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Elle prit une inspiration et se lança.

– Écoutez, vous imaginez bien que votre témoignage, ainsi que celui d'Alice, va nous être nécessaire si nous voulons confondre Eva Kristensen… Je… Je dois vous conduire au commissariat de Faro.

Un silencé de plomb s'abattit sur la petite cabine.

Elle vit Hugo caler son fardeau sur son épaule en poussant un vague soupir avant de le relâcher lourdement par terre.

– Bon… Je vais chercher la Fiat.

Il s'extirpa de la cabine et Anita fit face au père d'Alice qui la fixait froidement du regard.

Elle finit par lâcher, devant le désespoir qui se peignait sur les traits d'Alice:

– Écoutez… je vais faire un tour. Réfléchissez… Je… je vous laisse prendre votre décision en toute conscience.

Elle ignorait complètement l'origine de l'élan qui la poussait à faire cela.

Elle était déjà dans la coursive et remontait la petite échelle.

La vibration de la porte qui s'ouvrait couvrait le ressac de l'Océan.

Il s'élançait à l'extérieur lorsqu'il entendit une voix éclater derrière lui:

– Hugo… Attendez!

Il se retourna pour voir Anita longer le bateau à sa rencontre. Il lui offrit un petit sourire et reprit son chemin.

– Attendez… Bon dieu…

Anita parvenait à ses côtés.

Elle l'attrapa par le bras.

– Où elle est, votre voiture?

Hugo montra la plage qui s'étendait vers le sud.

– On l'a laissée de l'autre côté… Il faudra que je récupère la piste qui mène au hangar un peu plus haut, d'après ce que m'a dit Travis…

Il marcha vers les rochers entassés pour descendre sur le sable.

– Vous… Vous ne fermez pas la porte?

Hugo lui fit face. Elle se tenait à deux mètres de lui. Ses cheveux fauves tombaient sur son blouson. Au-dessus d'eux la voûte étoilée déployait une toile aux dimensions de l'Univers. Son regard était d'une couleur lunaire dans la pénombre. Le hangar dressait une haute tache laiteuse derrière elle. Elle était incomparablement belle. Il ne pouvait détacher ses yeux de son visage ovale aux traits doux et délicats, de son teint d'ivoire sous le rayonnement des étoiles, de ses lèvres pâles. Aucun son ne voulait sortir distinctement de sa gorge.

– On… On devrait fermer cette porte, vous savez…

La tension de sa voix extirpa Hugo de sa rêverie.

– Oui… Oui, bien sûr, vous avez raison.

Il marcha jusqu'au hangar et appuya sur le bouton qui déclenchait la fermeture.

– Vous savez, reprit-elle, je n'ai pas voulu le dire tout à l'heure, je ne voulais pas inquiéter Alice et son père… Mais, deux hommes sont passés peu après vous à l'auberge de Jorge.

Hugo se réveilla tout à fait.

– Deux hommes?

– Oui. D'après la description, il s'agit sûrement de Vondt et d'un autre homme que je n'ai pas pu identifier…

– Oh merde, siffla-t-il entre ses dents.

Il frôla de la main l'endroit où le Ruger bombait son blouson, afin de sentir sa présence rassurante.

– Je… J'ai appelé mes collègues de Faro sur la route. Ils ont demandé aux patrouilles locales de redoubler de vigilance… Je… je peux vous accompagner?

Hugo la regarda un instant, interloqué et partagé par mille sentiments contradictoires.

– Je… j'ai dit à Travis que je leur laissais un peu de temps pour en parler et réfléchir… ils en ont sûrement besoin…

Ça, pour sûr, pensait-il, Travis allait avoir besoin de réfléchir.

– Vous permettez que je vous accompagne? Moi aussi j'ai besoin de prendre l'air.

Hugo sentit son cœur légèrement accélérer. Oh, merde, il sentait même ses mains devenir moites, là, à l'instant.

– Oui, bien sûr, lâcha-t-il d'un ton qu'il voulait badin et détendu.

Anita se synchronisa à ses côtés.

Ouais, pensa-t-il en marchant à pas vif au ras de l'écume, dont la mousse laissée sur la plage semblait luire d'une fluorescence radioactive. Les types étaient de sacrés durs à cuire, et visiblement Mme Kristensen ne voulait pas lâcher le morceau…

– Qu'est-ce que vous comptez faire d'eux à Faro?

– Je vais confronter Alice et Koesler. Et demander à Travis de me dire tout ce qu'il sait sur Eva K.

– Vous avez une idée de l'endroit où elle planque?

Seul le rythme des vagues lui répondait, et il se dit que c'était la meilleure réponse, en définitive.

Eva Kristensen était là, quelque part, dans la nuit qui recouvrait l'Océan comme le plus parfait des camouflages.

Lorsqu'il ouvrit la portière, l'image de la mère d'Alice s'était durablement incrustée dans son esprit, bien qu'elle ne fût qu'une ombre, sans visage, une ombre qui se confondait avec la nuit.

Il essaya de la chasser de son écran intérieur en se raccordant à la silhouette qui se profilait derrière la glace passager. Il se pencha sur le côté pour actionner l'ouverture.

Anita prit place à ses côtés alors qu'il enfonçait la clé dans le Neiman. Il mit le moteur en route. Sans allumer les feux. Il passa son bras autour de l'appuie-tête pour se retourner vers la lunette. Il lui faudrait faire une marche arrière sur plus de deux cents mètres, sur cet étroit chemin de sable. Ensuite, d' après les indications de Travis, il lui faudrait remonter veri la piste qui menait au hangar.

Il allait passer la marche arrière lorsque leurs mains se touchèrent, par accident. Il venait de fouiller deux doigts dans une prise électrique. Leurs mains séparèrent vivement, comme animées de violentes forces répulsives.

Leurs yeux se croisèrent mais se quittèrent tout aussi rapidement.

Bon sang, se disait-il, mais quelle était donc cette sorte de vibration qui les faisait ainsi frémir à l'unisson?

Sa main lui semblait moulée dans le levier de vitesse. Son ventre était rempli d'une braise ardente. Ses pieds ne pouvaient plus bouger. Sa nuque non plus. Sa colonne vertébrale devenait plus rigide qu'une barre d'acier trempé. Ses yeux ne pouvaient, ne voulaient quitter le décor immuable et en constante transformation de la mer et du sable, des arbres oscillant dans le vent et des nuages qui couraient sur la coupole noire comme des chevaux masquant les étoiles.

Il pouvait entendre le rythme des vagues et le souffle ténu et régulier d'Anita à ses côtés.

Il fallait qu'il bouge, qu'il réagisse, impérativement, et tout de suite.

Ce fut Anita qui bougea. Sa main vint recouvrir la sienne sur le levier de vitesse.

Hugo sentit son cœur accélérer nettement le mouvement, plus sûrement qu'avec la meilleure amphétamine du monde.

Il avala durement la boule de billard qu'il avait coinçée dans la gorge.

– Je ne suis pas certain que cela soit raisonnable, dans la situation actuelle.

Il se demandait même comment il pouvait arriver à parler, nom de dieu.

– Qu'est-ce qui ne serait pas raisonnable?

Oh, putain, la voix était si proche, si étonnamment sensuelle. Il tourna doucement la tête sur le côté. Elle était déjà tout près. Beaucoup trop près.

Il comprit que c'était trop tard. Que rien ne pourrait plus arrêter la séquence qui se profilait à l'horizon des toutes prochaines secondes. Il eut un ultime réflexe de résistance.

– Écoutez… vous êtes flic et je suis… ça… ça ne va pas être possible, vous comprenez?

C'était incroyable la dose de désespoir authentique qui s'était révélée dans ces quelques mots. Il en fut lui-même abasourdi.

– Non… Je ne sais pas qui vous êtes, lui répondit-elle.

– Justement.

Jamais les yeux de la jeune femme n'avaient atteint cette intensité. Il sentit ses derniers composants de sécurité fondre, comme du silicium sous la flamme.

La main de la jeune femme effleurait à peine la sienne. C'était bien plus grave encore que si elle l'avait fermement empoignée.

– Vous ne savez pas ce que vous faites, reprit-il dans un souffle.

– Non, c'est vrai… Mais ça n'a aucune importance et c'est ce qui m'étonne…

Sa voix s'était matérialisée en un souffle chaud qui était venu percuter son visage comme un vent du désert. Un parfum de menthe. Une nuée d'émotions l'envahit. Un ultime composant claqua.

Lorsque leurs lèvres se touchèrent, son cœur franchit définitivement la limite de vitesse autorisée.

Des siècles plus tard, lorsqu'il reprit pleinement conscience, le visage ovale et les cheveux de cuivre emplissaient tout l'univers. Il prit le visage en coupe dans ses mains, et fondit à nouveau dans un monde humide, soyeux et incroyablement vivant.

Plus tard encore, il vit ce sourire redoutablement désarmant prendre possession de son visage.

– Vous comptez brûler de l'essence toute la nuit?

Il ne réagit même pas. Elle se pencha pour tourner la clé de contact et ses cheveux vinrent lui chatouiller le visage, dangereusement.