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– Bon, dit-il en se retournant vers Alice, on est à Évora et il est presque une heure du matin, on sera pas à Faro avant deux ou trois bonnes heures… On a le choix. Ou on décolle direct. Ou on passe la nuit à Évora et on remet le reste pour demain matin. On pourrait y être pour le déjeuner. Comme ça on dérange pas ton père en pleine nuit.

Les effets du speed l'avaient quitté. Et le poids d'une nuit et de deux longues journées de conduite, à peine interrompues par un intermède de cinq heures, commençait à retomber sur ses épaules. Deux rudes journées, bien remplies. Il se serait volontiers coulé dans les draps, en fait.

Alice le regardait sans rien dire.

– Bon, laissa-t-il tomber, qu'est-ce que tu préfères?

– Ben c'est comme vous voulez, Hugo, émit-elle timidement. Mais c'est vrai, on pourrait dormir tranquillement à l'hôtel èt rouler demain matin.

Il comprit que le poids de la journée devait sembler encore plus lourd à Alice qu'à lui même.

Et surtout ça lui donnait une vague excuse. Il mit en route le moteur.

– On parle d'un pousada sympa dans le guide du routard, dit-il en effectuant son demi-tour. La pensao O Eborense. Installée dans un ancien solar

Elle ne répondit rien. Elle avait l'air de parfaitement savoir ce qu'était un solar.

Lorsqu'il se gara devant la splendide demeure, plongée dans l'obscurité, il discerna une vague lueur au rez-de-chaussée près de l'entrée vitrée. Il y avait trois ou quatre voitures disséminées dans le parking. Deux bagnoles portugaises. Une espagnole et une allemande. Sans doute des touristes. Comme Berthold Zukor, le touriste qu'il était.

Il éteignit le moteur et sortit sans mot dire de la voiture. Alice fit de même et observa l'architecture harmonieuse du petit palais blanc.

– C'est joli ici, murmura-t-elle.

Hugo ouvrait le coffre. Il s'empara du sac de sport vide et y fourra la mitraillette, enveloppée dans son étui de plastique. Puis il ouvrit la mallette de gauche et s'empara de quelques sous-vêtements, tee-shirt, chaussettes, slip, ainsi que de sa trousse de toilette.

Enfin il ouvrit la trousse à outils où il récupéra un rouleau de Chatterton noir, qui rejoignit la mitraillette et le linge.

Puis il mit le sac sur son épaule et referma le coffre.

À l'accueil un homme bronzé au regard aimable et intelligent lui donna la chambre quatorze, en lui souhaitant la bienvenue et en lui montrant la chambre. Il détaillait la toison oxygénée d'Hugo avec une lueur amusée.

Une pièce assez vaste, mine de rien. Avec des fenêtres donnant sur un bouquet d'arbres. Une douche et des toilettes. Deux grands lits, visiblement confortables.

Hugo remercia l'hôte et prit possession de la chambre.

Alice alla se planter à la fenêtre.

– Prends une douche, et couche-toi, laissa-t-il tomber sans intention particulière.

Elle lui jeta un regard surpris avant de se diriger vers le petit cabinet de bains.

Hugo attendit qu'elle se soit enfermée pour ouvrir le sac. Il s'empara de la mitraillette et découpa le Chatterton qui retenait les chargeurs. Il en enclencha aussitôt un et arma la machine. Un claquement sec. Une balle était engagée dans le canon. Prête à l'emploi.

Puis il scotcha un chargeur sur celui qui était en place, tête-bêche, ce qui permettait de recharger à toute vitesse, en un tour de main.

Il en confectionna un double avec les deux magasins restants puis il replaça le tout dans le sac de sport, ouvert, à la tête de son lit, du côté gauche. Il avait toujours été un faux droitier, un gaucher manqué. Mais la vieille mémoire de ce double endormi ressortait parfois étrangement à la lumière. Il tirait comme un gaucher, en fennant l'œil droit et tenait un fusil ou un PM comme tel. Étrangement, pour les armes de poing, comme le Ruger, c'était sa main droite qui était la plus performante, parce que plus agile, mieux développée. Il entendit le bruit de la douche qu'on actionnait.

Il alla vérifier que la porte de la chambre était bien fermée à clé. À double tour.

Il ôta son blouson et ses bottes et s'allongea sur le lit.

Alice ressortit de la cabine avec un long tee-shirt blanc et une paire de petites chaussettes blanches. Elle se dirigea d'un trait vers son lit et se fourra sous les draps en éteignant sa lumière.

Hugo se leva et s'enferma à son tour dans la cabine de douche. Il se décrassa entièrement et revêtit ses sous-vêtements propres, puis il s'enroula à son tour dans les draps.

La lune projetait des stries pâles et dorées par les interstices des volets. Il ne vit pas le sommeil venir.

*

Ils arrivèrent en vue d'Évora un peu avant minuit et demi, par la Nl8. La N254 était plus jolie, mais la N18 était plus rapide lui avait dit Oliveira à l'intersection.

Le flic conduisit prudemment mais sûrement dans le dédale de vieilles rues. Il s'arrêta devant un porche qui donnait sur un terre-plein au bout duquel se dressait une bâtisse blanche. Il pénétra sur le terre-plein et se gara près d'une Mercedes aux plaques allemandes.

Ils suivirent le tenancier de l'hôtel dans l'escalier garni de plantes exotiques et purent jeter au passage un coup d'œil admiratif à la terrasse qui donnait sur un petit parc.

Ils prirent deux chambres séparées mais voisines et se donnèrent rendez-vous pour le petit déjeuner, à huit heures trente.

Anita posa son petit sac de sport sur le lit et fit le tour de la chambre.

Elle prit une douche rapide, puis une seconde, beaucoup plus longue, qui vida le ballon d'eau chaude, et réalisa qu'elle n'arrivait pas à se detendre. Malgré la fatigue, un virus énervé s'agitait dans son métabolisme. Elle tenta de faire le point, allongée, nue, sur le lit.

Elle entendit vaguement qu'on pénétrait sans trop de bruit dans une chambre, à l'étage. Des bruits furtifs.

Puis elle s'engouffra dans les draps. Elle se résigna à éteindre la lumière en sachant pertinemment que le sommeil ne viendrait pas tout de suite.

Mais rien de bien cohérent ne semblait surgir de ce brainstorm nocturne et involontaire. Les images du Grec tournoyaient régulièrement comme un diaporama malade et obscène. Le fichier Manta, se répétait-elle alors, comme un mantra hypnotique, le fichier Manta, tâchant de se concentrer sur ce qu'elle avait découvert d'important.

Travis. Skip. Un bateau. Une société. Un hangar sans doute quelque part. Un compte bancaire. Il faudrait s'occuper de cela dès demain, après avoir vu les cadavres à la morgue.

De faux citoyens belges. Roulant dans une voiture allemande. Des hommes d'Eva Kristensen?

Mais par qui se seraient-ils fait descendre? Eva K. aurait-elle des concurrents? Le milieu? La maffia?

Bon sang, Oliveira lui avait dit que Travis connaissait des dealers mais aussi des sortes d'agents d'influence ou de liaison de la-maffia…

Nom de dieu… Travis aurait-il fait appel à des tueurs expérimentés du syndicat du crime sicilien pour contrer son ex-femme?

Elle se retourna sur le dos, soudainement tendue, et concentrée.

Oui, pensait-elle alors, presque furieusement.

La chose ne s'était jamais éclairée sous cet angle.

Travis était peut-être plus qu'un simple marin toxico? Peut-être n'était-ce qu'une couverture? Peut-être travaillait-il en fait pour la maffia, ou une organisation approchante?

En ce cas, pourquoi aurait-il fait exécuter ces hommes sur le bord d'une route portugaise? Ben tiens, réagissait-elle. Parce qu'ils y étaient, évidemment. Ce qui voulait dire qu'Eva K. n'était pas loin et que l'étau se resserrait. Travis devait très certainement se méfier au plus haut point de son exfemme. Il avait alors pris les devants et fait exécuter deux types un peu trop curieux… Peut-être Travis se planquait-il à un endroit peu éloigné du lieu de l'exécution… Oui, oui sans doute. Mais il y avait autre chose. Et cette autre chose, Anita le savait de tout son être, cette autre chose c'était Alice.

Elle ne savait d'où venait cette impression mais elle sentait comme l'aura immatérielle de la fillette dans cet «incident». Elle s'agita dans les draps.

Une sorte de scénario tramait sa toile dans son esprit. Et si Travis avait en quelque sorte planifié la fugue d'Alice? Oui mais… Comment?

Pas de réponse.

Supposons qu'il travaille pour la maffia, il doit posséder des relations bien placées et un réseau efficace. Admettons qu'il ait réussi à communiquer avec Alice, malgré sa déchéance des droits paternels. Peut-être était-ce cela le projet dont Travis parlait dans son courrier au Grec. Peut-être même était-ce pour cela qu'il avait programmé sa disparition?

Pour s'évanouir dans la nature des mois avant l’execution. Histoire d'avoir le temps de bien brouiller les pistes. Sans doute le bateau aurait-il servi à filer aux antipodes, avec sa fille, dans une retraite bien préparée.

Oui, mais Alice s'était sauvée de chez elle après avoir vu la cassette de Chatarjampa, il était difficile de voir une main extérieure à tout cela.