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– Le Grec m'a appris qu'elle fréquentait tous ces dealers et autres mafieux dans ces boîtes à la mode. Moi, je ne voulais plus y aller, mais donc j'ai su qu'elle s'y rendait parfois sans moi. Je me suis dit qu'elle sortait peut-être avec un des mecs… J'ai commencé à boire… Un soir, je me rappelle, je lui ai parlé de cette proposition que m'avait faite un des truands, pour piloter leur bateau… Je lui ai dit que j'avais refusé et elle m'a dit que j'avais eu tort… Que ç'aurait pu être excitant. On s'est violemment engueulé.

Un nouveau nuage.

– Un autre jour, c'était peu avant notre départ à Barcelone, ça n'allait vraiment plus, j'avais commencé à prendre de la poudre et le Grec est venu me voir à la Casa Azul. Eva était en voyage je n'sais plus où… Le Grec m'a parlé d'un truc, d'une rumeur qui courait dans le milieu. Enfin un truc que lui avait dit un dealer dans une boîte…

Un autre nuage.

– On disait qu'y avait une femme qui payait pour assister à des exécutions. Deux ou trois fois, d'après ce qu'il savait. La description qu'on avait de la femme correspondait trait pour trait à Eva. Le soir même l'engueulade a viré à la bagarre, vaisselle et miroirs brisés, tout le bazar… j'ai l'impression qu'à partir de ce jour-là Eva a franchi un cap… elle est devenue plus prudente et n'a jamais réitére cette expérience pendant notre séjour à Barcelone… Mais j'sentais bien qu'elle continuait à faire des trucs pas clairs… On se voyait presque plus, elle était constamment en voyage d'affaires. Faut dire que sa fortune a littéralement explosé durant les années quatre-vingt… Après y a eu le divorce et la suite…

Un ultime nuage vint conclure son récit, tandis qu'il embrassait du regard le hangar.

Hugo enregistrait les informations. Se créant un film mental rassemblant la vie de cet homme. Il ne savait trop quoi dire.

Pinto lui sauva la mise.

– Bon, et quand est-ce qu'on voit ce prodige d'architecture navale, hein?

Travis se laissa aller à un sourire et Hugo aussi, en se détendant de tout son long

– Venez, dit l'homme en se levant, je vais vous montrer…

Hugo allait les suivre vers la coursive qui dominait le bateau lorsqu'il s'arrêta net.

– Excusez-moi, monsieur Travis, mais il faut que je donne mon coup de téléphone.

Angoissé, il regarda sa montre. Putain, ils avaient rendez-vous avec Anita à l'auberge et il était déjà huit heures.

Travis le scruta longuement avant de répondre.

– La flic d'Amsterdam, c'est ça? Vous savez, je ne tiens pas trop à la voir.

Hugo insista.

– Écoutez, Anita Van Dyke fait tout son possible pour arrêter votre femme. Elle nous a beaucoup aidés et a pris des risques, je veux dire, des risques en tant que flic, vous voyez, pour sa carrière et tout ça. Nous ne pouvons pas la laisser tomber comme une vieille chaussette. À cette heure-ci elle doit se morfondre à notre rendez-vous en se demandant ce qui se passe… Je dois la prévenir.

Travis cilla devant la fermeté un peu autoritaire d'Hugo mais finit par lui lâcher un faible sourire, en haussant un sourcil, d'une manière étrangement aristocratique.

– Elle viendra seule?

– Je vous en fais la promesse.

– Alors appelez-la. Et rejoignez-nous en bas. Travis prit sa fille par une épaule et poussa amicalement Pinto sur le pas de la porte.

Hugo se rua sur le gros annuaire local puis composa relvcement le numéro de téléphone.

Lorsqu'elle reprit la route, Anita n'arriva pas à déloger l'angoisse qui la tenaillait au ventre. Elle suivit les indications d'Hugo et retrouva la N390, traversa Cercal, puis Tanganheira, sur la N120, et fonça droit vers le cap de Sines.

La nuit tomba rapidement sur le paysage. La route était déserte. Ses phares ne croisaient qu'un véhicule de temps à autre, et elle ne doubla qu'un gros camion quelques kilomètres avant de prendre le chemin que lui avait indiqué Hugo. Une petite piste caillouteuse qui descendait vers les plages, au départ même de la petite péninsule.

Au détour d'un virage, dans un décor de roches et d'arbres clairsemés, elle vit le hangar dont lui avait parlé Hugo. La piste de cailloux devenait sableuse aux abords du haut bâtiment de métal. Ses phares éclairèrent l'arrière du hangar puis la rampe de béton et se fixèrent enfin sur la plage avant de disparaître.

Elle claqua sa portière et fit quelques pas sur l'esplanade qui bordait le hangar. Le bâtiment était plongé dans la plus totale obscurité. Elle aperçut un vasistas ouvert au milieu de la paroi de métal mais aucune lumière n'en parvenait. Visiblement l'entrée se trouvait du côté de cette rampe qui descendait vers les flots, avec les rochers entassés. Elle allait faire le tour du bâtiment lorsqu'une silhouette s'encadra, dans l'obscurité.

Elle eut un petit sursaut mais reconnut Hugo presque instantanément.

– C'est moi, Anita… je vous attendais dehors car nous ne voulions pas laisser la porte ouverte ni allumer la lumière.

Un petit sourire apprenait à Anita que cette idée venait de lui.

Il composa un code sur un interphone et Anita vit la haute porte basculer légèrement en se hissant doucement vers le haut, dans un bruit de moteur électrique.

– Voici la Manta…, laissa-t-il tomber en présentant de la main le voilier qui apparaissait dans l'obscurité du hangar, comme un étrange bateau fantôme.

Elle discerna une lumière à l'intérieur du bateau, une lueur pâle provenant d'une cabine.

– Ils sont à l'intérieur, dit Hugo.

Elle l'observa avec un sourire tandis que la porte se dérobait vers le ciel. Il tourna légèrement la tête vers elle et ses lèvres se fendirent, à son tour, d'un arc à la fois malicieux et grave.

– Cette histoire s'achève… Pour moi en tout cas…

Anita ne répondit rien mais dut s'avouer qu'une sorte de pincement au cœur était entrain de faire son apparition. Elle exhala un petit soupir, qu'elle espéra inaudible, lorsque Hugo la précéda dans le hangar

Elle avait l'impression que les étoiles étaient beaucoup plus brillantes, et plus nettes, là, tout à coup.

– Venez… Il est temps que vous rencontriez Travis… C'est un homme tout à fait étonnant vous allez voir.

Son petit sourire ne l'avait pas quitté et Anita se demanda pourquoi.

Hugo s'approcha d'un panneau analogue à celui de l'extérieur et appuya sur un bouton. La haute porte de métal stoppa son mouvement dans un claquement sonore. Hugo appuya sur un autre bouton et la porte bascula lentement dans l'autre sens, se refermant sur eux, comme la pierre secrète d'un tombeau oublié.

Hugo la conduisit à l'arrière du voilier. Près d'une des cales de métal qui maintenaient l'embarcation droite et stable sur le sol, une échelle menait sur le pont et Hugo l'escalada promptement.

Lorsque Anita accéda à son tour en hàut de l'échelle, il était là et lui tendait la main. Elle fut surprise de constater qu'elle ne refusait pas son geste. Lorsque leurs mains se touchèrent et qu'il l'accompagna pour prendre pied sur le pont, une sorte de chaude vibration électrique la parcourut de part en part mais elle en refusa l'idée. Elle se dégagea vivement et suivit le jeune homme dans les entrailles du bateau.

Sous une sorte de bulle de Plexiglas fumé, une petite écoutille dévoila une échelle de métal qui plongeait vers une coursive. De la lumière provenait du fond de la coursive. Elle se retrouva devant une petite porte. Le corridor était bas de plafond et tous deux se tenaient courbés pour parvenir jusque-là.

Hugo ouvrit la porte et une flaque jaune se déversa dans le couloir.

Dans la pièce, Pinto, Alice et un homme qu'elle ne connaissait pas lui faisaient face.

Une petite lampe à butane brillait dans un coin.

Hugo s'effaça pour la laisser entrer puis la devança pour se placer au centre de la pièce, à midistance d'elle et de l'inconnu.

– Anita Van Dyke… Stephen Travis.

L'homme se levait déjà de sa chaise et s'avançait en lui tendant la main. Un franc sourire armait ses lèvres.

Elle contempla le père d'Alice, en lui rendant sa poignée de main. Le visage buriné par l'eau de mer et le soleil, mais aussi les cernes et les pommettes saillantes. Elle se souvint de ce que Pinto lui avait raconté sur la toxicomanie de Travis.

Elle se rendit compte que les traits d'Hugo aussi semblaient creusés. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas passé une vraie nuit.

– Désirez-vous boire quelque chose, mademoiselle?

L'homme montrait sa table rétractable encombrée de quelques bouteilles de soda vides et d'une bouteille de whisky.

– Non, je vous remercie…

– Voulez-vous visiter le bateau, alors?

Anita se balança sur ses pieds, mal à l'aise.

– Non, je vous remercie, monsieur Travis, mais en fait…

Elle hésitait à rompre ainsi l'harmonie qui semblait régner ici. Alice, comme transfigurée, debout aux côtés de son père, l'air visiblement radieux, Pinto, un franc sourire aux lèvres, achevant un verre de whisky-soda, certainement. Hugo, le visage détendu malgré la fatigue et le poids de son sac de sport qu'il remettait en place difficilement sur son épaule. Le jeune homme ne la quittait pas des yeux, une lueur amusée dans le regard. Comme s'il savait ce qu'elle avait à dire.