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Il demanda que Koesler parte en premier, puis lui et Rudolf, et enfin les Français, à cinq ou six minutes d'intervalle. On ne devait pas les voir ensemble jusqu'à la maison de Monchique. Le but de cette fuite vers le nord-ouest était de faire croire a une retraite vers Lisbonne, si jamais on avait repéré leurs véhicules devant l'hôtel et à la sortie de la ville. Mais au croisement de la N 4 avec la N10 qui menait vers Sétubal, il fallait prendre plein sud et attraper la N5 en direction de Grandolà. Un peu avant Grandolà, à l'intersection, ils prendraient vers le sud-ouest, en direction de Mirobriga, puis d'Odemira, où ils s'enfonceraient dans la Serra Monchique, par la 266. L'idéal était d'atteindre l'Algarve avant le plein jour. Il faudrait foncer, mais en restant décent vis-à-vis du code la route, avait-il martelé. Ils avaient trois cents-trois cent cinquante bornes à faire. Faudrait les faire en trois-quatre heures, au maximum, c'est tout.

Puis il avait patiemment attendu que Koesler et Sorvan s'enfoncent dans la nuit et il avait rallumé l'autoradio.

Eva K. ne serait pas contente du tout.

Dès leur arrivée à Monchique, il faudrait joindiie le Dr Laas, à la Casa Azul. De la part de Mme Cristobal, pour une urgence. Sorvan était le tueur fétiche d'Eva K., il ne fallait pas qu'il meure.

Il était pile quatre heures à l'horloge de bord lorsqu'il ordonna à Rudolf de démarrer à son tour.

CHAPITRE XIX

Le soleil, dont la lumière se diffusait dans le pare-brise, finit par l'éveiller. Il reprit conscience avec la bouche complètement desséchée, une impérieuse envie de pisser et l'œil collé à la pendule du tableau de bord.

Nom de dieu, réalisait-il en essayant d'adhérer à la réalité. Pas loin de huit heures et demie!

De vastes nuages de brume se délitaient autour des mesas et la lumière solaire s'y perdait, dans un chatoiement irréel.

Alice dormait la tête contre la vitre, emmitouflée dans la couverture navajo, et la flic aussi, sous le duvet militaire. Il s'étira et ouvrit la portière.

Il alla pisser derrière l'ancienne tour de guet. Merde, se disait-il en gonflant ses poumons de l'air sec, où soufflait un léger vent tiède. Une heure de retard sur le programme.

Il tenta de faire le point, dans la solitude et le decor de la nature.

Si Travis avait un bateau au Portugal, nommé la Manta, on finirait bien par trouver un entrepôt, un hangar, ou une société, quelque chose. Il suffirait de telephoner aux capitaineries des divers ports de l'Algarve pour voir si un bateau nommé la Manta n'était pas immatriculé quelque part. Ça, la fli quesse aux cheveux fauves pourrait fort bien s'en occuper. Pendant ce temps-là il pourrait commencer à se taper les bars sur les ports de la côte.

Ce qu'il fallait faire, donc, en premier lieu, c'était quitter l'Alentejo, et le Portugal puis descendre jusqu'à Vila Real de Santo Antonio, par l'Espagne. Un plan se dessinait dans sa tête. Ensuite on trouverait une planque où mettre Alice en sécurité et on chercherait Travis. On pouvait sûrement y arriver en quelques jours si on le voulait vraiment. Pour cela, il faudrait que cette flic, Anita Van Dyke, accepte le deal qu’il allait devoir lui proposer.

Il retourna a la voiture et se saisit discrètement de la bouteille d’eau minérale quìl veilla à ne pas finir. Puis il alla s’asseoir au volant et alluma doucement l’autoradio. Il enclencha la cassette d’un vieux Dylan, Nashville Skyline, qui lui remettait les compteurs à zéro, au petit matin.

Anita s'éveilla lentement, sans pousser la moindre plainte. Il entendit simplement un signe d'activité derrière lui. Une respiration plus affirmée. Des mouvements. Des ondes.

Alice reprenait ses esprits elle aussi, mais très vivement.

Elle s'éveilla presque instantanément, comme si on avait rebranché une machine puissamment active à l'intérieur d'elle-même. Elle ouvrit des yeux qui ne mirent pas deux secondes à s'accommoder. Elle se les frotta rapidement, puis observa le spectacle du soleil qui jouait avec les restes du brouillard matinal, au-dessus de la vallée.

Toorop prit ses lunettes noires dans la boîte à gants, les enfila sur son nez et mit la clé dans le Neiman.

– Bon lança-t-il presque joyeusement, une demi-bouteille d'Évian comme petit déjeuner, ça me semble un peu restreint… Surtout au vu de la journée qu'on a devant nous.

Il sentit qu'il avait foiré. Que sa fausse nonchalance n'avait fait qu'irriter les deux femmes de la voiture et que, si le silence seul lui répondait, c'était entièrement de sa faute.

Il démarra sans faire le malin et demanda gentiment à Alice de déplier la carte à nouveau. Il fit une marche arrière puis demi-tour de l'autre côté de l'ancien donjon. Il observa le cheminement qu'il fallait pratiquer pour rejoindre l'Espagne par les axes discrets puis pour descendre vers le sud.

Il lança la voiture à bonne vitesse sur le chemin caillouteux.

Dans un petit village, quelques kilomètres plus loin, il dénicha quelques magasins et acheta de quoi se restaurer. Plus loin encore, il s'arrêta au bord de la route, et leur petit déjeuner de fortune fut englouti en une dizaine de minutes, sans même sortir de la voiture.

Puis il reprit la route sans dire un mot.

Il franchit la frontière par de petits axes secondaires et rattrapa la N433, puis la 435, quinze kilomètres plus loin. Il veilla à ne faire aucun excès de vitesse et une heure et demie plus tard ils arrivèrent en vue des faubourgs de Huelva.

Seules les cassettes qu'il enfournait régulièrement dans le lecteur troublaient le silence.

Il y avait un drugstore, là, à l'entrée de la ville, Il s'arrêta sur le bord du vague trottoir défoncé. Il improvisait au fur et à mesure. Il descendit de la voiture et d'un pas vif entra dans le magasin. Il en ressortit moins de deux minutes plus tard, un petit sachet de papier à la main. Il s'engouffra dans l'habitacle et jeta le sachet dans la boîte à gants.

Il fonça droit vers l'ouest, vers Vila Real de Santo Antonio.

Passé Gibraléon, il demanda aux «filles» de bien vouloir repérer les gîtes en location, sur le bord de la route. Il était onze heures et des pous sières et un plein soleil frappait le paysage. Elles trouvèrent près d'une dizaine de panneaux indiquant des locations, sur le bord de la nationale, mais il ne s'arrêta que dix kilomètres avaiit Ayamonte, la ville frontière du côté espagnol. Après Ayamonte il y avait le Rio Guadiana qui marque la limite entre les deux nations ibériques concurrentes, depuis des siècles. De l'autre côté on tombait aussitôt sur Vila Real de Santo Antonio, la rivale lusitanienne d'Ayamonte l'andalouse.

Alice repéra un panneau indiquant une petite route qui partait de la grande nationale vers le nord.

Cinq cents mètres plus loin la même inscription se retrouva devant une petite maison à un étage.

Il jeta un regard interrogateur à Alice qui semblait connaître la langue locale.

– C'est à louer, et c'est libre.

– Bon, se contenta-t-il d'émettre.

Il y avait un numéro de téléphone écrit sur la pancarte. Il reprit la route jusqu'à Ayamonte où il trouva une cabine, à l'entrée de la ville.

Il gara la voiture juste à côté de la porte, le coffre à moins d'un mètre.

Il se concentra sur la méthode Burroughs-Maskiewiez et passa l'univers extérieur au scanner alors qu'il composait le numéro, appris de mémoire.

Il négocia la location de la villa dans un volapuk touristique hispano-anglais et comprit que quelqu'un serait à la maison dans un peu plus d'une heure. Vers treize heures. Un senor Juanitez.

Parfait.

Il reprit la route en sens inverse et décida de trouver un coin discret dans la cambrousse environnante. Il se retrouva au bord d'une plage, à cinq-six bornes au sud-est de la villa à louer. Il gara la voiture près d'un chemin d'accès à la mer et se retourna à demi sur la banquette.

Il jeta un coup d'œil à Anita puis à Alice.

– On a une heure devant nous, lâcha-t-il. On peut se détendre un peu.

La flic hollandaise eut un petit sourire.

Il ouvrit la boîte à gants et s'empara du sachet qu'il tendit à Alice.

– Je crois que tu as l'habitude maintenant.

Alice ouvrit le sac et en retira un petit flacon de shampooing colorant. Un noir d'ébène. Elle lui offrit un rictus résigné, mais un éclair de malice jaillit dans sa prunelle lorsqu'elle ouvrit la portière.

Elle se dirigea d'un pas nonchalant vers la mer qui battait le sable. à cent mètres de là, en contrebas des dunes.

Il se retourna vers Anita.

– Bon, je crois qu'il faut que nous ayons une petite discussion, tous les deux.

Il lui offrit le visage le plus neutre qu'il pouvait puis sortit de la BMW et lui ouvrit la portière, le plus simplement du monde. Elle déclina son aide quand elle mit le pied sur le sol.

Il faisait assez chaud et un vent tiède soufflait du sud, de l'Afrique, mais elle s'emmitoufla dans son blouson, parcourue par un léger frisson.

– Vous avez pris vos comprimés, comme je vous l'avais dit, à Ayamonte? lui demanda-t-il, sur le ton neutre d'un médecin bienveillant.