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Elle murmura un vague assentiment puis le regarda sans ciller.

– De quoi voulez-vous que nous discutions?

Il mit ses idées en place, une ultime fois.

Il jeta un coup d'œil panoramique sur la plage, pointa Alice et ouvrit le coffre. Il s'empara presque machinalement du sac de sport, où pesait l'acier de la Steyr-Aug.

Il rejoignit Anita et descendit lentement vers la plage, l'invitant à en faire autarit dans un geste à peine formulé.

– De notre future collaboration.

Il plongeait ses verres noirs dans les yeux de la jeune Hollandaise.

– Ce que vous me demandez est complètement dingue.

La flic et lui étaient assis au pied d'une dune, le dos contre le sable. Alice se teignait méthodiquement les cheveux, les pieds nus dans l'écume.

Il surveillait Alice et la voie d'accès à la plage tout en débitant méthodiquement les grandes lignes de son plan.

Il n'avait pu s'empêcher de sourire.

– Non. Je vous propose quelque chose de clair. Et de concret… En échange de quoi, comme je vous l'ai dit, je vous autoriserai à entrer en communication avec la police néerlandaise et les flics portugais.

– Ça frise l'illégalité la plus totale.

– Oui mais ça ne fait que la friser; justement. Croyez-moi je connais assez bien le problème, malgré les apparences.

Il esquissa un autre sourire.

Il tentait de légèrement détendre la situation. De manière décente.

Mais ça ne marcha pas.

– Non, vous me demandez de mentir à mes collègues et à mes supérieurs…

Elle plaça son bras bandé dans une position plus confortable.

– Je ne vous demande que de taire certains aspects de la situation, pour le bénéfice de votre enquête. Très momentanément…

Anita ne répondait rien. Elle semblait cogiter à toute vitesse. Très bon signe, ça.

– Écoutez, reprenait-il pour enfoncer le clou. J'ai besoin de vous et de la puissance d'investigation policière mais vous, vous avez besoin de moi si vous voulez qu'Alice soit vraiment en sécurité…

Ce qu'il voulait dire c'est qu'Alice courait le plus grand risque à se retrouver dans les mains de la police locale. Sa mère pourrait faire intervenir ses armées d'avocats et la récupérer dans la journée. Il n'existait aucun élément tangible permettant de relier l'attaque d'Évora avec Eva Kristensen. Ce qu'il fallait donc faire c'était plonger momentanément avec lui dans la clandestinité, tout en maintenant un contact régulier avec son équipe et les flics de Faro. Il suffirait de dire une moitié de la vérité.

Dans l'attaque, Oliveira était mort. Alice avait fui avec un homme responsable de la déroute des assaillants. Anita avait été blessée. L'homme l'avait soignée puis laissée à un arrêt d'autocars, à un endroit fictif qu'on choisirait au Portugal, indiquant une direction opposée à cette frontière. Elle indiquerait que tout allait bien et qu'elle continuait l'enquête de son côté. Il faudrait dire aux flics de Faro de concentrer les recherches sur les hommes d'Evora. De leur côté, il fallait de toute urgence retrouver Travis et lui confier la petite. Ensuite Anita ferait ce qu'elle voudrait.

L'autre solution, lui dit-il, c'était qu'il laisse en plan la maison, Anita sur le bord de la route, et qu'ils partent avec la môme, seuls, à la recherche de son père.

Elle grimaça un rictus résigné.

Il alluma une cigarette et en tendit une vers la flic.

– Trois jours. Quatre, au plus. Le temps qu'on repère Travis…

Elle tendit les lèvres et la Camel vers la flamme tremblotante du Zippo.

– Non… Non, émit-elle en hochant la tête d'un air désespéré. Je ne crois pas que je puisse accepter cela… Cela serait considéré comme une faute grave.

– Vous croyez que ce ne serait pas une faute grave de laisser la môme retomber dans les griffes de sa mère? Avant que vous ne trouviez quoi que soit de sérieux et qu'elle s'envole pour la Patagonie?

Il sentit la fliquesse peser consciencieusement le poids de sa décision.

– D'accord, finit-elle par souffler. J'accepte. Jusqu'à mercredi soir. Ensuite je reconsidérerai ma position. Mais je veux autre chose en échange.

Toorop soupira.

– Dites toujours.

– Dites-moi ce que vous faites réellement. Je ne vous demande aucun nom, rien de précis… Juste qui vous êtes. Votre activité réelle.

– Je pourrais vous raconter n'importe quoi.

– C'est vrai.

Elle entendait par là qu'elle pensait qu'il n'en ferait rien.

– Je ne peux pratiquement rien vous dévoiler, malheureusement.

Elle le regarda avec une intensité électrique qui le troubla.

– Vous êtes de la maffia? Un syndicat apparenté?

– Bon sang, réagit-il instinctivement, qu'est-ce qui vous fait croire ça?

Mais il regretta ne pas avoir mûri plus longuement sa réponse. C'était une excellente couverture, ça. Un type de la maffia. Qu'aurait employé Travis… Il devinait ce qui avait germé dans la tête d'Anita Van Dyke. Elle s'occupa d'ailleurs d'anéantir ses doutes dans la seconde.

– Travis vous emploie, c'est ça? Mais quelque chose a foiré dans son plan et vous ne savez pas où il se planque, vos communications sont coupées…

Putain, pensa-t-il, presque fébrile, ça pouvait tenir la route ça, en effet.

– Quelque chose comme ça…

Une suspension d'un instant. Le temps d'une respiration.

– Vous savez, je préfère que vous ne me disiez rien plutôt qu'un tissu de mensonges mal improvisés.

Il n'avait pas mis assez de sincérité dans son rôle, elle avait flairé le truc bidon. Cette fille était une véritable télépathe, ça ne serait pas si facile.

– Mais je vous rappelle que je désire connaître la partie émergée de l'iceberg, tout du moins, reprit-elle, d'une voix glaciale. Je veux savoir avec qui je m'embarque.

Il réfléchit à toute vitesse en élaborant un tri entre les informations secondaires et importantes. Appliquer les règles stratégiques d'Ari. Toute information est un virus. A vous de savoir le coder pour qu'il effectue tel type de travail ou un autre. Évidemment ne pas mentionner le Réseau.

– O.K. Je vais essayer de vous faire un topo réaliste… Un, je ne connais pas Travis. Comme vous l'a dit la môme, c'est le hasard seul qui nous a réunis. Deux, je travaille pour mon compte. Une forme de mercenariat. Disons que je suis un agent privé qui offre ses services à droite à gauche…

Elle enregistra les données, en le sondant de son regard d'azur.

– Quel genre de services? Et qui, à droite, à gauche?

Il n'y couperait pas. Il faudrait aller jusqu'au bout, maintenant.

Quand vous livrez une information importante, disait Ari, veillez à ce qu'elle soit suffisamment dramatique pour éveiller l'intérêt et la survaloriser. De ce fait vous semblez offrir un renseignement capital alors que l'essentiel est resté dans l'ombre, occulté par la «magnitude» émotionnelle de votre information-virus.

Quand Ari aura le prix Nobel, l'humanité sera presque au bout de ses peines.

Il prit son inspiration et lâcha la couleuvre:

– Par exemple l'approvisionnement en armes du gouvernement bosniaque.

Elle avala l'information, en silence, en vraie pro.

Puis en faisant un geste machinal de l'index dans le sable:

– J'imagine que vous ne pouvez m'en dire plus?

– Non, répondit-il du tac au tac. C'est déjà trop. C'est tout ce que je peux faire.

Elle acheva son dessin sur le sable, l'observa un instant puis l'effaça, du plat de la main.

– O.K., lâcha-t-elle. Nous passons un accord.

Et elle lui tendit un peu gauchement sa main valide en signe d'alliance.

Juste avant de partir, il se teignit les cheveux lui aussi, avec le shampooing colorant d'Alice. La toison blanchie par l'eau oxygénée n'était pas des plus discrètes. Même si le portier de l'hôtel, la seule personne qui aurait pu témoigner que M. Berthold Zukor avait les cheveux gris-blanc oxygénés, se trouvait dans l'incapacité de parler, maintenant.

Il décida aussi de ne pas montrer la présence d'Alice tout de suite. Un peu de temps de gagné. Si l'homme de la maison avait mis une heure pour venir, il ne devait pas habiter tout près et ne repasserait sans doute pas avant plusieurs jours. Il la laissa donc dans la voiture planquée derrière un bouquet d'arbres et visita la maison avec Anita, en la présentant comme sa femme. Ils étaient hollandais et passaient des vacances d'une douzaine de jours dans le coin. L'homme consentit à leur louer la maison pour deux semaines.

Il paya avec ce qu'il lui restait de cash espagnol.

Il aurait le temps de tirer du fric sur le compte Zukor dans la journée, à Ayamonte.

Hugo était resté la plupart du temps à la fenêtre, l'œil fixé sur la route et les arbres derrière lesquels scintillait le métal noir de la BMW, Il fit comprendre à l'homme qu'ils étaient pressés, d’une simple vibration, son simple comportement, fermé, froid et précis, envoyant comme un signal

Invisible et inaudible, mais parfaitement sensible.