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Alice montra la plaque du doigt.

– La raie manta. C'est un signe de mon père, j'en suis sûre…

Une sorte de révélation subite ébranla Hugo.

– Attends… ne me dis pas que ton père el toi communiquiez secrètement?

Il vit qu'il avait tapé juste. Le regard d'Alice se troublait.

– Qu'est-ce que tu sais de cette manta, Alice?

Il la vit hésiter, réfléchir, hésiter une nouvelle fois, mettre de l'ordre dans ses idées.

– Non, ça mon père ne m'en a jamais parlé, mais c'est bizarre… Depuis qu'on est entré dans cette auberge j'ai… j'ai senti que mon père n'était pas loin et là c'est encore plus bizarre…

– Quoi, qu'est-ce qui est bizarre?

– Ben cet endroit, vu d'ici il ressemble à… Elle se coupa.

– Vas-y Alice, je t'en prie, j'ai besoin de savoir. Pour un peu il aurait hurlé.

– C'est un autre rêve. Plusieurs fois ces temps derniers j'ai fait un rêve avec une maison en métal au bord de la mer. Mais une vraie maison, vous voyez? Dans cette maison mon père m'attendait… et…

Hugo se retint de soupirer et de montrer son impatience, comme un renvoi qui montait aux lèvres sans qu'on y puisse rien.

– Dans la maison il y avait un marineland, vous savez… et dans le marineland il y avait des dauphins, des orques, des requins, et aussi des raies mantas. Beaucoup de raies mantas. À la fin du rêve mon père lui-même devenait une sorte de raie manta…

Oh, putain.

Il se retourna vers Pinto qui contemplait la plaque lui aussi. Puis de nouveau vers Alice, puis vers le logo.

En deux ou trois enjambées il fut à l'interphone. Son index écrasa le gros bouton d'appel.

Il sonna plusieurs fois de suite. À un moment donné une voix lui répondit. Le seul problème c'est qu'elle venait de derrière lui, cette voix, et qu'elle disait:

– Ne faites aucun geste, messieurs. Et tout se passera bien…

Tout indiquait qu'une arme était pointée dans leur dos.

Lorsqu'elle reçut le message d'Hugo, Anita se trouvait dans une voiture de patrouille, avec Olivado et deux agents en tenue. Elle demanda au conducteur de faire des appels de phares à la voiture de devant, où se trouvaient Peter Spaak et le commissaire de Faro. Elle réussit à convaincre le gros flic, dans un mélange de charme et d'intensité presque désespétée, de lui laisser une voiture banalisée, afin qu'elle puisse retrouver son autre collègue d'Amsterdam, vers le cap de Sinès. Pour des témoins très importants.

À ces mots Peter leva une paire d'yeux interrogateurs vers elle, mais ne fit aucun commentaire devant son air tout à fait grave et sérieux. Ils échangèrent un regard complice. Elle lui demanda de rentrer à Faro avec les autres afin de continuer à s'occuper de l'interrogatoire de Koesler. Elle se trouvait entre Lagoa et Alcantarijha, à cinquante bornes de Faro. Elle fit demi-tour sur la route dans la vieille Datsun grise et entreprit de dévorer les quelque cent cinquante kilomètres qui la séparaient de Vila Nova de Milfontès.

Elle mit deux bonnes heures avant de se garer devant cette petite auberge, située un peu en retrait, à l'entrée du petit bourg. À l'horizon le ciel était rouge et violet, le soleil venait d'être englouti dans l'Océan.

Il n'y avait aucune voiture. Pas de Fiat bleue à l'horizon.

Elle entra dans l'établissement avec un petit pincement au cœur. Hugo n'avait jusqu'ici jamais eu de retard. Un homme se tenait derrière le bar et lui offrit un sourire aimable en lui souhaitant la bienvenue. Elle s'assit sur un tabouret et demanda un café.

Lorsque l'homme revint avec l'expresso fumant elle se lança, dans la langue locale.

– Excusez-moi, je suis étrangère et je cherche des amis, qui m'ont donné rendez-vous ici… Deux hommes, l'un étranger, l'autre portugais, avec une petite fille…

L'expression de l'homme se figea. Il la regarda sans répondre.

– Écoutez, soupira-t-elle en exhibant sa carte officielle, je suis officier de police, je viens des Pays-Bas et je travaille ici en collaboration avec la police portugaise…

Elle inventa un mensonge plausible.

– Ces deux hommes sont des inspecteurs, un de la police néerlandaise, l'autre du commissariat de Faro… Ils m'ont donné rendez-vous chez vous.

Elle observa sa montre.

– C'est extrêmement important. Pourriez-vous me dire où ils sont?

Elle vit l'homme tanguer légèrement, comme s'il vacillait sous une révélation soudaine.

– Excusez-moi, madame, mais ces hommes se sont fait passer pour des acheteurs d'art.

Il embrassa la pièce des yeux et d'un geste de la main.

– Ils cherchaient quelqu'un, un peintre, et m'ont dit être également intéressés par ces toiles…

Anita se retourna et jeta un lent coup d'œil panoramique sur les tableaux disséminés sur les murs. Elle fit face à l'homme et porta ses lèvres à la tasse brûlante.

– De qui sont ces toiles?

– D'un Irlandais… Qui passe parfois. Il m'a vendu un ou deux tableaux et m'en a confié en dépôt-vente en quelque sorte… Je… Je connais quelqu'un qui peut le joindre et j'attends sa réponse d'une minute à l'autre… Vos amis policiers devraient être là d'un instant à l'autre, eux aussi.

Anita se détendit légèrement et avala une autre gorgée de café. Mais l'homme reprit.

– Écoutez, il y a autre chose…

Anita releva les yeux vers lui, le priant silencieusement de poursuivre.

– Il y a une heure environ, deux autres hommes, des étrangers, sont passés. Et eux aussi ils cherchaient cet homme…

– Travis? Vous voulez parler de Travis?

– Oui, Travis, c'est ça.

– Que vous ont-ils demandé?

Elle venait de se tendre, comme la corde d'une arbalète.

– La même chose que vos amis. Travis, un bateau, qui s'appelle la Manta, mais tout ça ne me dit rien et c'est que je leur ai dit…

Sa tasse restait suspendue à ses lèvres.

– Ils vous ont demandé pour les toiles?

– Non… eux ils sont repartis presque tout de suite, ils n'ont même pas fait attention aux tableaux. Ils avaient l'air fatigués et, comment dire… nerveux, tendus… mais en même temps maîtres d'eux, vous voyez?

Elle voyait parfaitement.

– Qu'est-ce qu'ils vous ont demandé d'autre?

– Heu… ben justement… ils m'ont demandé si d'autres personnes seraient pas passées dans l'après-midi, comme eux, à la recherche de ce Travis…

– Qu'est-ce que vous leur avez dit?

– Ben… sur le moment j'ai hésité, mais j'ai réfléchi et ils me plaisaient pas trop alors je leur ai dit que non, j'avais vu personne, c'est là qu'ils ont payé et qu'ils sont repartis.

– Ce peintre irlandais comment il s'appelle?

– O'Connell. Il signe SKP.

S K P. Comme un diminutif de Skip. Nom d'un chien pensait-elle, tétanisée, cet O'Connell était tout bonnement le père d'Alice.

– Savez-vous où ils sont allés?

– Vos amis, ils sont partis vers le nord j'crois bien. Et les deux types y sont remontés dans une grosse voiture noire dans la même direction, il y a une heure environ comme j'vous disais… Mais j'leur ai rien dit…

C'était vague, ça, le nord.

– Mes amis ne vous ont pas rappelé depuis?

– Non, madame, non. Ils ne devraient plus trop tarder maintenant…

Anita acheva lentement sa tasse de café, pleine d'une angoisse qui se faisait plus virulente à chaque seconde. Les deux hommes devaient appartenir aux survivants du coup de filet. Vondt, Sorvan et leur poignée d'hommes. S'ils rôdaient par ici cela signifiait qu'ils étaient eux aussi sur la piste de la Manta. Cela signifiait aussi qu'Hugo, Pinto et Alice étaient en danger. Un danger sans doute mortel.

Elle allait demander une description détaillée dans le but de la communiquer d'urgence aux flics de tout le Portugal lorsque le téléphone sonna, à l'autre bout du bar.

– Ça doit être mon ami… Ou peut-être les vôtres…

L'homme trottina jusqu'à l'appareil et décrocha.

– Jorge, j'écoute…

Il y eut une brève conversation, à voix basse. Elle n'entendit qu'un vague et lointain je vous la passe et l'homme trottina dans sa direction en montrant le combiné posé sur le zinc.

– C'est pour vous madame… heu Van Dyke… Un M. Hugo…

Anita prit le téléphone et reconnut la voix du jeune homme. Il l'appelait d'un coin perdu, sur une plage au sud de Sinès. Dans un hangar à bateau.

Il avait trouvé Travis.

Ou plutôt, comme il le corrigea avec un petit rire, c'était lui qui les avait trouvés.

CHAPITRE XXIV

L'homme était grand, avait la peau burinée par le soleil, l'eau et le ciel, les traits émaciés et les yeux, d'un bleu intense et profond, creusés d'une très ancienne fatigue. Ses cheveux blonds étaient coupés court, dans une brosse à l'aspect militaire. Il leur faisait face, maintenant, une main posée sur l'épaule d'Alice qui se blottissait contre lui. Son gros 45 automatique était passé à la ceinture et il regardait Pinto et Hugo avec un mélange de curiosité, de reconnaissance et d'une lueur insondable. Un très vague sourire ornait le coin de ses lèvres, comme la trace indélébile, permanente, d'une forme d'humour très secret.