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C'est à ce moment qu'il vit une des silhouettes du pont tendre le doigt vers la mer, dans leur direction. Putain, pensa-t-il, ça y est, on s'est fait repérer…

Il s'attendait à tout sauf à ce qui suivit, une petite poignée de secondes plus tard.

Des éclairs trouèrent la nuit mais pas dans le ciel. Non, les éclairs jaillissaient du pont, seigneur, il comprit, abasourdi, que les types arrosaient le hors-bord. Et… nom de dieu, il vit un type jeter quelque chose dans le canot. Un simple mouvement du bras et un objet qui…

L'explosion souleva le canot hors des flots, en l'éventrant littéralement. Sur le pont les flammes continuaient de trouer la nuit. Mais dans leur direction cette fois-ci.

Au même instant une des silhouettes s'activa sur un treuil pour remonter l'ancre.

Incroyable, pensait-il, tétanisé. Eva Kristensen avait sacrifié ses hommes pour prendre la fuite plus vite. Elle n'avait pas hésiter à les faire massacrer, sans doute pour qu'ils ne parlent pas…

La Manta était désormais à cent mètres du yacht, fonçant sur lui par le flanc.

Les flammes zébrèrent la surface de son viseur. Des balles fusaient au-dessus d'eux, comme des embruns parfaitement mortels. Il se tourna vers Anita.

– Tenez-moi par la taille! lui hurla-t-il en essayant de stabiliser son collimateur sur les hommes.

– Quoi? cria-t-elle, visiblement stupéfaite.

– Tenez-moi par la taille, putain, faut que je puisse viser,…

Il sentit Anita passer derrière lui et l'attraper solidement par les hanches. Cela réduisit légèrement le tangage et il appuya sur la détente.

L'arme tressauta contre son épaule et il vit les silhouettes se protéger derrière le bastingage. L'homme qui tentait de remonter l'ancre s'écroula en arrière. La chaîne se déroula dans les flots.

– Qu'est-ce qu on fait? hurla Travis.

Hugo continua d'arroser le pont du yacht. Puis, sans même tourner la tête, il cria:

– Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse, nom de dieu, éperonnez ce putain de bateau!

*

Cela faisait maintenant près d'une heure qu'Alice avait perdu tout espoir. Ni Hugo, ni Anita, ni son père ne pourraient jamais plus la retrouver. Sa mère était en train de gagner la partie.

Sa mère. Qui maintenant lui faisait face. Qui plongeait son regard d'acier jusqu'aux tréfonds de son âme. Sa mère, un petit rictus de squale rieur aux lèvres, qui la contemplait en silence, dans le salon principal du yacht, plongé dans la pénombre.

De l'extérieur lui parvint le bruit d'une fusillade mais elle n'y prit même pas garde.

Oui, maintenant, seigneur, elle faisait face à la chose qu'était devenue sa mère, qui ne disait toujours rien, se contentant de la détailler des pieds à la tête.

La fusillade se tut et sa mère se leva. Tétanisée, Alice la vit se lever de son luxueux fauteuil et tourner autour de la grande table du salon, venant lentement à sa rencontre. Un ongle rouge comme du sang glissa le long du bois précieux, dans une caresse crissante. Sa démarche souple et ondoyante semblait pleine d'une puissance redoutable. Son sourire même avait l'apparence d'une grimace carnassière. Sa beauté était celle d'une arme de destruction massive, Alice le comprenait désormais avec une sorte de précision tout à fait hors du commun, comme si elle pouvait lire dans les pensées de celle qui l'avait engendrée.

– Maman…, balbutia-t-elle sans vraiment le vouloir.

– Ma très chère fille…, susurra sa mère.

On aurait dit le sifflement d'un serpent venimeux.

Alice sentit un tremblement l'envahir de la tête aux pieds, irrépressible.

Sa mère s'arrêta à moins de deux mètres d'elle. Son regard luisait d'un bleu étincelant malgré la demi-obscurité. Alice savait qu'elle tenait ses propres yeux de sa mère. Celle-ci ne lui avait-elle pas maintes fois répété à quel point elles se ressemblaient toutes deux, combien le patrimoine génétique maternel avait modelé son propre visage? Cette similitude presque parfaite ne faisait qu'accentuer la terreur glacée qui l'étreignait. Comme si c'était une image d'elle-même qui se tenait devant elle. Une sorte de clone adulte, venu de son propre futur. Elle faillit bredouiller quelque chose mais le sourire de sa mère s'accentua.

– Je crois que j'ai laissé de très nombreuses lacunes dans ton éducation, ma petite chérie… Tout ça n'est pas vraiment de ta faute. Mais je vais pallier ça dans le tout proche avenir, rassure-toi.

Alice ne comprit pas vraiment de quoi sa mère voulait parler, mais elle perçut un sous-entendu voilé, qui ne lui disait rien de bon.

Elle se rendit compte qu'elle reculait, peu à peu, alors que sa mère avançait, gardant une distance constante entre elles.

Sa mère allait de nouveau dire quelque chose, quand la fusillade reprit sur le pont, ce qui, cette fois, lui fit redresser un sourcil. Un plissement d'inquiétude se lisait sur son front. Alice entendit un bruit de pas précipités dans l'escalier, puis dans la coursive et la porte s'ouvrit brusquement.

L'homme qui l'avait aidée à grimper à bord fit son apparition sur le seuil du salon, dégoulinant de flotte, les cheveux trempés, en plaques humides contre les joues. Il tenait un pistolet à la main.

– Qu'est-ce qui se passe Lucas? jeta sa mère de sa voix autoritaire.

– Y a un problème, madame Eva…

– Quel problème?

– Vot'mari et le Sicilien ils s'accrochent on dirait, ils ont pris leur foutu bateau, ils sont là à moins de cent mètres sur le côté et ils foncent vers nous…

– Bon dieu, mais coulez-les, nom de dieu, comme les autres…

– Ils maintiennent le pont sous un feu serré et on n'est plus que trois maintenant… J'crois même qu'un de vos Espagnols est touché à la jambe…

– Les fumiers… Reste là, Alice.

Sa mère la poussa sur le côté et se dirigea vers un râtelier d'armes, situé derrière la porte. Elle l'ouvrit et empoigna un gros fusil, muni d'un chargeur sous la culasse.

Elle ouvrit un tiroir et en extirpa une poignée de balles qu'elle fourra dans une poche de son manteau de cuir avant de se ruer à l'extérieur.

Alice la vit courir dans la coursive puis monter l'escalier. La porte était restée grande ouverte. Le vacarme de la fusillade couvrait le bruit des éléments déchaînés et elle voulut aller jeter un coup d'œil au hublot, pour voir le bateau de son père. Mais un corps dégringola brutalement l'escalier, avec une plainte étouffée et des éclats de verre.

Il y eut un bruit mou lorsque le corps stoppa sa course au bas des marches. Alice vit que l'homme était recouvert de sang et qu'un gros fusil-mitrailleur avait accompagné sa chute, barrant sa poitrine. Un autre objet avait roulé sur le sol de la coursive. Un objet qui avait glissé d'une de ses poches et tournoyait comme une petite toupie à côté de sa tête. Une petite toupie noire, et quadrillée, munie d'une goupille de métal.

Elle savait parfaitement de quoi il s'agissait et elle n'hésita que quelques secondes avant de s'élancer dans le corridor.

C'est à ce moment-là qu'un choc terrible ébranla tout le bateau, dans un tonnerre de métal froissé.

Elle s'affala de tout son long à quelques centimètres de la grenade.

Travis l'avait d'abord regardé fixement, n'en croyant pas ses oreilles, puis Hugo avait vu le vieil instinct de pirate britannique prendre le dessus.

Travis lui hurla:

– Prenez les sangles, à mes pieds, et attachez-vous… faut pas que vous soyez éjectés au moment du choc!

Puis il avait fait face au yacht, vers lequel ils fonçaient, droit sur bâbord. Hugo saisit les sangles et ils se retrouvèrent attachés en quelques secondes. Puis il replaça l'arme à l'épaule. Sur le bateau les deux hommes reprenaient le tir eux aussi, mais avec une précision très moyenne. Le premier chargeur fut rapidement vidé. Il balayait le pont avec acharnement et il put également arroser la cabine de pilotage où il put voir les impacts que laissaient ses rafales. Le type qui tenait la barre s'effondra, tête en avant. Un type s'enfuyait, le dos courbé, vers le pont avant. La grande vitre latérale n'existait tout bonnement plus. Il discerna quelques hurlements derrière le mur sonore de l'Océan et de l'orage. Il effectua le mouvement cent fois, mille fois répété. Éjection, retournement. Ré-enclenchement. Le yacht s'imposait maintenant dans tout le viseur, de profil. Il s'approchait à toute vitesse. Il arrosa de nouveau le pont et vit une silhouette disparaître, avant qu'elle ait eu le temps d'épauler. Il tira sans discontinuer, balayant de nouveau la cabine. Le yacht fit une embardée qui le rapprocha encore d'eux. Un homme se tenait juste au-dessus de l'échelle de bord, une espèce de fusil d'assaut en main et sa rafale déchira la nuit. La poitrine de l'homme saturait tout l'espace du viseur lorsque Hugo appuya sur la détente. L'homme s'écroula à la renverse. Le Red Siren n'était plus qu'à quelques mètres. Ça y était, nom de dieu, ils allaient le percuter…