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— Le problème, avec les pièces, c’est que lorsqu’un côté est dessus, l’autre est dessous. Et, en ce moment, tu crois que tu es dessous.

— Ils veulent que je t’encourage à poursuivre tes études.

— Ce ne sont pas des études, ce sont des jeux. Seulement des jeux, du début à la fin, mais ils changent les règles quand ça leur chante.

Il leva le bras, laissant pendre la main.

— Tu vois les fils ?

— Mais tu peux également te servir d’eux.

— Seulement s’ils veulent être utilisés. Seulement s’ils croient qu’ils se servent de toi. Non, c’est trop dur, je ne veux plus jouer. Au moment même où je commence à être heureux, au moment même où j’ai l’impression de dominer la situation, ils enfoncent un autre poignard. J’ai continuellement des cauchemars, depuis que je suis ici. Je rêve que je suis dans la salle de bataille mais, au lieu d’être en apesanteur, ils s’amusent avec la gravité. Ils changent continuellement son orientation. De sorte que j’aboutis sur la paroi que je viens de quitter. Je n’atteins jamais ma destination. Et je les supplie de me permettre d’aller jusqu’à la porte et ils refusent de me laisser sortir, m’en éloignent à chaque fois.

Elle perçut la colère dans sa voix et supposa qu’elle était dirigée contre elle.

— Je suppose que c’est pour cela que je suis ici. Pour t’empêcher d’atteindre la porte.

— Je ne voulais pas te voir.

— On me l’a dit.

— J’avais peur de t’aimer encore.

— J’espérais que ce serait le cas.

— Ma peur, ton espoir – en accord tous les deux.

— Ender, c’est parfaitement vrai. Nous sommes jeunes, mais nous ne sommes pas impuissants. Nous jouons pendant quelque temps selon leurs règles, puis nous nous approprions le jeu.

Elle gloussa.

— Je fais partie d’une commission présidentielle. Peter est terriblement furieux.

— Ils ne m’autorisent pas à utiliser les réseaux. Il n’y a pas un seul ordinateur, ici, sauf les machines domestiques responsables de la sécurité et de l’éclairage. Des trucs antiques. Installés il y a plus d’un siècle, quand on fabriquait des ordinateurs qui n’étaient reliés à rien. Ils m’ont pris mon armée, ils m’ont pris mon bureau et, tu sais, cela ne m’embête même pas.

— Tu dois te sentir bien avec toi-même.

— Pas moi. Mes souvenirs.

— Peut-être est-on ce dont on se souvient.

— Non, mes souvenirs d’inconnus. Mes souvenirs des doryphores.

Valentine frissonna, comme si une brise froide s’était soudain levée.

— À présent, je refuse de regarder les vidéos des doryphores. Elles sont toutes semblables.

— Je les ai étudiées pendant des heures. La façon dont leurs vaisseaux se déplaçaient dans l’espace. Et une chose drôle, qui m’est seulement venue à l’esprit alors que j’étais couché là, sur le lac. J’ai constaté que toutes les batailles au cours desquelles les doryphores et les hommes se sont battus au corps à corps, absolument toutes, datent de la Première Invasion. Toutes les scènes de la Deuxième Invasion, lorsque nos soldats portent l’uniforme de la F.I., dans toutes les scènes, les doryphores sont toujours déjà morts. Allongés, affaissés sur leurs commandes. Pas le moindre indice de lutte, rien. Et la bataille de Mazer Rackham… on ne nous montre jamais cette bataille.

— C’est peut-être à cause d’une arme secrète.

— Non, non, ce n’est pas la façon dont nous les avons tués qui m’intéresse. Ce sont les doryphores eux-mêmes. J’ignore tout d’eux et pourtant, un jour, il faudra que je les combatte. J’ai connu de nombreux combats, dans ma vie, parfois des jeux, parfois pas. Chaque fois, j’ai gagné parce que j’étais en mesure de comprendre comment réfléchissait mon ennemi. En fonction de ce qu’il faisait. Je savais ce qu’il croyait que je faisais, je connaissais la façon dont il voulait que la bataille prenne forme. Et je jouais là-dessus. Je suis très fort sur ce plan. Comprendre comment pensent les autres.

— Le fléau des petits Wiggin.

Elle plaisantait, mais cela lui faisait peur, qu’Ender puisse la comprendre aussi bien qu’il comprenait ses ennemis. Peter la comprenait toujours, ou du moins le croyait-il, mais c’était un égout moral, de sorte qu’elle n’était jamais gênée, même lorsqu’il devinait ses pensées les plus laides. Mais Ender… elle ne voulait pas qu’il la comprenne. Cela la dénuderait devant lui. Elle aurait honte.

— Tu ne crois pas pouvoir battre les doryphores si tu ne les connais pas ?

— C’est plus compliqué que cela. Seul ici, sans activité, je me suis interrogé sur moi-même. J’ai essayé de comprendre pourquoi je me déteste tellement.

— Non, Ender.

— Ne me dis pas : « Non, Ender. ». Il m’a fallu longtemps pour comprendre que c’était le cas mais, crois-moi, c’est vrai. Et le problème est le suivant : au moment où je comprends véritablement mon ennemi, où je le comprends assez pour le vaincre, alors, à ce moment même, je l’aime également. Je crois qu’il est impossible de comprendre réellement quelqu’un, ce qu’il désire, ce qu’il croit, sans l’aimer comme il s’aime lui-même. Et, à ce moment-là, quand je l’aime…

— Tu le bats.

Pendant quelques instants, elle ne craignit pas qu’il la comprenne.

— Non, tu ne comprends pas. Je le détruis. Je le mets dans l’incapacité totale de me nuire à nouveau. Je l’écrase impitoyablement, jusqu’à ce qu’il ait cessé d’exister.

— Mais non, pas du tout.

Et la peur réapparut, plus intense que précédemment. Peter s’est calmé mais toi, ils t’ont transformé en tueur. Les deux côtés de la même pièce, mais comment les distinguer ?

— J’ai vraiment blessé des gens. Val, je n’invente pas cela.

— Je sais, Ender. Comment me blesseras-tu ?

— Tu vois ce que je deviens, Val ? dit-il d’une voix douce. Même toi, tu as peur de moi.

Et il lui caressa la joue, si tendrement qu’elle eut envie de pleurer. Comme la caresse de cette douce main d’enfant, quand il était petit. Elle se souvenait de la caresse de sa main douce et innocente sur sa joue.

— Non, dit-elle.

Et, à ce moment-là, c’était vrai.

— Tu devrais.

— Non, je ne devrais pas.

— Tu vas être tout ridé, si tu restes dans l’eau. Et les requins pourraient t’attaquer.

Il sourit.

— Il y a longtemps que les requins savent qu’il faut me laisser tranquille.

Mais il se hissa sur le radeau, qui se couvrit d’eau lorsqu’il s’enfonça. Cela glaça le dos de Valentine.

— Ender, Peter va réussir. Il est assez intelligent pour prendre le temps nécessaire, mais il se frayera un chemin jusqu’au pouvoir – sinon maintenant, du moins plus tard. J’en suis encore à me demander si c’est bien ou mal. Peter est parfois cruel, mais il sait comment obtenir et conserver le pouvoir, et certains signes indiquent que, après la guerre contre les doryphores, et peut-être même avant, le monde retombera dans le chaos. Le Pacte de Varsovie était sur le chemin de l’hégémonie, avant la Première Invasion. S’ils essaient après…

— Peter lui-même serait une meilleure solution.