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Carn Carby rejoignit Ender dès qu’il fut dégelé. Il avait douze ans et n’avait apparemment été nommé commandant que lors de sa dernière année d’école. De sorte qu’il n’était pas crâneur, contrairement à ceux qui étaient nommés à onze ans. Je me souviendrai de cela, se dit Ender, lorsque je serai vaincu. Rester digne, rendre les honneurs dus, afin que la défaite ne soit pas honteuse. Et j’espère que je ne serai pas obligé de le faire souvent.

Anderson congédia l’Armée du Dragon en dernier, après que l’Armée du Lapin fut sortie par la porte que les soldats d’Ender avaient empruntée pour entrer. Puis Ender fit passer son armée par la porte de l’ennemi. Les lumières, au pied de la porte, leur indiquèrent où se trouvait le bas, lorsqu’ils furent à nouveau soumis à la pesanteur. Ils se posèrent tous légèrement sur leurs pieds. Ils se rassemblèrent dans le couloir.

— Il est 0715, dit Ender, et cela signifie que vous avez quinze minutes pour prendre le petit déjeuner avant de me retrouver dans la salle de bataille pour l’exercice du matin.

Il les entendit marmonner :

— Allons, nous avons gagné, fêtons la victoire.

Très bien, se dit Ender, d’accord.

— Et votre commandant vous autorise à vous battre avec la nourriture pendant le petit déjeuner.

Ils rirent, ils applaudirent, puis il les congédia et les renvoya en petites foulées au dortoir. Il rejoignit ses chefs de cohorte et leur dit qu’il n’attendrait personne à l’entraînement avant 0745 et que l’exercice serait bref afin que les garçons puissent se doucher. Une demi-heure pour le petit déjeuner et pas de douche après une bataille, c’était encore juste – mais cela paraîtrait indulgent, comparativement à un quart d’heure. Et Ender voulait que l’annonce du quart d’heure supplémentaire soit faite par les chefs de cohorte. Les garçons devaient savoir que l’indulgence venait de leurs chefs de cohorte et l’exigence de leur commandant – cela les rassemblera en petits groupes unis, serrés.

Ender ne prit pas de petit déjeuner. Il n’avait pas faim. Il gagna la salle de bains et se doucha, mettant sa combinaison de combat dans le nettoyeur afin qu’elle soit prête au moment où il serait sec. Il se lava deux fois et fit inlassablement couler l’eau sur lui. Elle serait entièrement recyclée. Il faut que tout le monde boive un peu de ma sueur, aujourd’hui. Ils lui avaient donné une armée sans expérience et il avait gagné, et pas de justesse. Il avait gagné avec seulement six gelés ou hors de combat. Voyons combien de temps les autres commandants continueront d’utiliser leurs formations maintenant qu’ils ont vu ce que peut accomplir une stratégie souple.

Il flottait au milieu de la salle de bataille lorsque les soldats arrivèrent. Personne ne lui adressa la parole, naturellement. Ils savaient qu’il parlerait lorsqu’il serait prêt, et pas avant.

Quand ils furent tous là, Ender s’accrocha près d’eux et les regarda un par un.

— Bonne première bataille, dit-il, ce qui suffit à déclencher des acclamations et une tentative de chanter : Dragon, Dragon, à laquelle il mit rapidement un terme. L’Armée du Dragon s’est bien comportée contre les Lapins. Mais l’ennemi ne sera pas toujours mauvais. Si l’armée avait été bonne, cohorte C, votre approche était si lente qu’elle vous aurait attaqués par les flancs avant que vous soyez en bonne position. Vous auriez dû vous diviser et arriver de deux directions, afin qu’ils ne puissent pas vous déborder par les flancs. A et E, vous visez mal. Les statistiques montrent qu’il y a eu en moyenne un tir au but par groupe de deux soldats. Cela signifie que tous les tirs réussis ont été faits de près. Cela ne peut pas continuer – un ennemi compétent aurait taillé les attaquants en pièces, sauf si les soldats qui se trouvaient loin avaient fourni une couverture plus efficace. Je veux que toutes les cohortes s’entraînent au tir de précision sur des cibles fixes et mobiles. Les demi-cohortes se succéderont dans le rôle des cibles. Je dégèlerai les combinaisons de combat toutes les cinq minutes. Allez !

— Travaillerons-nous avec des étoiles ? demanda Hot Soup. Pour stabiliser notre visée ?

— Je ne veux pas que vous soyez habitués à avoir quelque chose pour stabiliser votre bras. Si votre bras n’est pas stable, gelez votre coude. Maintenant, au travail !

Les chefs de cohorte s’organisèrent rapidement et Ender alla d’un groupe à l’autre, faisant des suggestions et aidant les soldats qui éprouvaient des difficultés particulières. Les soldats savaient, à présent, qu’Ender pouvait être brutal lorsqu’il s’adressait à des groupes mais que, lorsqu’il travaillait avec un individu, il se montrait toujours patient, expliquant le nombre de fois nécessaire, faisant tranquillement des suggestions, écoutant les questions, les problèmes et les explications. Mais il ne riait jamais quand ils tentaient de plaisanter avec lui, de sorte qu’ils renoncèrent rapidement. Il était commandant pendant tout le temps qu’il passait avec eux. Il n’avait jamais besoin de le leur rappeler ; il l’était, tout simplement.

Ils travaillèrent toute la journée avec le goût de la victoire dans la bouche, et poussèrent de nouvelles acclamations lorsqu’ils cessèrent, une demi-heure avant le déjeuner. Ender retint les chefs de cohorte jusqu’à l’heure normale, évoquant avec eux les tactiques utilisées et le travail des soldats. Puis il gagna sa chambre et, méthodiquement, mit son uniforme ordinaire en prévision du déjeuner. Il arriverait au mess des commandants avec une dizaine de minutes de retard. Exactement ce qu’il avait prévu. Comme c’était sa première victoire, il ne connaissait pas l’intérieur du mess des commandants et ignorait ce que les nouveaux commandants étaient censés faire, mais il savait qu’il voulait arriver le dernier, lorsque les résultats des batailles du matin seraient affichés. L’Armée du Dragon ne sera plus obscure, à présent.

Il n’y eut guère d’agitation, à son arrivée. Mais lorsque quelques commandants constatèrent à quel point il était petit, et virent les dragons sur les manches de son uniforme, ils le dévisagèrent sans se cacher et, lorsqu’il eut pris son plateau et se fut assis à une table, la salle était silencieuse. Ender se mit à manger, lentement et soigneusement, feignant de ne pas remarquer que tous les regards étaient posés sur lui. Les conversations reprirent progressivement de sorte qu’Ender put se détendre et regarder autour de lui.

Tout un mur de la pièce était occupé par un tableau d’affichage. Les soldats étaient tenus informés des résultats d’une armée sur les deux années écoulées ; ici, toutefois, c’étaient les résultats des commandants qui étaient indiqués. Un nouveau commandant ne pouvait hériter des bons résultats de son prédécesseur… Il était classé en fonction de ce qu’il avait fait.

Ender avait le meilleur classement. Un résultat parfait, naturellement, mais, dans les autres catégories, il avait beaucoup d’avance. Moyenne des soldats hors de combat, moyenne des ennemis hors de combat, moyenne du temps écoulé avant la victoire… Dans toutes les catégories, il était premier.

Alors qu’il avait presque terminé son repas, quelqu’un s’immobilisa derrière lui et lui posa la main sur l’épaule.

— Je peux m’asseoir ?

Ender n’eut pas besoin de se retourner pour savoir que c’était Dink Meeker.

— Salut, Dink, dit Ender. Assieds-toi.

— Cul-bordé-de-nouilles ! lança joyeusement Dink. On est tous en train de se demander si tes résultats sont un miracle ou une erreur.

— Une habitude, dit Ender.

— Une victoire n’est pas une habitude, releva Dink. Ne crâne pas. Au début, on t’oppose à des commandants faibles.

— Carn Carnby n’est pas exactement en bas du tableau.