains.

– Koesler, Koesler…la voix d'Eva avait la particularité d'être coupante comme du verre, pensa Wilheim, surpris par cet éclair de pensée intuitive. D'apparence tout à fait inoffensive, mais qui cachait un fil qui sectionnait aussi sûrement qu'un poignard d'acier suédois.

Eva murmurait presque:

– Koesler, pourquoi croyez-vous que je vous paye aussi largement? Hein? Dites-moi à votre avis?

L'ex-mercenaire ne répondait rien; le rituel était devenu une sorte de seconde personnalité pour lui.

– Je vais vous le dire, moi, Koesler, pourquoi je vous paye le double de ce que vous pourriez trouver de mieux sur le marché actuellement…

Eva s'était rapprochée de l'homme et elle tournait autour de lui, dans une attitude étrangement menaçante, à la fois intime et prédatrice. Wilheim savait qu'Eva s'était inspirée du comportement des officiers de l'US Marines Corps, dont elle avait lu les méthodes dans une encyclopédie spécialisée. D'une certaine manière cela plaisait à Koesler, WiIheim le sentait confusément, il y avait dans ces rituels parfaitement programmés une forme aboutie des perversions d'Eva, de Koesler et de lui-même, bien entendu.

Sa bouche se colla presqu'à l'embouchure de son oreille:

– C'est parce que j'attends de vous des résultats, Koesler. Voilà pourquoi je vous paie si largement. J'attends de vous des résultats hors du commun… Quelque chose que j'espérais à votre hauteur, à la mesure de votre ambition, mais votre ambition ne semble pas dépasser celle d'un vulgaire nettoyeur de chiottes…

Koesler faillit réagir mais se retint au dernier moment. On n'interrompait pas Mme Kristensen dans ses crises. Il fallait juste attendre que ça passe, que le cycle soit terminé et qu'Eva se calme enfin, passant brutalement à un tout autre sujet.

– Dites-moi, Koesler, sincèrement vous croyez que j'ai raison?

Le mercenaire ne cillait toujours pas.

Eva tournait autour de lui comme un oiseau de proie habillé par Cartier et Boucheron. Elle se planta à quelques centimètres du visage neutre et sans vie de l'ex-soldat de fortune:

– Hein? dites-moi, vous croyez que j'ai raison d'attendre autant de vous? Vous croyez que j'ai raison de penser que vous êtes un soldat d'élite? Que vous faites partie des meilleurs. Vous croyez que j'ai raison, Koesler?

Les postillons d'Eva pleuvaient sur sa figure et Koesler émit un vague murmure incompréhensible.

– Comment? Qu'est-ce que vous dites?

La voix d'Eva avait la couleur d'un percuteur qu'on relève.

Wilheim se décida à intervenir.

– Koesler attend des informations, Eva, des informations d'un type du ministère de la Justice…

Eva se figea, l'air littéralement stupéfait:

– Silence, siffla-t-elle. Je ne t'ai pas sonné toi, laisse-moi le soin de régler nos affaires.

Puis se retournant aussitôt vers l'athlète aux yeux gris:

– Alors quelles sont ces informations monsieur Koesler?

Koesler se balança d'un pied sur l'autre et commença à bafouiller:

– Heu… Un homme de M. Van… heu de notre ami de La Haye. C'est heu… il travaille au ministère… demain nous saurons sûrement où se trouve votre fille, madame Kristensen.

Eva s'était figée devant Koesler dans une attitude théâtrale, dont elle voulait l'effet comique. Une fausse stupéfaction intéressée qui décontenança le Sud-Africain:

– Vous saurez sûrement? Demain? La voix d'Eva était méchamment rieuse. Vous saurez sûrement, sur un ton plus froid maintenant. Mais je vous conseille de savoir en toute certitude monsieur Koesler, vous me comprenez, j'espère?

L'homme hocha la tête en silence. Le mince sourire d'Eva arquait les commissures de ses lèvres. Elle se désintéressa aussitôt de lui et passa les autres occupants en revue.

Wilheim, d'abord, à qui elle n'accorda qu'un bref regard, puis M. Oswald, l'expert-comptable anglais chargé de créer les comptes bancaires et les mécanismes financiers qui faisaient fructifier leurs bénéfices en provenance du studio.

– Monsieur Oswald, je crois qu'en fait rien ne vous retient plus ici, les petits problèmes de gestion financière attendront demain.

Puis sans même un sourire:

– Je vous remercie.

Le petit homme replet s'éclipsa sans demander son reste et Eva Kristensen se dirigea doucement vers Dieter Boorvalt, le jeune avocat qui supervisait les problèmes juridiques.

– Dieter? J'aimerais que vous m'expliquiez une chose…

Dieter ne répondit rien, connaissant lui aussi les règles immuables du rituel.

– J'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi notre cabinet n'a pu récupérer la tutelle de ma fille. Pourquoi ma fille peut se trouver sous la protection de la police alors qu'aucun crime ne m'est officiellement reproché…

Dieter épousseta négligemment son pantalon de flanelle et ajusta ses lunettes avant de posément ouvrir une chemise de carton placée à côté de lui, sur le divan.

Il en tendit une feuille à Eva en lui jetant un coup d'œil froid et professionneclass="underline"

– Voici une copie de la lettre que j'ai fait envoyer par notre cabinet. D'autre part nous avons clairement menacé le procureur de faire une injonction dans les trois jours…

– DANS LES TROIS JOURS?

Eva avait explosé. Elle se tenait toute raide, tendue par une énergie de milliers de volts. Sa main tenait la feuille de papier comme Zeus empoignant une volée d'éclairs.

– Écoutez-moi attentivement Dieter, je ne tolérerai pas que s'écoule encore une semaine sans que ma fille ne soit récupérée, j'espère être assez claire?