Ender ne parla qu’une fois pendant le trajet.
— Pourquoi rentrons-nous sur Terre ? demanda-t-il. Je croyais que l’École de Commandement se trouvait dans les astéroïdes.
— Effectivement, répondit Graff. Mais l’École de Guerre ne peut pas accueillir les long-courriers. De sorte que tu bénéficies d’une courte permission sur la terre ferme.
Ender voulut demander si cela signifiait qu’il pourrait voir sa famille. Mais, soudain, à l’idée que cela serait peut-être possible, il eut peur et ne posa pas la question. Il se contenta de fermer les yeux et essaya de dormir.
Derrière lui, le Général Pace l’étudiait ; Ender ne put deviner dans quel but.
Ils se posèrent en Floride, par un chaud après-midi d’été. Il y avait tellement longtemps qu’Ender n’avait pas vu le soleil que la lumière l’aveugla presque. Il plissa les yeux, éternua et voulut rentrer. Tout était lointain et plat ; le sol, qui n’avait pas la courbe ascendante des planchers de l’École de Guerre, paraissait tomber de sorte que, sur le plat, Ender avait l’impression de se trouver au sommet d’une colline. La pesanteur paraissait différente, et il marchait en traînant les pieds. Il détestait cela. Il eut envie de retourner chez lui, à l’École de Guerre, seul endroit de l’univers comptant à ses yeux.
— « Arrêté ? »
— « Eh bien, c’est logique. Le Général Pace est le chef de la police militaire. Il y a eu un mort à l’École de Guerre. »
— « On ne m’a pas dit si le colonel Graff était promu ou traduit en cour martiale. Simplement transféré, avec ordre de se présenter au Polemarch. »
— « Est-ce bon ou mauvais signe ? »
— « Qui sait ? D’un côté, non seulement Ender Wiggin a survécu, mais encore a-t-il franchi une étape et obtenu son diplôme dans les meilleures conditions, il faut accorder cela à Graff. En revanche, il y a le quatrième passager de la navette. Celui qui fait le voyage dans un sac. »
— « Seulement le deuxième mort dans l’histoire de l’école, Au moins, cette fois, ce n’était pas un suicide. »
— « En quoi un meurtre est-il préférable, Major Imbu ? »
— « Ce n’était pas un meurtre, Colonel. Nous avons vu cela en vidéo sous deux angles différents. Personne ne peut en vouloir à Ender. »
— « Mais on pourrait en vouloir à Graff. Quand tout cela sera terminé, les civils pourront fouiller nos archives et décider ce qui était bien et ce qui ne l’était pas. Nous donner des médailles quand ils estimeront que nous avions raison, nous retirer nos retraites et nous mettre en prison quand ils estimeront que nous avions tort. Au moins ont-ils eu le bon sens de ne pas dire à Ender que le garçon est mort. »
— « En plus, c’est la deuxième fois. »
— « On ne lui a rien dit à propos de Stilson. »
— « Ce gamin est terrifiant. »
— « Ender Wiggin n’est pas un tueur. Il gagne, voilà tout – totalement. Si quelqu’un doit avoir peur, ce sont les doryphores. »
— « On pourrait presque avoir pitié d’eux, sachant qu’Ender va s’occuper d’eux. »
— « La seule personne dont je puisse avoir pitié, c’est Ender. Mais pas assez pour croire qu’il faudrait le laisser tranquille. J’ai eu accès à une partie du matériel dont Graff disposait. À propos des mouvements de la flotte… ce genre de chose. Avant, je dormais la nuit. »
— « Le temps presse ? »
— « Je n’aurais pas dû mentionner cela. Je ne peux pas vous communiquer des informations secrètes. »
— « Je sais. »
— « Disons simplement ceci : ils ne l’ont pas fait entrer à l’École de Commandement un jour trop tôt. Mais peut-être deux ans trop tard. »
13
VALENTINE
— « Des enfants ? »
— « Le frère et la sœur. Ils ont élaboré un système de sécurité à cinq niveaux, dans les réseaux… Ils écrivaient pour des sociétés qui payaient leur appartenance, ce genre de chose. J’ai eu un mal fou à les identifier. »
— « Que cachent-ils ? »
— « Cela pourrait être n’importe quoi. La chose la plus évidente est leur âge. Le garçon a quatorze ans, la fille douze. »
— « Lequel est Démosthène ? »
— « La fille. Celle de douze ans. »
— « Excusez-moi. Je ne trouve vraiment pas cela drôle, mais je ne peux pas m’empêcher de rire. Pendant tout ce temps, nous nous sommes inquiétés, pendant tout ce temps, nous nous sommes efforcés de convaincre les Russes de ne pas prendre Démosthène trop au sérieux, nous avons présenté Locke comme preuve que tous les Américains n’étaient pas des fauteurs de guerre déments. Le frère et la sœur, pas encore pubères… »
— « Et leur nom de famille est Wiggin. »
— « Ah ? Coïncidence ? »
— « Le Wiggin est un Troisième. Ce sont les numéros un et deux. »
— « Oh, excellent. Les Russes ne croiront jamais… »
— « Que Démosthène et Locke ne sont pas aussi bien contrôlés que le Wiggin ? »
— « Y a-t-il un complot ? Sont-ils contrôlés par quelqu’un ? »
— « Nous n’avons pas pu mettre en évidence le moindre contact entre ces deux enfants et un adulte susceptible de les diriger. »
— « Ce qui ne signifie pas que quelqu’un n’a pas mis au point une méthode que vous ne pouvez pas détecter. Il est difficile de croire que deux enfants… »
— « J’ai interrogé le Colonel Graff, à son retour de l’École de Guerre. À son avis, ce que ces enfants ont fait n’est absolument pas hors de leur portée. Leurs capacités sont virtuellement identiques à celles du Wiggin. Seuls leurs caractères sont différents. Ce qui l’a surpris, toutefois, c’est l’orientation des deux personnages. Démosthène est indubitablement la fille mais, selon Graff, la fille n’a pas pu entrer à l’École de Guerre parce qu’elle était trop pacifique, trop diplomate, et, surtout, trop sensible à la volonté des autres. »
— « Manifestement pas Démosthène. »
— « Et le garçon a une âme de chacal. »
— « N’est-ce pas Locke que l’on a récemment surnommé : « Le seul esprit réellement ouvert d’Amérique » ? »
— « Il est difficile de savoir ce qui se passe véritablement. Mais Graff nous a conseillé de les laisser tranquilles, et je suis d’accord. Ne pas les dénoncer. Ne pas rédiger de rapport, sauf pour indiquer que Locke et Démosthène n’entretiennent aucune relation avec l’étranger et ne sont pas davantage liés à un groupe national quelconque, sauf ceux dont l’existence sur les réseaux est publique. »