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Alice soupira et aperçut un square devant elle. Elle alla s'effondrer sur un banc pour reprendre souffle. Elle avait soif. Une soif terrible. Son sang battait à ses tempes. Sa tête était vide de toute pensée.

Tout ce qu'elle savait c'est qu'elle venait de rencontrer une situation tout à fait imprévue.

Imprévue et dangereuse.

Au bout de quelques minutes elle se résigna à se lever. Elle retourna vers le canal et regarda un instant la lumière tombante du soleil jouer de ses reflets sur l'eau. Mais le cœur n'y était pas. Elle était seule. Seule et perdue dans la ville. Avec des flics et une bande de tueurs à ses trousses.

Elle alla s'acheter un Coca dans une baraque ambulante et décida d'entreprendre la suite de son plan. Elle se hâta sur le trottoir. Elle se doutait que quelque chose de grave s'était passé dans le magasin. Les coups de feu. L'homme chauve qui avait sorti un pistolet de sa poche. Sans doute l'homme chauve et son complice étaient-ils tombés sur Oskar et Julian. Elle se demanda avec angoisse si quelque chose était arrivé aux deux policiers puis elle se figea soudainement sur le trottoir.

Une pensée fulgurante venait de jaillir dans son esprit.

Sans doute les flics étaient-ils en train de boucler la gare et les stations d'autocars. Elle ne pourrait même pas atteindre le train de 19 heures, comme prévu, pour autant qu'elle puisse l'attraper à temps.

Bon sang, tout son plan s'effondrait. Elle ne pourrait jamais rejoindre le Portugal, ni son père.

Elle avait commis une erreur, une fois de plus.

Une fois de trop.

Elle revint sur ses pas, désespérée.

Il fallait d'urgence trouver une solution. Inverser le cours fatal que le destin prenait.

Mais elle était fatiguée, épuisée. Le monde s'obstinait à résister à sa volonté, pourtant simple. Juste rejoindre le soleil et le sourire de papa. Un peu de silence et du sable.

Le bonheur.

Oui, le monde résistait plus sûrement que les digues devant l'Océan pourtant intraitable. Et en cet instant le monde eut une seule image. Il conduisait une voiture japonaise blanche, avait des yeux froids comme des billes d'acier et un sourire d'assassin.

CHAPITRE IV

Avec le soir, la fraîcheur tomba et Alice n'eut pas du tout envie de réitérer son expérience nocturne de la semaine précédente, dans un parking souterrain.

Il fallait qu'elle fuie Amsterdam, mais elle savait aussi qu'il devenait à chaque minute plus dangereux pour elle de traîner dans les rues. Les bars et les cafés n'étaient guère plus sûrs car une jeune fille de douze ans y serait vite repérée. Les gares et les autocars étaient hors de question et elle se demanda si les tramways aussi n'étaient pas surveillés.

Le hululement lointain d'une sirène de police envoya l'éclair bleu d’un gyrophare au centre de son cerveau.

À choisir, elle préférait encore tomber dans les mains des flics que dans celles de Koesler et de sa mère.

Oui, pensa-t-elle soudainement résignée, si la fuite s'avérait impossible, autant admettre sa défaite et se rendre à la police. Avec ce qui s'était passé dans le grand magasin peut-être commencerait-on à la croire maintenant?

C'est ainsi qu'elle entra dans la première cabine téléphonique venue et y ouvrit le gros annuaire d'Amsterdam.

Elle ne sut pourquoi elle ne l'appela pas à son bureau. Sans doute l'imagina-t-elle un instant dans la solitude confortable d'une petite maison donnant sur une allée verdoyante, plutôt que dans la ruche de néon. Peut-être désirait-elle simplement lui parler, comme une amie appelée de très loin parce qu'on a besoin d'elle. Quoi qu'il en soit, elle chercha dans les Van Dyke et en trouva treize. Aucun ne s'appelait Anita.

Alice se doutait que cela ne voulait pas dire grand-chose. L'abonnement pouvait être au nom de quelqu'un d'autre.

Elle consulta néanmoins la partie réservée aux diverses banlieues de la ville, avec une patience qui l'étonna. Dans la ville de Buitenveldert elle ne trouva qu'un seul Van Dyke et elle s'appelait Anita.

Son cœur se mit à battre plus fort.

Alice décrocha le combiné et composa le numéro. Il y eut un petit bourdonnement, un silence, un bip régulier puis la première sonnerie.

Au bout de dix sonneries, Alice raccrocha, la gorge serrée.

Elle se tint debout, dans la cage vitrée, hésitant sur la marche à suivre.

Puis elle se hissa de nouveau jusqu'au combiné, qu elle décrocha, enfila les pièces et ouvrit l'annuaire à la page des services.

Elle trouva le numéro du commissariat central et appuya sur les touches, pleine d'une angoisse fébrile.

Au bout d'à peine deux sonneries, une voix jeune retentit dans l'écouteur:

– Commissariat central, j'écoute.

Alice resta la bouche ouverte devant l'appareil. Aucun son audible ne voulait sortir de son larynx. Une bouffée d'air chaud l'enveloppait. L'asphyxiait.

– Allô? Ici commissariat central, je vous écoute, parlez s'il vous plaît…

– Je… Je voudrais parler à l'inspecteur Van Dyke, s'il vous plaît.

Alice comprit tout de suite qu'elle avait fait une erreur en n'essayant pas de camoufler ou de travestir sa voix. C'était celle d'une petite fille apeurée qui avait résonné dans la cabine.

– L'inspecteur Van Dyke? Qui la demande? Alice hésita à nouveau et se retint de bafouiller. Le silence était peuplé de parasites..

– Allô? reprit la voix métallique, de l'autre bout du monde.

De qui donc pouvait-elle se réclamer? Elle ne savait même pas si Anita avait une fille, ou une nièce…

Bon sang ça ne marcherait jamais.

Elle se jeta à l'eau:

– Je désire lui parler. C'est personnel, et important.

Sa voix était plus affirmée, plus tranchante.

– Je suis désolé, mais l'inspecteur Van Dyke n'est pas là pour le moment… Puis-je lui laisser un message?

Alice reconnut le ton mièvre employé par l'agent Cogel, lors de sa toute première entrevue, et elle pria pour que le flic ne l'identifiè pas en retour, mais avec sa voix de fillette en mue elle comprit que sans doute le flic savait déjà à qui il parlait…

Anita n'était pas là de toute façon.

Alice raccrocha le combiné d'un coup sec. Elle contempla les trottoirs déserts de ce quartier périphérique qu'elle ne connaissait pas. Il y avait des lumières partout, dans les maisons, et à chaque étage des immeubles.

Alice se sentit plus seule que jamais, dans cette cabine téléphonique, avec strictement personne à appeler. Elle sortit lentement de la cabine et entama une marche sans but vers le sud.

À un moment donné elle se retrouva devant un des bras de l'Amstel Kanaal, qu'elle franchit par la Van Wou Straat avant de marcher sur le large trottoir de la Rijn Straat. La circulation était fluide mais encore importante autour des tramways. Elle ne savait pas trop où elle se trouvait sinon qu'elle approchait du Beatrix Park et de l'autoroute qui partait vers Utrecht, comme le lui indiquaient les panneaux du croisement devant elle. Le sud.

Droit vers le sud

Un peu plus loin Alice distinguait les feux de signalisation d'autres croisements. Au-delà elle apercevait un bras du Kanaal. Ses jambes marquaient régulièrement la cadence, ses Reebok frappaient le sol, comme un tambour mécanique aux piles inusables. Les yeux fixés sur l'horizon, Alice marchait, rasant les murs. Elle avait faim. Elle aurait adoré dévorer des saucisses et des frites, un gâteau à la crème d'amande ou un Big Mac. Elle chassa ces pensées cruelles de son esprit et continua sa marche imperturbable vers l'autoroute, vers le sud. Là-bas elle ferait du stop, jusqu'à Utrecht, où elle prendrait un train.

Oui, elle s'en sortirait. Elle le pouvait. Elle avait la force et la volonté. Elle rejoindrait l'Atlantique, là-bas, sur la côte de l'Algarve. Papa, pensa-t-elle presque malgré elle, j'arrive.