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– Qui a peint ces toiles? demanda Pinto au tenancier, en montrant vaguement la pièce d'un geste de la main.

L'homme hésita une fraction de seconde, à peine.

– Ce n'est pas votre ami, l'homme s'appelle O'Connell et il est irlandais…

– Donnez-nous deux autres Coca, s'il vous plaît.

Pinto profita de l'éloignement provisoire de l'homme pour se tourner vers Hugo.

– Je savais que Travis peignait mais je n'avais jamais vu qu'une ou deux toiles, au début, et ça ne ressemblait pas vraiment à ça… Comment vous avez compris?

– Escape, SKP, ça vous dit quelque chose?

Pinto s'absorba un bref instant dans ses réflexions.

– Non. Rien.

– Alors je ne sais pas. Intuition, feeling. C'était un ancien de la Navy et certains tableaux…

L'homme revenait avec deux nouveaux verres et deux petites bouteilles à l'étiquette rouge et blanc.

Hugo décapsula sa bouteille en s'adressant en anglais à Pinto, comme si de rien n'était:

– Demandez-lui pour ce peintre. Dites-lui que je suis collectionneur et que ces toiles m'intéresSent au plus haut point. Ajoutez que Travis peint aussi et que c'est pour cela, en fait, que nous le cherchons. Vous, vous le connaissez un peu et moi je désire acheter ses toiles…

Il fallait balancer sur-le-champ un virus plausible, camouflant la bonne information, le fait qu'ils cherchaient Travis.

L'homme essuyait vaguement quelques verres, sur le bord de l'évier.

Pinto s'éclaircit la voix et se risqua:

– Bien, nous vous devons la vérité, senhor…

L'homme que j'accompagne est un riche collectionneur et il s'intéresse à l'œuvre de Travis, il désire acheter certaines de ses toiles et en discuter avec lui. Il a cru que les œuvres d'ici étaient de lui. Mais du coup il vient de me dire que celles-ci l'intéressaient également et qu'il aimerait rencontrer l'homme qui les a peintes, vous croyez que ce serait possible?

Hugo sortait la dernière liasse de dollars et l'aplatissait sans trop d'ostentation à côté de son verre. Il fallait rester décent et ne pas risquer d'offenser l'homme.

Le tenancier planta son regard dans celui de Pinto puis dans celui d'Hugo. Il les sondait froidement. Puis il s'approcha lentement d'eux.

– Ça fait plusieurs mois que M. O'Connell n'est pas passé. La dernière fois c'était pour me laisser la petite toile, là, à côté de la porte; en janvier.

– Il ne vous a laissé aucun contact, une adresse, un numéro de téléphone, une boîte postale? surenchérit Pinto.

L'homme s'approcha des verres et des bouteilles vides et ramassa la liasse de dollars, sans rien dire.

Hugo vit ses yeux faire rapidement le compte. Cinquante dollars. Pour cinq Coca, et un petit renseignement. Le cours de l'escudo multipliait cela en une jolie petite somme, ici, sur cette partie côtière de l'Alentejo.

– Je… Je ne sais pas où il est, senhor, mais… je crois que je connais quelqu'un qui pourra nous renseigner.

L'homme n'était pas si à l'aise que ça avec les billets verts. C'était comme s'ils lui chauffaient les doigts. Il les tripatouillait du bout des ongles, et finit par les enfourner dans la caisse, après leur avoir lancé un regard gêné.

Hugo voulut dissiper sa honte, après tout l'époque voulait ça. C'était normal. Qu'étaient ces cinquante dollars par rapport aux millions qui transitaient en pots-de-vin divers par des sociétés d'études bidon? Et c'est d'un geste royal, qu'il espérait en concordance avec son statut fictif de riche collectionneur d'art, qu'il lança, dans son portugais approximatif:

– Gardez la monnaie, senhor…

L'homme referma sa caisse avec un soulagement qui détendit aussitôt ses traits et toute sa structure.

– Merci infiniment, senhors, je vous suis extrêmement reconnaissant. Je vais essayer de joindre la personne dont je vous ai parlé… Mais je ne sais pas s'il est chez lui à cette heure-ci.

Et il se dirigea vers l'extrémité du bar, où se trouvait un appareil à jetons.

Il y avait quelqu'un à l'autre bout du fil.

L'homme parla à voix basse, mais Hugo vit Pinto tendre l'oreille. L'homme parlait en portugais, Pinto saisirait peut-être certaines informations.

L'homme raccrocha rapidement et revint leur faire face.

– Mon ami m'a dit que ce n'était pas facile de joindre M. O'Connell en ce moment, mais qu'il allait essayer. Il me rappellera d'ici deux ou trois heures…

Hugo fit comprendre à Pinto qu'il était inutile de rester ici plus longtemps et après les remerciements d'usage, promettant d'être de retour dans deux ou trois heures, ils attrapèrent Alice au passage et sortirent au grand air.

– Tu as déjà vu des toiles comme celles-là, Alice?

La môme ne répondit rien, elle semblait perdue dans des limbes de souvenirs.

Hugo regarda sa montre. Il était un peu plus de cinq heures. L'air était tiède, mais avec déjà un souffle de fraîcheur, en provenance de l'Océan. Les pêcheurs achevaient de remonter leur grand filet dérivant et s'apprêtaient à s'occuper d'un second, situé à une centaine de mètres à leur gauche.

Il décida de leur accorder un quart d'heure de détente. Après ils continueraient de chercher la Manta, discrètement, histoire de ne pas perdre le temps qu'ils avaient à tirer.

Ils laissèrent la voiture mais Hugo emporta le sac de sport avec lui.

Ils s'adossèrent tous trois à une dune et observèrent en silence le ballet des pêcheurs sur le sable, autour de leurs pieux de bois, comme une très ancienne cérémonie, vouant un culte aux trésors enfouis sous la mer.

Puis ils remontèrent jusqu'à l'auberge, prirent place dans la Fiat et entamèrent leur trajectoire fatale vers le nord.

Ça faisait quand même un sacré bout de temps qu'on n'avait pas connu pareille activité frénétique ici, au commissariat central de Faro. Koesler avait été totalement isolé des autres, et des équipes entières se relayaient pour interroger les types.

Koesler demanda illico un avocat mais dut se contenter de la présence d'Anita et de deux inspecteurs du commissariat qui l'assaillirent de questions. Malgré la petite bande magnétique où Hugo avait enregistré ses secrets, Koesler résista assez solidement, au début.

Les premiérs à lâcher furent les deux Portugais capturés dans la maison de la serra. Ils possédaient peu d'informations mais suffisamment pour impliquer les autres dans l'attaque de l'hôtel et le meurtre du dealer grec. Vers midi, un «Belge» nommé De Vlaminck fut identifié par la police néerlandaise à qui Anita avait faxé les portraits et les fausses identités. L'homme s'appelait en réalité Vaarmenck et était recherché pour divers délits. Il fréquentait Johan Markens.

La muraille commençait à céder de toutes parts.

À treize heures, Peter Spaak arriva d'Amsterdam avec des informations intéressantes de son côté et Anita put commencer à appuyer sur les bons boutons, quand elle reprit l'interrogatoire de Koesler.

– Bon, je vais faire un petit récapitulatif de ta situation et ensuite je te poserai une question et une seule et ce sera: es-tu prêt à coopérer afin de faire tomber Mme Kristensen, ou à finir de toute façon en prison en te demandant à chaque instant d'où pourrait venir le coup?

Elle le laissa méditer ça quelques secondes puis reprit:

– Tu es le seul des hommes capturés à connaître le nom de Mme Kristensen comme le démontre cette bande, tous les autres disent seulement avoir entendu parler d'une certaine Mme CristobaI. Cela signifie que tu fais partie d'une strate supérieure de l'organisation et que tes responsabilités pèseront lourdement dans la balance. Je ne reviens même pas sur les tentatives d'enlèvement, meurtres, dont celui d'un policier dans l'exercice de ses fonctions, ici au Portugal… Même avec un bon avocat auquel tu auras droit dès son arrivée, tu vas plonger pour tellement de temps que tu vas véritablement compter les années. Donc je te propose un contrat clair: la compréhension des juges, aussi bien ceux du tribunal que ceux chargés de l'application des peines. Pour cela et pour ta propre sécurité il faut que Mme Kristensen tombe…

Elle plongea ses yeux le plus froidement qu'elle put dans les yeux du tueur sud-africain.

– Je sais qu'elle se trouve sûrement pas très loin de la Casa Azul. Je veux savoir où.

L'homme réfléchissait à toute vitesse, visiblement.

– Je… Je l'ai déjà dit à votre collègue. Je ne sais rien sur cette Casa Azul. Je savais que Vondt se dirigeait vers la pointe de Sagrès, c'est tout… Il était le seul à connaître le «point de contact», ici.

– Bon, ça n'arrange pas ton cas. Deuxième question: Peter Spaak, ici présent, s'est occupé de la partie juridico-financière de notre affaire et nous aimerions connaître ta réaction à l'évocation de noms comme Golden Gate Investments, Holy Graal International Productions ou Gorgon Ltd.

L'homme resta de marbre.

– Je ne connais aucun de ces noms. Je ne m'occupais que de la sécurité de la maison et…

– Et des opérations spéciales, nous savons. Je reviendrai là-dessus dans quelques instants, en attendant nous voulons que tu nous dévoiles l'organigramme complet de l'organisation de cette chère Mme Kristensen…