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De l’intérieur de la formation, les Dragons tiraient avec une précision terrifiante, forçant les Griffons et les Tigres à rester à l’abri des étoiles.

— L’arrière de ce connard n’est pas protégé, dit Bée. Dès qu’ils seront entre les étoiles, nous pourrons passer derrière…

— Inutile de le dire ! fit Momœ.

Il ordonna aussitôt à ses hommes de se lancer en direction de la paroi et de rebondir suivant une trajectoire qui les conduirait derrière la formation des Dragons.

Dans le chaos du départ, tandis que l’Armée du Griffon tenait les étoiles, la formation du Dragon se transforma soudain. Le cylindre et le mur antérieur se fendirent en deux, sous l’effet de la poussée exercée par les garçons qui se trouvaient à l’intérieur ; presque au même moment, la formation repartit en sens inverse, retournant vers la porte des Dragons. Presque tous les Griffons tirèrent sur les formations et les garçons qui reculaient avec elles ; et les Tigres prirent les survivants de l’Armée du Dragon à revers.

Mais il y avait un problème. William Bée réfléchit pendant quelques instants et l’identifia. Ces formations n’avaient pas pu repartir dans la direction inverse en plein vol sans avoir exercé une poussée sur une paroi, et s’ils avaient exercé une poussée suffisante pour déplacer cette formation de vingt hommes, ils devaient aller vite ! Ils étaient là, six petits soldats du Dragon près de la porte de William Bée. Compte tenu de la luminosité de leurs combinaisons, Bée constata que trois étaient hors de combat et deux blessés ; un seul était sain et sauf. Pas de raison d’avoir peur. Bée les visa tranquillement, appuya sur le bouton, et… Il ne se passa rien. La lumière s’alluma. La partie était terminée.

Bien qu’il soit en train de les regarder, Bée ne comprit pas immédiatement ce qui venait d’arriver. Quatre soldats du Dragon avaient appuyé leur casque sur les coins de la porte. Et l’un d’entre eux était passé. Ils avaient purement et simplement exécuté le rituel de la victoire. Ils subissaient la destruction, ils n’avaient pratiquement mis personne hors de combat, et ils avaient eu le culot d’exécuter le rituel de victoire et de mettre un terme à la partie à leur nez et à leur barbe !

William Bée se dit seulement à ce moment-là que non seulement le Dragon avait mis un terme à la partie mais qu’il était possible que, conformément aux règles, il l’ait gagnée. Après tout, quelles que soient les circonstances, on n’avait pas véritablement gagné si l’on n’avait pas assez de soldats non gelés pour toucher les coins de la porte et entrer dans le couloir ennemi. Par conséquent, d’une certaine façon, on pouvait estimer que le rituel de fin était la victoire. De toute évidence, c’était l’avis de la salle de bataille.

La porte des professeurs s’ouvrit et Anderson entra dans la salle.

— Ender ! appela-t-il, regardant autour de lui.

Un Dragon gelé tenta de répondre à travers une bouche immobilisée par la combinaison de combat. Anderson alla près de lui et le dégela.

Ender souriait.

— Je vous ai encore battu, Major, dit-il.

— Ridicule, Ender, répondit calmement Anderson. La bataille t’opposait au Tigre et au Griffon.

— Me croyez-vous complètement stupide ? demanda Ender.

D’une voix forte, Anderson annonça :

— Après cette petite manœuvre, les règles seront changées et exigeront que tous les soldats de l’ennemi soient gelés ou mis hors de combat avant que la porte puisse être ouverte !

— De toute façon, cela ne pouvait marcher qu’une fois, commenta Ender.

Anderson lui donna le crochet. Ender dégela tout le monde en même temps. Au diable le protocole ! Au diable tout le reste !

— Hé ! cria-t-il à Anderson tandis qu’il s’éloignait. Qu’est-ce que ce sera, la prochaine fois ? Mon armée dans une cage, sans pistolets, et toute l’École de Guerre contre elle ? Que diriez-vous d’un peu d’équité ?

Un murmure d’approbation se répandit parmi les autres, et pas seulement dans les rangs de l’Armée du Dragon. Anderson ne prit même pas la peine de se retourner pour indiquer qu’il avait entendu le défi d’Ender. Finalement, ce fut William Bée qui répondit :

— Ender, si tu participes à une bataille, elle ne sera pas équitable, quelles que soient les conditions.

— Vrai ! crièrent les garçons.

Beaucoup rirent. Talo Momœ se mit à applaudir.

— Ender Wiggin ! cria-t-il.

Les autres applaudirent également et crièrent le nom d’Ender.

Ender passa par la porte ennemie. Ses soldats le suivirent. Son nom, qu’ils criaient, le suivit dans les couloirs.

— Entraînement ce soir ? demanda Crazy Tom.

Ender secoua la tête.

— Demain matin, alors ?

— Non.

— Alors quand ?

— Plus jamais, en ce qui me concerne.

Il entendit les murmures, derrière lui.

— Hé, c’est pas juste, dit un garçon. Ce n’est pas notre faute si les profs foutent le jeu en l’air ! Tu ne peux pas cesser de nous apprendre des trucs simplement parce que…

Ender frappa violemment la paroi du plat de la main et cria :

— Le jeu ne m’intéresse plus !

Sa voix résonna dans le couloir. Des soldats appartenant à d’autres armées sortirent. Il reprit, moins fort, dans le silence :

— Tu comprends ? (Puis il souffla :) La partie est terminée.

Il regagna sa chambre seul. Il avait envie de s’allonger mais il ne put pas parce que le lit était mouillé. Cela lui rappela tout ce qui s’était passé dans la journée et, de rage, il arracha matelas et couvertures, puis les jeta dans le couloir. Ensuite, il roula un uniforme pour en faire un oreiller et s’allongea sur le treillis métallique du sommier. Ce n’était pas confortable, mais Ender n’avait pas envie de se lever.

Il était là depuis à peine cinq minutes quand on frappa à sa porte.

— Va-t’en, dit-il calmement.

Celui qui frappait n’entendit pas ou n’obéit pas. Finalement, Ender dit d’entrer. C’était Bean.

— Va-t’en, Bean.

Bean hocha la tête mais ne s’en alla pas. Il fixa ses chaussures. Ender faillit crier, l’injurier, lui hurler de partir. Mais il constata à quel point Bean était fatigué, le corps tassé sous l’effet de la lassitude, les yeux cernés à cause du manque de sommeil ; néanmoins, sa peau était toujours douce et translucide, une peau d’enfant, les joues douces et rondes d’un enfant, ses membres minces. Il n’avait pas tout à fait huit ans. Peu importait qu’il soit brillant, dévoué et bon. C’était un enfant. Il était jeune.

Non, il ne l’est pas, se dit Ender. Petit, oui. Mais Bean avait vécu une bataille au cours de laquelle toute une armée dépendait de lui et des soldats qu’il commandait, et ils avaient magnifiquement agi, et ils avaient gagné. Il n’y avait pas de jeunesse, là-dedans. Pas d’enfance.

Interprétant le silence d’Ender, et son expression radoucie, comme la permission de rester, Bean fit un pas en avant. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’Ender vit le petit morceau de papier qu’il avait à la main.

— Tu es transféré ? demanda Ender.

Il était incrédule mais sa voix parut indifférente, morte.

— Dans l’Armée du Lapin.

Ender hocha la tête. Naturellement. C’était évident. Si je suis invincible avec mon armée, on va me prendre mon armée.

— Carn Carby est bien, dit Ender. J’espère qu’il comprendra ce que tu vaux.

— Carn Carby a eu son diplôme aujourd’hui. Il a été prévenu pendant notre bataille.

— Dans ce cas, qui commande l’Armée du Lapin ?

Bean écarta les bras dans un geste d’impuissance.

— Moi.