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Il courut jusqu'à son blouson, sauta dans ses vêtements et envoya les clés de la BMW à travers la pièce jusque dans les mains de la fillette qui les saisit adroitement au vol.

– On se tire. Tu ouvriras les portières.

Elle fonçait déjà vers l’escalier.

Il put se rendre compte qu'elle enjambait sans hésitation les cadavres allongés en travers de la porte, ou gisant dans l'escalier.

Lorsque la fliquesse s'éveilla, il atteignait le Beixa Alentejo. Il roulait sur une petite route qu'il suivait avec l'aide d'Alice, installée à côté de lui, sur le siège passager, la carte dépliée sur ses genoux. La jeune femme s'agita en gémissant, sur la banquette. Alice avait eu tout le temps de lui expliquer qui était Anita Van Dyke après qu'il l'eut portée dans la voiture. Au passage dans le hall de la réception il avait pu voir que le gardien de nuit avait été tué, une large entaille comme un deuxième sourire s'ouvrait autour de sa gorge, et qu'on avait arraché les fils du téléphone. Dans la voiture, il avait pratiqué un garrot et un pansement d'urgence, en moins d'une minute. À l'extérieur aucune bagnole de flics ne rôdait, nulle part dans les parages. Seules quelques lumières allumées dans les maIsons du voisinage témoignaient qu'on avait bien entendu quelque chose, comme des coups de feu, là, dans l'hôtel. C'était à croire que le commissariat entier avait été soufflé.

À vingt kilomètres d'Évora, il s'était planqué dans la cambrousse et avait procédé à l'intervention.

Il avait installé la couverture sous la tête de la flic puis découpé la manche avec son couteau suisse. Il y avait une vilaine blessure, un trou noirâtre et rouge, énorme, au sommet du bras, à cinq centimètres au-dessous de l'épaule. Il coupa la manche à l'encolure et la jeta au loin.

Il avait soulevé délicatement le bras de la jeune femme et vu qu'un deuxième orifice s'étoilait en dessous, également. La balle avait traversé le bras de part en part. Du très gros calibre, un genre de balles blindées. Ça avait causé de gros dégâts à l'intérieur. En quelques auscultations il put déjà soupçonner une fracture.

Il avait entendu le ahanement d'Alice qui revenait avec la pharmacie, une caisse à peine moins grosse que la trousse à outils. Comme le disait Ari Moskiewicz, ça ne prend pas beaucoup plus de place d'avoir un équipement fiable. C'était vrai. Mais ça pesait nettement plus lourd.

Hugo avait ouvert prestement la grosse valise. Il y avait là de quoi soigner à peu près tous les types de blessures occasionnées par les armes à feu.

Il avait extirpé une petite bouteille d'oxygène.

Un antiseptique puissant. Un anesthésique, des compresses, du fil, de quoi cautériser les plaies et une paire de ciseaux étincelants. Puis il avait procedé à l'opération.

Alice regardait le spectacle, d'un air médusé.

Ensuite il avait changé les plaques, dans ce chemin forestier en retrait de la route de Monsarraz.

Enfin il avait pris de petits axes routiers, un peu au a hasard, vers l'est, puis le sud-est.

Il entendit la jeune femme bouger, puis demander:

– Où sommes-nous?… Où… Où allons-nous?

Il jeta un coup d'œil sur la carte et prit une minuscule voie communale serpentant entre des collines arides.

– Nous sommes dans le Bas Alentejo, vers l'Espagne.

Il trouva un chemin qui grimpait vers un escarpement rocheux, au sommet duquel se délabrait une ancienne tour de guet. Il était au sud-est de Moura, vers la frontière que les Portugais protégeaient des incursions castillanes depuis des siècles. Le chemin était caillouteux et la butte formée de roches où poussait une maigre végétation.

Il se gara près de l'ancienne tour et éteignit les phares, de là où il était il dominait une vallée aride entourée de petites mesas.

La jeune femme reprenait conscience, elle appuya son dos contre la portière où Hugo avait roulé la couverture navajo en oreiller. Son visage était pâle et couvert de sueur.

– Alice? demanda Hugo, prends le tube bleu et blanc et le tube vert dans la trousse et passe-lui la bouteille d'eau minérale.

Alice s'exécuta et la jeune femme se saisit des objets en émettant un petit râle. Son bras gauche était maintenu par une attelle de carbone, dans un bandage tout à fait orthodoxe.

– Prenez deux comprimés contre la fièvre et un antibiotique. Et buvez cette bouteille entièrement, ordonna Hugo.

La jeune femme eut un léger sourire lorsqu'elle hocha la tête. Elle avala les pilules et reposa la bouteille contre elle.

– Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait? demanda-t-elle, tout à fait sérieusement.

– Pour le moment je réfléchis… Le mieux serait évidemment que vous alliez au plus vite dans un hôpital et que moi, je ramène cette môme chez son père…

La jeune femme exhala un petit soupir.

– Et où pensez-vous que ça se trouve, ça?

– J'vous l'ai dit à l'hôtel, j'sais pas exactement, mais Alice le sait et vous-même vous avez parlé d'Albofera ou quelque chose comme ça, non?

– Albufeira, corrigea-t-elle dans un souffle.

– C'est ça, Albufeira.

– Ce n'est pas là.

– Comment ça, ce n'est pas là?

– Ce n'est pas à Albufeira. Cette adresse n'est plus la bonne. Stephen Travis a déménagé il y a quatre mois. Il n'habite plus cette maison… Personne ne sait où il est.

Oh, merde, pensa Hugo, si fort qu'il crut l'avoir prononcé à haute voix.

Il regardait Alice qui ne disait rien, la bouche entrouverte, proprement hébétée. Il comprit qu'Alice n'en savait pas plus. Qu'elle ignorait en fait où se trouvait son père.

On pouvait parler de série noire, en effet.

– Écoutez, reprit la jeune flic. Ça ne sert plus à rien ce que vous faites. Même si je ne sais pas ce qui s'est passé exactement à Évora ni pourquoi les flics ont mis tant de temps pour venir, vous pouvez être sur que dans quelques heures à peine le pays tout entier sera à votre, à notre recherche…

Hugo réfléchissait, à toute vitesse, tel un ordinateur amphétaminé. Ari, qu'aurait dit Ari, nom de dieu?

Pense par toi-même, lui gueulait alors une voix tonitruante, trouve une putain de solution.

– Hugo, reprit la jeune femme, d'un ton conciliant. Il faut me ramener à un centre de police, le plus vite possible. Ces hommes ont tué un policier là-bas, l'homme de la porte du fond. C'était le policier qui m'aidait à retrouver Travis au Portugal. Il faut que vous me laissiez, avec Alice, à un commissariat quelconque. Ensuite si vous voulez je vous laisse une douzaine d'heures pour remonter à fond vers l'Espagne et la France…

Hugo se retourna vers elle avec un rictus plus sarcastique qu'il ne l'aurait vraiment voulu.

– Vous rigolez ou quoi? Vous pensez être en situation de discuter?

Sa voix était vraiment dure et il décida de calmer le jeu.

– Écoutez miss. Vous êtes blessée et moi je dois conduire cette môme jusqu'à son père.

– Je vous ai dit que ce n'était plus la bonne adresse.

– Je sais. J'ai entendu.

– Qu'est-ce que vous comptez faire, alors?

Là, Hugo était bloqué.

– Je ne sais pas encore, justement je réfléchissais avant de me faire interrompre, me semble-t-il…

La jeune femme soupira.

– Écoutez, reprit Hugo, c'est sans doute vrai que je n'ai pas la bonne adresse, mais vous il y a quelque chose que vous devez impérativement savoir.

La flic releva une paire d'yeux étonnés vers lui.

– Et quoi donc?

– Alice ne veut plus être mise sous le contrôle de la police. D'après elle, si jamais je fais ça sa mère la reprendra, presque illico. Son père n'a strictement aucun droit légal sur elle. Elle me l'a dit, texto, tout à l'heure pendant que vous dormiez. Elle peut vous le confirmer si vous le désirez.

Il fit signe à Alice de se lancer.

Elle se retourna vers la flic et se concentra deux petites secondes.

– Anita… c'est vrai. Si la police me reprend ma mère et ses avocats me récupéreront, vous le savez bien…

Hugo alluma une cigarette et tendit son paquet par-dessus la banquette. La jeune femme se saisit d'une Camel. Il lui tendit l'allume-cigares puis attendit sa réponse.

– Bon… Vous avez raison. Je ne suis pas en mesure de discuter… Quelle est votre décision?

– Nous allons nous reposer un peu, déjà. Et je vais jeter à nouveau un coup d'œil au trou de gros calibre que vous avez dans le bras… Si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Après qu'il eut inspecté la blessure et vérifié que le bandage et les points de suture tenaient le choc, il l'avait regardée et lui avait jeté un maigre sourire.

– Ça pourra faire l'affaire un jour ou deux. Mais d'ici là, je vous aurai conduite à un hôpital…

– Qui êtes-vous?

– Hugo est un surnom. Je m'appelle Berthold Zukor.

Il ne regarda même pas Alice pour lui transmettre un message invisible. La fliquesse ne paraissait pas avoir les yeux dans sa poche.

– Berthold Zukor, murmura-t-elle.