C’était vrai. Carn Carnby était à peu près au milieu.
— Il est valable, admit Dink. Considérant qu’il vient de commencer. Il promet. Toi, tu ne promets pas. Tu menaces.
— Qu’est-ce que je menace ? Vous donne-t-on moins à manger quand je gagne ? Je croyais que tu m’avais dit que ce jeu était stupide et n’avait aucune importance.
Dink accepta mal que ses paroles lui soient ainsi jetées au visage, pas dans ces circonstances.
— C’est à cause de toi que j’ai joué le jeu. Mais je ne joue pas avec toi, Ender. Tu ne me battras pas.
— Probablement pas.
— Je t’ai formé, rappela Dink.
— Tout ce que je sais, reconnut Ender. À présent, je me contente d’appliquer.
— Félicitations, dit Dink.
— C’est bien d’avoir un ami ici.
Mais Ender n’était pas certain que Dink soit encore son ami. Et Dink non plus. Après quelques phrases vides, Dink regagna sa table.
Ender regarda autour de lui, lorsqu’il eut terminé son repas. Les conversations allaient bon train. Ender aperçut Bonzo, qui comptait à présent parmi les commandants les plus âgés. Ray le Nez était parti. Petra était avec un groupe, dans un coin, et elle ne lui adressa pas un regard. Comme presque tous les autres le regardaient en tapinois, de temps en temps, y compris ceux avec qui Petra parlait, il acquit la certitude qu’elle évitait délibérément son regard. C’est le problème, lorsqu’on gagne dès le début, se dit Ender. On perd des amis.
Donne-leur le temps de s’habituer. Quand j’aurai gagné ma deuxième bataille, la situation sera stabilisée, ici.
Carn Carnby prit la peine de venir saluer Ender avant la fin du repas. Ce fut, à nouveau, un geste élégant et, contrairement à Dink, Carnby ne paraissait pas méfiant.
— Pour le moment, je suis en disgrâce, dit-il avec franchise. Ils ne veulent pas me croire quand je leur dis que tu as fait des choses qui ne se sont jamais vues. Alors, j’espère que tu foutras une raclée à la prochaine armée que tu rencontreras. Pour me faire plaisir.
— Pour te faire plaisir, accorda Ender. Et merci d’être venu me voir.
— Je trouve qu’ils te traitent plutôt mal. En général, les nouveaux commandants sont acclamés lorsqu’ils viennent pour la première fois au mess. Mais, naturellement, un nouveau commandant a généralement encaissé quelques défaites quand il arrive ici. Il n’y a qu’un mois que je viens ici. Si quelqu’un mérite des acclamations, c’est bien toi. Mais c’est la vie. Fais-les mordre la poussière.
— Je vais essayer.
Carn Carnby s’en alla et, mentalement, Ender l’ajouta à la liste des gens qui étaient également des êtres humains.
Cette nuit-là, Ender dormit bien, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Il dormit si bien, en fait, qu’il ne se réveilla qu’au moment où la lumière s’alluma. Il se sentait en pleine forme, alla prendre sa douche au pas de gymnastique et ne remarqua le morceau de papier posé par terre qu’au moment où il revint et enfila son uniforme. Il ne vit le morceau de papier que parce qu’il s’envola, au moment où il secoua son uniforme avant de l’enfiler. Il ramassa le morceau de papier et lut.
PETRA ARKANIAN, ARMÉE DU PHÉNIX, 0700
C’était son ancienne armée, celle qu’il avait quittée moins de quatre semaines auparavant, et il connaissait parfaitement ses formations. En partie à cause de l’influence d’Ender, c’était l’armée la plus souple, s’adaptant avec une rapidité relative aux situations nouvelles. L’Armée du Phénix était la plus apte à résister aux attaques fluides, imprévisibles, d’Ender. Les professeurs avaient manifestement décidé de lui rendre la vie intéressante.
0700, indiquait le morceau de papier. Il était déjà 0630. Des garçons devaient déjà être partis prendre le petit déjeuner. Ender jeta son uniforme, saisit sa combinaison de combat et, quelques instants plus tard, s’immobilisa sur le seuil du dortoir de son armée.
— Messieurs, j’espère que vous avez tiré profit de la leçon d’hier, parce que nous recommençons aujourd’hui !
Ils ne comprirent pas immédiatement que cela signifiait une bataille, pas un entraînement. C’était certainement une erreur, protestèrent-ils. Il n’y avait jamais de bataille deux jours de suite.
Il donna le morceau de papier à Fly Molo, chef de la cohorte A, qui cria immédiatement :
— Combinaisons de combat !
Puis il se changea.
— Pourquoi ne nous as-tu pas avertis plus tôt ? demanda Hot Soup.
Il avait l’habitude de poser à Ender les questions que personne n’osait exprimer.
— J’ai pensé que la douche vous ferait du bien, répondit Ender. Hier, les Lapins ont prétendu que nous avons gagné parce que notre puanteur leur a fait perdre leurs moyens.
Les soldats qui entendirent, rirent.
— Tu as trouvé le morceau de papier en revenant de la douche, pas vrai ?
Ender se tourna dans la direction de la voix. C’était Bean, déjà en combinaison de combat, avec une expression insolente. C’est le moment de rembourser les humiliations, pas vrai, Bean ?
— Bien sûr, répliqua Ender. Je ne suis pas aussi près du sol que toi.
Nouveaux rires. Bean rougit de colère.
— Il est évident que nous ne pouvons pas compter sur les réglementations antérieures, dit Ender. Vous devez vous tenir continuellement prêts pour la bataille. Et elles seront fréquentes. La façon dont ils nous traitent ne me plaît pas, mais il y a une chose qui me plaît : J’ai une armée capable de résister.
Ensuite, s’il leur avait demandé de le suivre sur la Lune sans combinaison spatiale, ils l’auraient fait.
Petra n’était pas Carn Carnby ; elle avait des structures plus souples et réagissait beaucoup plus rapidement aux attaques éclairs, improvisées et imprévisibles, d’Ender. En conséquence, Ender avait trois garçons gelés et neuf hors de combat à la fin de la bataille. Et Petra n’accepta pas la défaite avec bonne humeur. La colère qui étincelait dans ses yeux semblait dire : J’étais ton amie et tu m’humilies ainsi ?
Ender feignit de ne pas voir sa fureur. Il estimait que, après quelques batailles, elle constaterait qu’elle avait marqué davantage de points contre lui qu’il n’avait l’intention d’en laisser aux autres. Et il apprenait toujours, grâce à elle. Pendant l’entraînement, ce jour-là, il montrerait à ses chefs de cohorte comment contrer les assauts mis au point par Petra. Bientôt, ils seraient à nouveau amis. Il l’espérait.
À la fin de la semaine, le Dragon avait livré sept batailles en sept jours. Le score était de 7 victoires et 0 défaite. Ender n’avait jamais eu davantage de pertes que dans la bataille contre le Phénix et, au cours de deux batailles, il n’eut pas un seul soldat gelé ou mis hors de combat. Personne ne croyait plus que c’était à la chance qu’il devait d’être en tête du classement. Il avait battu des armées de premier plan avec des marges exceptionnelles. Les autres commandants ne pouvaient plus l’ignorer. Quelques-uns prirent leurs repas en sa compagnie, tentant prudemment de comprendre comment il avait vaincu ses adversaires. Il ne se fit pas prier, convaincu que rares étaient ceux qui pourraient apprendre à leurs soldats et leurs chefs de cohorte la façon de reproduire ce que faisaient les siens. Et, tandis qu’Ender s’entretenait avec quelques commandants, des groupes plus nombreux se rassemblaient autour des vaincus, dans l’espoir de trouver le moyen de battre Ender.
Beaucoup, en outre, le haïssaient. Ils le haïssaient parce qu’il était jeune, parce qu’il était excellent, parce que, à cause de lui, leurs victoires paraissaient pauvres et sans éclat. Ender s’en aperçut tout d’abord sur les visages, lorsqu’il les croisait dans les couloirs ; puis il constata que des garçons se levaient en groupe et allaient s’installer à une autre table s’il prenait place près d’eux, au mess des commandants ; puis il y eut des coudes qui le heurtèrent accidentellement dans la salle de jeux, des pieds qui se mirent en travers des siens lorsqu’il entrait au gymnase ou en sortait, des crachats ou des boules de papier mouillé qui le frappaient par-derrière lorsqu’il courait dans les couloirs. Ils ne pouvaient pas le vaincre dans la salle de bataille, et ils le savaient – de sorte qu’ils l’attaquaient quand ils ne risquaient rien, quand il n’était pas un géant, mais un petit garçon. Ender les méprisait mais, secrètement, si secrètement qu’il n’en avait pas conscience, il avait peur d’eux. C’était ce type de tourment que Peter avait toujours employé, et Ender commençait à se sentir beaucoup trop comme chez lui.