Выбрать главу

Il s'engouffra au volant en se demandant combien de temps les flics locaux mettraient pour ramasser tout le banc de requins d'un seul coup. Toutes les forces de Faro, minimum, plus une coordination avec différentes unités locales, d'ici au Baixa Alentejo. Réunir une bonne centaine d'hommes et mettre en place un plan d'opération efficace et cohérent n'est pas chose si simple. Il faudrait sûrement quelques heures à la police pour tout organiser, mais bon ça signifiait qu'avant l'aube, la maison serait cernée, voire prise d'assaut par surprise.

Fallait juste dormir dans un coin peinard en attendant que l'orage passe. Il y avait nombre de petites plages ou criques désertes, à cette heure-ci, le long de cette côte.

CHAPITRE XXII

La nuit était tombée sur la mer et Eva Kristensen contemplait la lune, pleine et presque rousse, dans la voûte étoilée. Elle dégustait un verre de pommard et, malgré les nouvelles accablantes que lui avaient apportées Vondt, n'avait cessé de lui offrir ce sourire fatal. Elle l'avait prié de rester dîner sur le yacht et tout au long du repas, servi avec obséquiosité par un maître d'hôtel français, ils n'avaient échangé que quelques paroles futiles, Vondt lui demandant où était Wilheim Brunner par exemple.

– Il est resté en Afrique, répondait-elle laconiquement, ou «Notre plan est ce qu'il y a de mieux à faire dans l'immédiat, Vondt, ne vous inquiétez pas, j'ai la situation bien en mains», son sourire implacablement vissé aux lèvres. Le vent jouait avec ses cheveux blonds et ses doigts, parfois, plongeaient dans la masse soyeuse pour redresser

Une mèche couleur de miel. Il ne pouvait bien voir ses yeux derrière les verres fumés bleutés et il se demandait quelle drogue pouvait bien engendrer un tel état de béatitude.

Il aurait bien voulu savoir où était Koesler maintenant, et ce que foutait ce Pinto avec le tueur de Travis.

C'était une des premières choses qu'il avait dite à Mme Kristensen, dès sori arrivée à bord, cette info de Koesler. Ça et la piste de l'Australien de l'après-midi, ça permettait de compenser le désastre d'Évora.

Eva Kristensen avait tout d'abord froidement jaugé Vondt de la tête aux pieds, allongée sur son transat, sirotant un cocktail aux couleurs vives, puis un pâle sourire avait éclairé ses traits, prenant consistance au fur et à mesure que le soleil rougissait en descendant sur la mer, pendant tout l'après-midi.

– Je vous avais dit que mon ex-mari ne faisait pas les choses à moitié. Quel que soit le type qu'il a engagé c'est un professionnel, et sans doute un des meilleurs. Il faut que nous nous adaptions.

– Oui, avait simplement répondu Vondt.

– Qu'avez-vous fait des équipes chargées de surveiller les routes frontalières?

– Je les ai toutes rapatriées à Monchique. Mais j'ai gardé les hommes d'Albufeira en réserve, ils continuent de surveiller l'ancienne maison de Travis…

– Mmh, avait murmuré Eva Kristensen… Nous ne devrions pas garder la maison de Monchique avec une dizaine d'hommes armés à l'intérieur. Ça va finir par se faire repérer et nous perdrions toutes nos forces d'un seul coup…

Vondt savait qu'il était risqué d'entreprendre une polémique avec Eva K, qu'il fallait être sûr de son fait, elle pouvait admettre un argument, s'il était imparable, mais à aucune autre condition,

– Oui, sans doute… Il faut malgré tout considerer que la maison est très isolée et que Sorvan sait se faire discret. Mais effectivement on pourrait ne garder qu'un noyau à Monchique et disperser le reste.

Le sourire d'Eva s'était accentué.

– Nous nous comprenons parfaitement, Vondt…

Il avait bien failli succomber à son charme vénéneux dès la première salve de ce sourire. Mais avait vaillamment résisté tout l'après-midi. Ce n'était pas du tout le moment. Pas avec cette putain de situation à gérer et une voie de sortie à imaginer.

Mais là, sous l'astre d'or et les étoiles, sous la montée des drogues intérieures, désir, sève volcanique, printanière et lunaire, sous l'assaut irrésistible de cet incroyable vin français, il avait fini par se demander s'il allait longtemps résister à cette force qui l'attirait vers elle, aussi sûrement qu'un aimant.

– Dès demain matin, vous séparerez le groupe en deux forces, un noyau à Monchique, le reste dans une autre maison que vous louerez ailleurs, pas loin du coin dont vous m'avez parlé, par exemple.

– Le Cap de Sinès?

– Oui, si jamais Travis est dans le coin, nous pourrons agir encore plus vite. Mais il ne faut pas rester plus de deux jours encore au Portugal… Maximum.

Vondt leva un sourcil, presque étonné.

Le sourire s'approfondissait, vertigineux.

– Je ne dois prendre aucun risque inutile. Si dans deux jours je n'ai pas récupéré Alice, nous arrêterons l'opération, évacuerons tout le monde discrètement et nous agirons autrement, selon un plan que je vais commencer à préparer dès cette nuit.

Quelque chose semblait luire, derrière les verres violacés.

– Désormais, nous devons nous concentrer sur Travis et tendre le piège prévu cet après-midi… Ah, et résoudre aussi cet autre problème: si le tueur est engagé par mon ex-mari, pourquoi a-t-il besoin de Pinto pour retrouver sa trace?

Vondt avait déjà analysé le problème.

– Deux solutions: une mesure de sécurité, au cas où l'homme tombait entre nos mains. Une sorte de jeu de piste qui le mène à Pinto, puis, à Travis, sur le dernier morceau de route.

– Pas mal pensé. La deuxième solution?

– Ben… Quelque chose qui a mal marché pour eux, malgré son insolente baraka, à ce mec. Travis se planque peut-être tellement bien qu'ils ont perdu sa trace, mais moi, je pencherais plutôt pour la première hypothèse…

– Le coup du jeu de piste?

– Oui, deux ou trois arrêts stratégiques qui permettent au mec de prendre une information à chaque fois et de se rapprocher petit à petit du but, D'Amsterdam à ici. Avec Pinto comme groom pour la dernière porte.

– Pourquoi Pinto et pas le Grec?

– Ben… vot'mari, heu votre ex-mari il a l'air d'avoir du flair, il a dû se dire qu'avec le Grec c'était risqué, il a préféré miser sur un ancien pote, marin comme lui.

– Ouais, murmura doucement Eva Kristensen, psychologie, j'aurais dû y penser…

Puis, soudainement plus active, avec une forme d'intensité redoutable:

– Il ne faut pas que Koesler perde ces deux types. Ils vont nous mener droit à Travis. Quand vous serez revenu à terre, prenez discrètement toutes les mesures pour cerner sa maison. Ensuite vous attendrez qu'Alice y soit, comme convenu, et vous m'appellerez, de la Casa Azul. N'agissez pas tant que Pinto et ce type sont sur les lieux. Vous attendrez tranquillement qu'ils partent et alors seulement vous interviendrez. En douceur, d'accord, cette fois-ci? Pas de fusillade, je veux un enlèvement propre et sans bavure. Lui et elle. Vivants tous les deux.

Il y avait eu une vibration particulière sur le mot «vivants», mais il ne savait à quoi l'attribuer.

– Tout le monde se rendra au point de rendez-vous et recevra son salaire, ainsi que les fausses identités. Je m'occuperai seule du reste, quand ils seront à bord. Les salaires des morts seront partagés par les survivants de l'attaque. Et j'ajouterai une prime de cinq mille marks à tous. Il faut savoir motiver son personnel… je veux que Sorvan reprenne confiance et vous aussi, et Koesler également.

– Ce qui pourrait vraiment faire plaisir à Sorvan c'est l'autre fils de pute, là, le tueur à gages de Travis…

Le sourire d'Eva s'était figé, un bref instant.

– Nous n'avons pas le temps.

Le geste sec et ferme de la main indiquait que cela ne souffrait aucune discussion.

– Écoutez, Vondt, ce type est comme vous, on le paie pour faire son boulot et il le fait, c'est tout. Ce qui compte c'est ma fille, en priorité absolue, puis Travis, vivant si possible, point final. Vous attendrez le départ de Pinto et de l'agent de Travis, je veux que ça glisse comme sur de la soie, vous comprenez?

– C'est très clair. Je devrai calmer Sorvan.

– C'est cela.

– Bon, et qu'est-ce qu'on fait si le Sicilien reste comme garde du corps?

– Appelez-moi de la Casa Azul comme convenu. J'aviserai en fonction.

Le bruit de l'Océan et du vent emplit l'espace. Le visage d'Eva semblait maintenant fermé à toute intrusion extérieure, le regard braqué vers la lune. Elle conservait l'ombre d'un sourire aux lèvres mais agissait comme si Vondt n'existait tout bonnement plus.

Il comprit que l'entretien était terminé.

Les deux marins espagnols attendaient patiemment à la poupe lorsqu'il retourna au canot.

Il quitta le beau yacht blanc sans lui jeter un regard. Là-bas, dans le faible rayonnement lunaire, il discernait la côte découpée et la tache laiteuse de l'institut plongé dans l'obscurité. Les embruns fouettaient son visage.

À l'institut de la Casa Azul il n'était qu'un client un peu à part, un Hollandais nommé Johan Plissen, ami du propriétaire, à qui on réservait une vaste suite dans un des pavillons isolés de la demeure. Le canot le laisserait à l'embarcadère et il devrait ensuite emprunter le petit chemin qui menait aux marches, gravées dans le bord de la falaise.