Выбрать главу

Nom de dieu. Les types du hit-squad Kristensen étaient déjà passés avant lui. Le dealer grec avait craché le morceau.

– Et vous lui avez dit la même chose. Le bar Atlantico?

– Oui, je sais qu'il y allait souvent, avec ce type, ce Grec dont on parle dans les journaux… Ditesmoi c'est ça l'histoire, hein? C'est ça qui vous intéresse? C'est quoi le fin mot de l'histoire? La maffia? Du trafic de drogue?

C'était sans doute inutile de mentir. Disons que ce mensonge de plus était parfait, rectifia-t-il aussitôt. Il acheva son verre de bière.

– Oui, je mène une enquête sur ces événements. Je vous remercie pour tout. Offrez une autre tournée.

Il se leva en laissant un paquet de dollars sur le zinc.

Il sortit du bar avant que quiconque ait eu le temps de réagir.

Au bar Atlantico le même scénario se répéta. Il était maintenant tout à fait entraîné à son rôle de journaliste blasé, s'inspirant de quelques modèles du genre qu'il avait vus dans les grands hôtels de Split ou de Sarajevo. La plupart d'entre eux n'étaient pas de mauvais bougres, loin de là. Mais ils avaient assisté tant de fois aux débâcles humanitaires de l'Occident, ces derniers temps, qu’ils considéraient généralement les éléments des Colonnes Liberty-Bell comme de doux rêveurs. Certains d'entre eux ne bougeaient pas des hôtels de Zagreb, de Split ou de Dubrovnik, d'autres avaient vraiment vécu l'enfer sous le feu de l'artillerie néo-tchetnik, à Sarajevo ou ailleurs, certains avaient pu approcher de camps de prisonniers, dans les zones serbes, pendant l'été et l'automne 1992, d'autres avaient suivi les convois de l'O.N.U. qui avaient pénétré en Bosnie orientale, en février, après un blocus de dix mois, dans des contrées où, pour survivre, des hommes s'étaient vus obligés de revenir au cannibalisme.

– Vous faites votre boulot et nous le nôtre, c'est tout, avait-il lâché un jour à une journaliste tchèque avec qui il passait la soirée, à Dubrovnik, alors qu'elle repartait pour Prague et lui pour il ne savait pas encore très bien où, précisément.

– Oui, mais c'est quoi exactement votre boulot?

– Faire en sorte que des types comme Zladtko ne disparaissent jamais tout à fait.

Et il avait montré Zladtko Virianevic, un journaliste serbe de «Oslovojenje», un des Serbes démocrates, anti-tchetnik, «Bosniaque», qui luttaient aux côtés des Croates et des musulmans comme font d'autres dans la capitale encerclée et partout ailleurs en Bosnie.

– Arrêtez vos conneries, avait dit la journaliste en émettant un petit rire. Je vous demande quel est votre boulot, alors répondez-moi simplement, s'il Vous plaît.

Il avait un peu titubé sous les vapeurs de l'alcool et es effets de la vodka eurent raison de son vœu de silence, comme si une soupape s'était momentanément ouverte.

– Disons que nous nous considérons comme des mercenaires privés, œuvrant pour la justice et la liberté. Une forme moderne des chevaliers du Moyen Âge et des frères de la côte…

La jeune Tchèque l'avait regardé et avait murmuré, éberluée:

– Oh non, ne me dites pas que vous faites partie de ce truc-là…

– Quel truc? avait-il demandé..

– Ne faites pas l'idiot (son délicieux accent slave allait âvoir raison de ses dernières résistances, avait-il pressenti), cette organisation dont on parle à mots feutrés dans tous les couloirs d'ambassade. Les Colonnes Liberty-Bell. C'est ça n'est-ce pas?

Il avait souri, impénétrablement.

– Nous ne sommes encore qu'une poignée mais nous allons nous étendre, nous aussi, comme un virus. Un anti-virus, en fait, contre le retour de la barbarie et du totalitarisme, vous voyez, ici, déjà, puis, sans doute, un peu partout dans le monde…

– Vous êtes complètement fous, avait-elle jeté en éclatant de rire. La rhapsodie de son rire flûté avait eu raison de tout et il avait éclaté de rire à son tour.

– Oui, avait-il admis, nous sommes de véritables cinglés. Nous pensons que la liberté et le mensonge sont des virus rivaux, nous croyons que la littérature, la biologie et l'astrophysique sont des armes de pointe dirigées contre l'anti-pensée, contre le délire totalitaire, quel qu'il soit, quelle que soit sa couleur, brune, ou rouge si vous voyez ce que je veux dire.

– Bon dieu, vous êtes'encore plus atteints que je ne le pensais…

Et ils avaient éclaté de rire à nouveau.

Ce soir-là, il avait senti qu'il aurait sans doute pu faire l'amour avec cette fille mais quelque chose d'indiciblement obscur et caché l'en avait empêché, au dernier moment.

L'avant-veille encore son unité avait libéré un village musulman occupé depuis des mois et les images du massacre qui avait précédé la retraite des nationalistes serbes tournoyaient encore dans son esprit. Le récit des viols collectifs hantait sa mémoire et le sexe, il le savait, demanderait sans doute encore quelques jours de sas avant de pouvoir s'épancher sans pensées négatives, cauchemardesques.

La fille et lui s'étaient quittés au petit matin, après qu'il eut brûlé son smoking sur la plage, comme prévu.

Hugo se rendit compte que sa rêverie l'avait momentanément extrait de la réalité du café l'Atlantique, où il venait d'offrir une tournée générale après avoir récolté la même réponse qu'au bar précédent. Qu'est-ce que les journalistes voulaient àTravis? C'était au sujet du Grec? On ne savait rien.

Le barman semblait rompu aux règles de la langue de Shakespeare. De nombreux touristes devaient s'arrêter ici, pendant l'été.

Hugo offrit une seconde tournée.

– Je m'intéresse au bateau en fait, reprit-il en anglais. Plus qu'à l'histoire de drogue elle-même, corrigea-t-il, dans ce sens là, cette fois-ci.

– Le bateau?

– Oui, la Manta, le bateau qu'il fabriquait avec ce Grec…

– C'est exactement ce que m'a dit le type qui est venu tout à l'heure, incroyable, vous vous êtes passé le mot ou quoi?

– Quel mec, un autre journaliste?

– Oui, pour un journal de voile néerlandais.

– Tiens mais ce serait pas mon collègue Rijkens, par hasard, vous pourriez me le décrire? Tenter le coup, de toute façon.

– Oh… Un type assez grand, athlétique, un bon mètre quatre-vingts. Une quarantaine d'années, brun, yeux clairs.

Parfait.

– Il vous a dit comment il s'appelait? C'était pas Rijkens?

Il y avait une petite chance pour que le type se soit servi de son vrai nom.

– Non, il ne nous a pas dit son nom, juste qu'il travaillait pour un magazine nautique hollandais.

– Ah, ça correspond pas à la description de toute façon… Bon et qu'est-ce que vous lui avez dit alors à mon concurrent d'Amsterdam?

– La même chose qu'à vous, qu'on savait rien…

Ça semblait plus difficile à négocier ici qu'au bar précédent.

– Bon je remets une troisième tournée, je présume?

Et il avait aplati les dollars sur le comptoir.

– La seule chose qu'on sait, c'est que Travis y venait quelque fois avec le Grec, reprit alors le barman, doué comme par enchantement d'une mémoire soudaine. Ils se mettaient là-bas et y buvaient un coup, ensuite y partaient on ne sait où… Mais le Grec il habitait ici alors y z'allaient p'têt chez lui…

Ouais, ça ne menait pas très loin, ça.

Il regarda fixement le gros bonhomme moustachu. L'invitant calmement à assurer le coup. Sa main restait collée au petit paquet de billets verts.

– Ah, et à vot' collègue on lui a dit aussi que Travis y rencontrait un type de Tavira, ici, qui travaillait pour une société de construction de navires…

Oh merde pensa Hugo, le tuyau d'Anita.

Il jeta ses yeux au plus profond de ceux du barman et acheva sa sixième bière de l'après-midi.

Il alla évacuer dans les chiottes de l'arrière-cour, vraiment saoul, et paya une ultime tournée de remerciement avant de s'éjecter au-dehors et de marcher jusqu'à la voiture en prenant l'air sur les quais.

Un quart d'heure plus tard, vaguement dessaoulé, il chercha la poste, qu'il trouva par miracle, dans un brouillard cotonneux, comme si un violent coup de pompe se profilait à l'horizon.

Il appela Anita, à la maison d'Ayamonte. Selon le code convenu. Trois sonneries. Puis une deuxième salve. Elle devrait alors répondre à la quatrième, pour prévenir que tout allait bien. Sans quoi, il devait rappliquer au plus vite avec la Steyr-Aug et le riot -gun prêts à l' emploi.

Elle décrocha à la quatrième.

C'était à elle de s'annoncer, illico.

– Anita, j'écoute.

Ça, ça voulait dire une nouvelle fois que tout allait bien. Si elle employait son nom. Van Dyke, cela signifierait qu'il y avait un problème.

Il pouvait parler sans crainte.

– C'est moi, Hugo. Y a un petit problème…

– Quel genre?

– Le squad est sur la piste de Tavira. Un type cherhe ici, lui aussi. C'est drôle, parce qu'il utilise la même couverture que moi, ou presque. Bon faut prévenir votre témoin là-bas. Qu'il ne parle à personne d'autre que moi, d'accord? Vous êtes arrivée à le joindre, au fait?