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Elle en parlait comme si un serpent allait s'enrouler sous ses jupes.

– Passez quand vous aurez fini là-bas. Ce qui compte maintenant c'est Travis. Ma fille doit déjà etre chez lui, nom de dieu…

– Ce n'est pas certain… je vous expliquerai cet apres-midi. Il faut que je me mette en route.

– O.K., au revoir, Lucas.

Et elle avait déjà raccroché.

Vondt prit une douche, s'envoya un bon petit dejeuner et demanda à Koesler quelques amphés.

Puis il expliqua à Dorsen ce qu'il attendait de lui. Il avait bien fait de le mettre en réserve celui-là. C'était de loin le plus intelligent de la bande. Et un excellent tireur de surcroît. Il était jeune mais montrait des aptitudes exceptionnelles. Il pourrait mener la barque ici, pendant son absence.

Il était très exactement midi lorsqu'il prit la route du sud.

CHAPITRE XX

Sur la route d'Ayamonte, il tenta de sonder un peu la flic. Lui aussi, il avait besoin d'informations.

– Qu'est-ce que vous pouvez me dire sur la mère d'Alice?

Elle lui jeta un petit coup d'œil en coin.

– Si vous commenciez par me dire ce que vous savez?

Il voyait où elle voulait en venir. Elle aussi connaissait la valeur d'une information.

– Alice m'a raconté une histoire un peu décousue. Je sais que sa mère est extrêmement riche. Et que visiblement elle a des méthodes assez expéditives. D'autre part elle a réussi à divorcer du père d'Alice en le privant de tous ses droits paternels… Alice m'a également raconté une histoire de cassette-vidéo, trouvée dans sa maison d'Amsterdam. et qui a déclenché sa fuite. Elle m'a raconté quelques rêves aussi.

Il décela un éclair d'intérêt dans le regard de la jeune femme mais celle-ci ne répondit rien.

Il aurait pu entendre le bourdonnement de son cerveau tant elle semblait réfléchir intensément.

– Qu'est-ce que vous savez de la cassette?

Il réprima un sourire.

– Tout, je pense. Un snuff-movie, c'est ça?

Elle hocha la tête, gravement, en silence.

Il flairait quelque chose de plus. Occulté par omission.

– Bon, parlons de Travis, maintenant. Vous sembliez penser qu'il puisse être en relation avec la maffia…

– L'histoire de cette famille est vraiment compliquée, vous savez… Il semblerait qu'il ait eu des contacts, dans le temps, avec des gangsters de Sicile… je pensais qu'il avait pu embaucher un type. Une ancienne connaissance, quelque chose comme ça…

– O.K. Et que fait-il exactement? C'est un mec de la Cosa Nostra?

– Non, je ne crois pas. C'est un ancien marin de la Navy. Ensuite il a rencontré la mère d'Alice, en Espagne. Puis ils sont venus s'installer en Algarve. Ce que je peux vous dire c'est que c'est un junkie, un toxico. Et qu'il fabriquait ce bateau, la Manta, avec un témoin de l'affaire.

Il tilta aussitôt.

– C'est qui ce témoin?

Il vit Anita hésiter, puis prendre une décision.

– Vous l'auriez lu dans les journaux, de toute façon… Ce témoin était un dealer. Les hommes d'Évora l'avaient trouvé avant nous, hier soir. Mais j'ai réussi à dénicher quelques infos chez lui.

Il comprit qu'un homme était mort, sans doute salement, et que le hit-squad Kristensen était dejà sûrement aux trousses de Travis. Avec peut-être même une bonne longueur d'avance.

Quelque chose se mit à le tracasser.

– Dites-moi, lâcha-t-il un peu avant l'entrée de la ville… Comment croyez-vous que les hommes d'Évora ont appris que nous étions à l'hôtel, moi et Alice?

– Je n'en sais rien, répondit-elle. Peut-être ont-ils eux aussi des informateurs un peu partout, comme la maffia. Peut-être le patron de l'hôtel, je ne sais pas.

– Non, ils n'auraient pas tué un de leurs indics… Ça ne venait pas de l'hôtel.

Le silence emplit l'habitacle.

Il s'arrêta devant la cabine et fit un dernier point avec Anita.

Une discussion éclata au sujet d'un point crucial qu'il croyait réglé.

– Non, résistait-il vaillamment, je vais vous accompagner à la cabine. Je suis dans l'obligation de prendre cette précaution.

Elle fulminait intérieurement et son regard jetait des étincelles..

– Écoutez, reprit-il. Ensuite je vous ramène à la maison et si voulez changer de version auprès des flics ce sera votre affaire… Vous devrez juste leur expliquer le premier mensonge,… Sans compter tous les risques pour Alice, que nous connaissons. Je veux assurer le coup… Alors on va à la cabine et vous déballez le scénario prévu, O.K.?

Elle l'observait avec attention et l'orage intérieur semblait disparaître progressivement.

– D'accord, laissa-t-elle tomber, résignée.

Il lui ouvrit la porte de la cabine et s'installa à ses côtés.

Elle téléphona d'abord à Faro.

Il comprit que c'était la panique là-bas.

On ne savait plus où elle était depuis la fusillade de la nuit et elle débita patiemment la version fictive des faits en indiquant qu'elle se trouvait au sud de Setubal, comme prévu. Elle demanda ensuite qu'on recherche un bateau nommé la Manta. Elle expliqua pourquoi toutes les morts violentes des deux derniers jours avaient un lien avec Travis et Alice. Elle occulta les détails importants, en jetant son regard azur au plus profond de lui. Puis programma un rendez-vous téléphonique vers sept heures du soir avec le flic qui chapeauterait les recherches auprès des capitaineries d'Algarve.

Elle raccrochait et son regard étincelant lui demandait clairement: alors c'était comment, monsieur «je-n'ai-confiance-en-personne»?

Hugo la regardait du coin de l'œil, branché sur l'observation des alentours. Un sourire plissa ses lèvres.

– Parfait… Appelez Amsterdam, maintenant.

Le regard étincelant le vrilla d'un rayon bleu, méchamment ardent.

Ils trouvèrent un distributeur pas loin de la cabine, où il tira du liquide avec la carte Zukor. Puis ils firent des courses dans un supermarché où Hugo remplit un plein Caddie de bouffe et de vêtements pour Alice. Il trouva également une librairie et il acheta un énorme paquet de journaux portugais et des bouquins en tous genres, en espagnol (il savait qu'Alice le comprenait parfaitement). Il prit également deux journaux français de l'avant-veille qui titraient sur le martyr de la ville assiégée de Srebrenica, y voyant un parallèle avec l'insurrection du ghetto de Varsovie, cinquante ans plus tôt, très exactement. Ils n'avaient pas tort. Hugo retint difficilement la vague de rage froide qui l'envahissait devant la photo du Dr Karadjic. Le psychiatre reconverti dans la purification ethnique arborait un fier sourire, aux côtés de son chef d'état-major, le général Mladic. Tous deux semblaient défier le monde entier et surtout, envoyaient un message clair à tout l'Occident. Maintenant, messieurs, semblaient-ils dire, il est effectivement trôp tard. Hugo se demanda s'il était possible d'envisager leur assassinat et se dit que les musulmans du monde entier seraient bien inspirés de lancer des «fatwas» contre ce genre de criminels de masse, plutôt que de condamner des écrivains «sacrilèges».

Dans les journaux portugais et espagnols du jour il comprit qu'on démilitarisait la ville de Srebrenica, côté musulman, alors que les troupes serbo-tchetniks campaient aux faubourgs de la ville. Seigneur, pensa-t-il, voilà qui illustrait de manière parlante le désormais célèbre «il ne faut pas ajouter de la guerre à la guerre»…

Il y avait plus grave, plus obscur et plus désespérant en cette belle journée du 21 avril 1993. À cause du plan Vance-Owen, qui avalisait la politique de redécoupage ethnique de la nation bosniaque, Croates et Musulmans se battaient pour le contrôle de la Bosnie centrale, territoire censé revenir aux «Croates» de Bosnie. Seigneur… Peut-être Marko Ludjovic et Béchir Assinevic s'affrontaient-ils désormais, sur cette terre abandonnée de tous. Le désespoir qui pulsait dans ses veines prenait le visage lisse et souriant de la diplomatie européenne. Il se souvint de ce qui l'avait poussé à rejoindre Ari, Vitali et le premier noyau des Colonnes Liberty-Bell, un bel été de 1992. Ce jour-là, à la radio, la secrétaire d'État aux affaires européennes [*Élisabeth Guigou, à l'époque.] avait tranquillement affirmé que les partisans d'une intervention étaient les «complices des forces de mort déchaînées dans l'ex-Yougoslavie». Il avait aussitôt appelé Ari pour lui dire que c'était d'accord.

Encore une fois l'Occident n'avait rien compris. Et les bonnes âmes pouvaient pointer de l'index cette «guerre d'un autre âge», sans voir qu'elle préfigurait tout au contraire le futur. Que l'Europe avait cédé devant la vision raciste du développement séparé et du redécoupage des frontières par la force, créant un fâcheux précédent, à l'aube du XXIe siècle. Il se mordit les lèvres en se demandant si les Colonnes Liberty-Bell, dont l'organisation était encore embryonnaire, n'arrivaient décidément pas trop tard…

Il demanda à Anita de lui traduire les passages les plus importants en lui faisant une rapide synthèse des articles.