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Cela le rendit triste, mais Ender ne pleura pas. C’était terminé, les larmes. Dès l’instant où ils avaient transformé Valentine en inconnue, dès l’instant où ils s’étaient servis d’elle pour agir sur Ender, à partir de ce jour-là, il leur était devenu impossible de blesser Ender assez profondément pour le faire pleurer. Ender en était certain.

Et, avec cette colère, il décida qu’il était assez fort pour les vaincre, les professeurs, ses ennemis.

11

VENI, VIDI, VICI

— « Vous n’avez tout de même pas l’intention d’appliquer ce programme de batailles ? »

— « J’en ai la ferme intention. »

— « Il n’a son armée que depuis trois semaines et demie. »

— « Je vous ai déjà expliqué. Nous avons fait des simulations par ordinateur des résultats probables. Et voici ce que, selon l’ordinateur, Ender fera. »

— « Nous voulons le former, pas provoquer une dépression nerveuse. »

— « L’ordinateur le connaît mieux que nous. »

— « Mais l’ordinateur manque souvent de compassion. »

— « Si vous vous intéressiez à la compassion, vous auriez dû aller dans un monastère. »

— « Vous voulez dire que ceci n’est pas un monastère ? »

— « C’est ce qu’il y a de mieux pour Ender. Nous permettons à la totalité de son potentiel de s’exprimer. »

— « Je pensais que nous lui accorderions deux ans de commandement. En général, nous programmons une bataille toutes les deux semaines, au bout de trois mois. C’est un peu extrême. »

— « Avons-nous deux ans à perdre ? »

— « Je sais. Mais j’imagine Ender dans un an. Totalement inutilisable, épuisé, parce qu’il aura été poussé au-delà des limites du supportable. »

— « Nous avons indiqué à l’ordinateur que notre priorité essentielle était la possibilité d’utilisation ultérieure du sujet après le programme de formation. »

— « Eh bien, tant qu’il sera utilisable… »

— « Écoutez, Colonel Graff, c’est vous qui m’avez fait préparer cela, malgré mes protestations, vous vous en souvenez ? »

— « Je sais, vous avez raison, je ne devrais pas vous encombrer avec mes problèmes de conscience. Mais je n’ai plus tellement envie de sacrifier des enfants pour sauver l’Humanité. Le Polemarch est allé voir l’Hégémon. Apparemment, des citoyens appartenant au réseau américain envisagent déjà la façon dont l’Amérique pourrait utiliser la F.I. pour détruire le Pacte de Varsovie, après la victoire sur les doryphores, et cela inquiète les services secrets russes. »

— « Cela semble prématuré. »

— « Cela semble dément. La liberté d’expression est une chose, mais torpiller la Ligue en raison de rivalités nationalistes – et c’est pour des gens comme ceux-là, des gens myopes et suicidaires, que nous poussons Ender au-delà de ce qu’un être humain peut supporter. »

— « Je crois que vous sous-estimez Ender. »

— « Mais je crois que je sous-estime également la stupidité du reste de l’espèce humaine. Sommes-nous absolument certains qu’il faille gagner cette guerre ? »

— « Colonel, ces mots sonnent comme une trahison. »

— « C’était de l’humour noir. »

— « Ce n’était pas drôle. Quand il s’agit des doryphores, rien… »

— « Rien n’est drôle, je sais. »

Ender Wiggin, allongé sur son lit, fixait le plafond. Depuis qu’il était commandant, il ne dormait jamais plus de cinq heures par nuit. Mais la lumière s’éteignait à 2200 et ne revenait qu’à 0600. Parfois, il travaillait sur son bureau, se fatiguant la vue à la pâle lueur de l’écran. En général, toutefois, il fixait le plafond invisible et réfléchissait.

Ou bien les professeurs avaient finalement fait preuve de gentillesse, après tout, ou bien il était particulièrement doué pour le commandement. Son petit groupe d’anciens, sans gloire dans leurs armées précédentes, devenaient des chefs compétents. Dans des proportions telles que, au lieu des quatre cohortes habituelles, il en avait créé cinq, chacune avec un chef de cohorte et un second ; tous les anciens avaient une fonction. Il faisait manœuvrer son armée en cohortes de huit hommes, ou en demi-cohortes de quatre hommes, de sorte qu’un ordre permettait à son armée d’effectuer dix opérations distinctes et de les réaliser simultanément. Aucune armée ne s’était fragmentée de la sorte auparavant mais, de toute façon, Ender n’avait pas l’intention de se conformer à ce qui se faisait habituellement. Pratiquement toutes les armées utilisaient les manœuvres massives et les stratégies élaborées. Ender n’utilisa ni les unes ni les autres. Il apprit à ses chefs de cohorte à utiliser efficacement leurs petites unités dans le cadre d’objectifs limités. Sans soutien, seuls, de leur propre initiative. Il organisa des simulacres de guerre, après la première semaine, entraînements acharnés qui épuisèrent tout le monde. Mais il savait, après moins d’un mois d’exercice, que son armée pouvait devenir le meilleur groupe de combat ayant jamais participé au jeu.

Dans quelle mesure cela correspondait-il aux projets des professeurs ? Savaient-ils qu’ils lui donnaient des garçons obscurs mais excellents ? Lui avait-on donné trente Nouveaux, souvent très jeunes, parce que l’on savait que les petits garçons apprenaient vite et pensaient vite ? Ou bien tout groupe similaire se comporterait-il de la sorte sous les ordres d’un commandant sachant ce qu’il voulait que son armée fasse, et capable de lui apprendre à le faire ?

La question l’inquiétait parce qu’il ne savait pas s’il réalisait leurs espoirs ou les contrecarrait.

Sa seule certitude était qu’il était impatient de se battre. Les autres armées avaient besoin de trois mois parce qu’elles devaient mémoriser des dizaines de formations complexes. Nous sommes prêts, à présent. Lancez-nous dans la bataille.

La porte s’ouvrit dans le noir. Ender écouta. Un pas étouffé. La porte se referma.

Il descendit de son lit et parcourut à quatre pattes, dans le noir, les deux mètres qui le séparaient de la porte. Il y avait un morceau de papier. Il ne pouvait le lire, naturellement, mais il savait ce que c’était. Une bataille. Comme c’est gentil de leur part. J’espère et ils exaucent.

Ender portait déjà sa combinaison de combat de l’Armée du Dragon quand la lumière s’alluma. Il partit aussitôt en courant dans le couloir et, à 0601, il était à la porte du dortoir de son armée.

— Nous avons une bataille contre l’Armée du Lapin à 0700. Je veux que vous vous échauffiez en pesanteur et que vous soyez prêts à agir. Déshabillez-vous et allez au gymnase. Prenez vos combinaisons de combat, nous irons directement à la salle de bataille.

— Et le petit déjeuner ?

— Je ne veux pas que vous vomissiez dans la salle de bataille.

— Pouvons-nous tout de même pisser ?

— Pas plus d’un décalitre.

Ils rirent. Ceux qui ne dormaient pas nus se déshabillèrent ; ils prirent leur combinaison sous le bras et suivirent Ender, au pas de course, dans les couloirs. Il leur fit parcourir deux fois la course d’obstacles, puis les divisa et les fit passer tour à tour sur la poutre, le tapis et l’échelle.