— Personnellement, dit Ender, je suis favorable à la survie.
— Je sais, dit Graff. C’est pour cette raison que tu es ici.
14
LE PROFESSEUR D’ENDER
— « Vous avez pris votre temps, pas vrai, Graff ? Le voyage n’est pas court, mais trois mois de vacances, cela semble excessif. »
— « Je tiens à livrer une marchandise en bon état. »
— « Il y a des gens qui sont incapables de faire vite. Enfin, il ne s’agit que du sort du monde. Ne m’en veuillez pas. Vous devez comprendre mon impatience. Ici, avec l’ansible, nous sommes continuellement tenus au courant de la progression de nos vaisseaux. Nous devons affronter quotidiennement l’approche de la guerre. Si on peut appeler cela des jours. Il est tellement jeune, ce petit. »
— « Il y a de la grandeur en lui. Et une ouverture d’esprit exceptionnelle. »
— « Et aussi un instinct de tueur, j’espère. »
— « Oui. »
— « Nous avons élaboré une formation spéciale à son intention. Soumise à votre approbation, naturellement. »
— « Je la verrai. Je ne prétends pas connaître le sujet à fond, Amiral Chamrajnagar. Je suis ici seulement parce que je connais Ender. Alors, n’ayez pas peur que je conteste l’ordre de votre programme. Seulement le rythme. »
— « Que pouvons-nous lui dire ? »
— « Ne perdez pas de temps avec la physique des voyages interstellaires. »
— « Et l’ansible ? »
— « Je lui ai déjà parlé de cela, et des flottes. J’ai dit qu’elles arriveraient à destination dans cinq ans. »
— « Apparemment, il ne nous reste plus grand-chose à lui dire. »
— « Vous pouvez lui parler des systèmes d’armement. Il doit bien les connaître, pour prendre des décisions intelligentes. »
— « Ah. Nous servons tout de même à quelque chose, comme c’est gentil de votre part ! Nous avons affecté un de nos cinq simulateurs à son usage exclusif. »
— « Et les autres ? »
— « Les autres simulateurs ? »
— « Les autres enfants. »
— « Vous êtes venu ici pour vous occuper d’Ender Wiggin. »
— « Simple curiosité. N’oubliez pas qu’ils ont tous été mes élèves, à un moment ou un autre. »
— « Et, désormais, ce sont les miens. Ils sont tous en train de pénétrer les mystères de la flotte, Colonel Graff, auxquels, en tant que militaire, vous n’avez jamais été initié. »
— « À vous entendre, cela équivaut à entrer en religion. »
— « C’est Dieu. Et une religion. Même ceux qui commandent par l’intermédiaire de l’ansible connaissent la majesté du vol parmi les étoiles. Je vois que le mysticisme vous répugne. Je vous assure que votre goût ne trahit que votre ignorance. Bientôt, Ender Wiggin saura ce que je sais ; il dansera la danse fantomatique et élégante parmi les étoiles et la grandeur qui est en lui sera libérée, révélée, exposée à l’univers tout entier. Vous avez une âme de pierre, Colonel Graff, mais je chante aussi bien pour les pierres que pour les autres chanteurs. Vous pouvez gagner vos quartiers et vous installer. »
— « Je n’ai rien à installer, sauf les vêtements que je porte. »
— Vous ne possédez rien ?
— « Mon salaire est versé sur un compte. Je n’en ai jamais besoin. Sauf pour acheter des vêtements civils quand je suis… en vacances. »
— « Un non-matérialiste. Cependant, vous êtes désagréablement gras. Un ascète glouton ? Quel paradoxe ! »
— « Quand je suis nerveux, je mange. Alors que vous, quand vous êtes nerveux, vous crachez des ordures. »
— « Vous me plaisez, Colonel Graff. Je crois que nous nous entendrons. »
— « Je ne me soucie guère de cela, Amiral Chamrajnagar. Je suis venu à cause d’Ender. Et nous ne sommes pas venus à cause de vous. »
Ender détesta Éros dès l’instant où il arriva. Il n’avait pas du tout aimé la Terre, où le sol était plat ; Éros était un cas désespéré. C’était un rocher qui avait approximativement la forme d’un fuseau et faisait six kilomètres et demi d’épaisseur au point le plus étroit. Comme toute la surface de la planète était consacrée à l’absorption de l’énergie solaire et à sa transformation en énergie, tout le monde habitait les pièces aux murs lisses, reliées entre elles par des tunnels, de l’intérieur de l’astéroïde. Le confinement ne constituait pas un problème pour Ender : ce qui le gênait, c’était que le plancher de tous les tunnels avait une pente descendante. Dès le début, il fut gêné par le vertige quand il se déplaça dans les tunnels, surtout ceux qui ceinturaient la circonférence réduite d’Éros. En outre, comme la pesanteur n’était que la moitié de la normale terrestre, les choses ne s’en trouvaient pas facilitées : l’impression d’être sur le point de tomber était presque totale.
Les proportions des pièces avaient également un côté troublant – les plafonds étaient trop bas relativement à la largeur, les tunnels trop étroits. Ce n’était pas un endroit confortable.
Le plus désagréable, toutefois, c’était le nombre de gens. Ender ne se souvenait pratiquement pas des grandes villes de la Terre. Sa conception d’un nombre confortable de gens était l’École de Guerre, où il connaissait tout le monde de vue. Ici, cependant, dix mille personnes vivaient dans le rocher. Ils ne manquaient pas d’espace, malgré la place consacrée aux machines. Ce qui gênait Ender, c’était le fait d’être continuellement entouré d’inconnus.
On ne le laissa pas faire des connaissances. Il rencontra souvent les autres élèves de l’École de Commandement mais, comme il n’assistait pas régulièrement aux cours, ils restèrent des visages. Il assistait de temps en temps à une conférence mais, en général, il bénéficiait de cours particuliers successifs ou de l’aide d’un autre élève qu’il ne revoyait jamais. Il prenait ses repas seul ou avec le Colonel Graff. Sa distraction était le gymnase, mais il était rare qu’il y rencontre deux fois les mêmes gens.
Il s’aperçut qu’on l’isolait à nouveau, pas en amenant les autres élèves à le haïr, cette fois, mais en leur refusant l’occasion de se lier d’amitié avec lui. De toute façon, il aurait difficilement pu se lier avec eux : à l’exception d’Ender, tous les élèves étaient des adolescents.
De sorte qu’Ender se concentra sur ses études, apprenant rapidement et bien. L’astronautique et l’histoire militaire, il les absorba comme de l’eau ; les mathématiques abstraites étaient plus difficiles mais, chaque fois qu’il se trouvait confronté à un problème concernant l’espace et le temps, il constatait que son intuition était plus efficace que les calculs – il lui arrivait souvent de voir immédiatement une solution qu’il ne parvenait à démontrer qu’après avoir manipulé les chiffres pendant des heures.
Et, pour le plaisir, il y avait le simulateur, jeu vidéo plus parfait que tous ceux qu’il connaissait. Les professeurs et les élèves lui enseignaient progressivement son utilisation. Au début, ignorant la puissance extraordinaire du jeu, il avait joué exclusivement au niveau tactique, contrôlant un unique chasseur qui se déplaçait continuellement, recherchant et détruisant l’ennemi. L’ennemi, contrôlé par l’ordinateur, était sournois et puissant et, chaque fois qu’Ender utilisait une tactique, il s’apercevait que l’ordinateur la retournait contre lui dans les minutes suivantes.