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Mais le monde réel n'était pas aussi docile que les jeux d'enfants auxquels elle se livrait encore, dans la solitude de sa chambre ou du grenier. On n'y transformait pas aussi facilement quelques poupées et décors de papier en château de princesse florentine ou en navire magique de quelque fée marine d'inspiration celtique. Ici on était dans le monde dur et concret des adultes. Avec le bruit des fax et des machines à écrire. Avec l'éclairage du néon. Et avec des problèmes.

– Dites-moi, madame Van Dyke. Sa voix était presque suppliante.

Cette femme respirait l'honnêteté et la force.

Elle serait une alliée sûre pour la suite des événements, quelle que soit la nature du fameux problème.

– Voilà, tes parents ne sont pas dans la maison. Ils ont déménagé une grande partie des meubles et des objets…

Alice se tendait, toute droite sur le lit de toile, dans l'attente de la suite.

– Ils sont partis, reprit Van Dyke. Et toutes les cassettes du sous-sol aussi.

Alice ne pouvait faire le moindre mouvement, ni émettre le moindre son.

Mon dieu, pensait-elle. Papa, papa que dois-je faire, où es-tu, pourquoi n'es-tu pas là…

– Un homme nous a ouvert et nous a fait visiter la maison… Un vieil homme très blond, aux yeux bleu très clair…

– Oui, répondit Alice. C'est M. Lahut. Le majordome. Il s'occupe de la maison et des cuisiniers. Il vit dans une petite maison à l'autre bout du jardin…

La flic eut un sourire doux.

– Alice? Tu te rappelles, ce matin dans ta déposition tu m'as parlé d'un studio que tes parents avaient acheté à la campagne? Tu sais où il se trouve?

Non, fit Alice d'un signe de la tête.

– Dis-moi, quand tu m'en as parlé tu m'as décrit une grande maison, tu m'as dit avoir aperçu une photo c'est ça?

Oui, opina Alice calmement.

– Dans ce cas pourquoi parlaient-ils d'un studio alors? Tu crois qu'ils auraient aussi acheté un petit appartement, dans le même coin, ou ailleurs? Tu penses qu'il pourrait s'agir d'un studio d'enregistrement, ou de tournage?

Alice faillit répondre non, mais se retint au dernier moment. Après tout, pensa-t-elle, pourquoi pas en effet. Ses parents lui avaient caché beaucoup de choses, alors pourquoi pas ça?

Elle haussa les épaules.

– Je ne sais pas, madame Van Dyke… Sincèrement je ne sais pas.

La femme flic leva la main en signe d'apaisement. Son sourire était franc.

– O.K., ça n'a pas d'importance pour l'instant. Écoute, maintenant il faut que tu te reposes et que nous veillions à ta sécurité. Le fait que rien n'ait été trouvé dans la maison n'arrange pas nos affaires, je suis sûre que tu es à même de le comprendre. Ta seule cassette ne suffira pas, je le crains, devant un tribunal.

Van Dyke se leva, en révélant deux longues jambes gainées d'un simple blue-jean.

– Ton témoignage devient un élément décisif, Alice. Après notre visite chez toi, j'ai entendu un type de la Justice dire qu'on n'avait rien pour lancer un mandat d'arrêt, que jamais on n'aurait dû faire cette perquisition,etc.

La femme flic plantait son regard en elle, intensément.

– Je sais que tu es remarquablement intelligente, autant qu'une adulte, et peut-être même plus. Je vais être franche et loyale avec toi. On va essayer de te faire revenir sur ta déposition. Tes parents sont des gens riches et puissants, le scandale risque d'être dérangeant et, tu dois le comprendre, à part toi, nous avons peu de choses.

– Et la cassette? demanda Alice. Vous l'avez vue ce matin… Sa voix s'étrangla dans un hoquet de détresse.

La jeune flic se rapprocha du lit et s'accroupit, plus près cette fois.

Elle posa une main protectrice sur son poignet.

– Ta cassette ne tient qu'avec ton témoignage, Alice. Les masques, tu comprends?

Alice déglutit péniblement.

Oui, répondit-elle doucement de la tête.

La femme flic se releva.

– Bien. Cette nuit tu dormiras dans une maison du Service, avec deux policiers pour veiller sur toi. Dès demain, une énorme mécanique va se mettre en branle et il faudra que tu sois en forme. Tu vas manger un bon repas, prendre une douche et dormir dans un vrai lit. Je passerai te prendre lundi matin pour aller dans les bureaux du procureur, au palais de Justice… D'accord?

Alice émit un assentiment désespéré. Que faire d'autre en effet?

La porte se referma sur la ruche d'uniformes bleus et de néon.

Alice avait alors siroté son Coca-Cola assise sur le lit. Dehors le ciel se débarrassait de l'arrière-garde des gros nuages de pluie et le crépuscule s’irisait d'une infinité d'éclats sur l'asphalte. Une lumière orange dansait à l'horizon et dans les gouttes de pluie parsemées sur les vitres de la fenêtre. Alice savait que cette journée qui s'achevait refermait un livre entier de son existence. Elle n’était que le premier mot sur une page solitaire, qu’une tempête s'apprêtait à balayer, comme une vulgalre feuille tombée de l'arbre.

C'était ça son pressentiment. L'intuition que le ciel s'éclaircissait pour donner un second souffle aux éléments. Elle en était sûre, quelque chose allait souffler sur la ville. Une tempête.

Et cette tempête, c'est cela qui la faisait trembler et frissonner, cette tempête prenait le visage de sa mère.

Sa mère qui devait certainement être en colère.

Très en colère.

CHAPITRE II

.Le procureur Goortsen était un homme mince et sec, au visage étroit et sévère. Son costume noir et ses lunettes rondes accentuaient encore son apparence de pasteur luthérien. Il se tenait derrière un bureau majestueux, dans une pièce aux boiseries sombres qui témoignaient de siècles entiers passés à écouter les secrets et les crimes des humains. Les lambris et les meubles anciens luisaient sous la lumière blanche tombant du ciel gris acier, par de hautes fenêtres qui donnaient sur les jardins du palais.

Alice était impressionnée par l'atmosphère solennelle et pesante qui se dégageait du lieu et de l'imperturbable personnage qui trônait, à contre-jour dans la lumière.

La main de l'inspecteur se referma doucement sur son poignet et d'une petite pression la força à la suivre vers le magistrat.

Alice prit place sur la haute chaise rococo, en essayant de ne pas se tortiller maladroitement, de rester calme. Et vigilante.

Elle se cala contre le dossier et tout en se tenant très droite regarda la pointe de ses chaussures, en attendant que cela vienne.

La voix du procureur était à son image. Froide et distante.

– Bien. Voilà donc la petite Alice Kristensen. Vous savez que vous êtes déjà une sorte de célébrité, mademoiselle?

Gênée, Alice ne sut quoi répondre. Elle continua d'observer ses pieds en cherchant une issue, puis jeta un regard implorant vers Anita, qui comprit aussitôt et prit la parole:

– Monsieur le procureur, cette enfant a été très choquée par l'expérience qu'elle a vécue… J'attire votre attention sur l'extrême sensibilité de cette jeune fille. Ainsi que sur son intelligence hors du commun… Je vous ai amené une copie de ses dossiers scolaires… Vous allez être impressionné.

Alice vit la jeune femme extirper une chemise de carton de sa sacoche et la poser délicatement sur le bureau.

Le procureur regarda Anita puis Alice, avec la chaleur d'un oiseau de proie, et se saisit du dossier qu'il feuilleta en silence, émettant deux ou trois murmures d'étonnement authentique.

Lorsqu'il reposa le dossier son regard avait imperceptiblement changé, un peu moins glacé, vaguement plus humain. Ses yeux se posèrent sur Alice qu'il détailla posément puis sur Van Dyke.

– Bien, inspecteur Van Dyke, j'en conviens c'est spectaculaire. Voulez-vous par là me prouver que cette jeune fille dit assurément la vérité?

Anita rassembla ses esprits et se lança:

– Monsieur le procureur, pensez-vous réellement qu'une enfant sensée et brillante puisse inventer un tel jeu tordu? Accuser ses parènts, sa mère, d'être des criminels sans en être complètement certaine, intimement convaincue…