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« Mais nous ne l’avons plus, Ender. Nous avons péniblement rassemblé tout ce que l’espèce humaine pouvait produire, une flotte face à laquelle celle qu’ils ont envoyée contre nous, la dernière fois, fait penser à une bande d’enfants jouant dans une piscine. Nous avons également quelques armes nouvelles. Mais cela ne suffira peut-être pas. Parce que quatre-vingts ans se sont écoulés depuis la dernière guerre et qu’ils ont eu autant de temps que nous pour faire des préparatifs. Nous avons besoin des meilleurs, et nous en avons besoin rapidement. Il est possible que tu conviennes à ce que nous recherchons, il est possible que tu ne conviennes pas. Il est possible que tu t’effondres sous l’effet de la pression, il est possible que cela détruise ta vie, il est possible que tu me haïsses parce que je suis venu aujourd’hui chez toi. Mais s’il existe une chance que, du fait de ta présence dans la flotte, l’espèce humaine survive et les doryphores nous laissent définitivement tranquilles – alors, je te demanderai de le faire. De venir avec moi. »

Ender éprouvait des difficultés à voir nettement le Colonel Graff. L’homme paraissait très éloigné et très petit, comme si Ender avait pu le prendre avec une pince à épiler et le faire tomber dans sa poche. Tout abandonner et aller dans un endroit où la vie était très dure, sans Valentine, sans Maman, sans Papa.

Puis il pensa aux films sur les doryphores que tout le monde devait voir au moins une fois par an. Le Ravage de la Chine. La Bataille de la Ceinture. La mort, la souffrance, la terreur. Et Mazer Rackham, au terme de manœuvres brillantes, détruisant une flotte ennemie deux fois plus nombreuse et mieux armée que lui, utilisant les petits vaisseaux humains qui paraissaient terriblement frêles et faibles. Comme des enfants se battant contre des adultes. Et, au bout, la victoire.

— J’ai peur, dit calmement Ender. Mais j’irai avec vous.

— Répète-moi cela, demanda Graff.

— C’est pour cela que je suis né, n’est-ce pas ? Si je ne pars pas, à quoi sert mon existence ?

— Cela ne suffit pas, insista Graff.

— Je n’ai pas envie de partir, précisa Ender, mais je partirai.

Graff hocha la tête.

— Tu pourras changer d’avis. Jusqu’au moment où tu monteras dans ma voiture, tu pourras changer d’avis. Ensuite, tu seras à la disposition de la Flotte Internationale. C’est bien compris ?

Ender acquiesça.

— Très bien. Annonçons la nouvelle.

Maman pleura. Papa serra Ender très fort. Peter lui serra la main et dit :

— Tu as de la chance, petit crétin de bouffeur de merde.

Valentine l’embrassa et mouilla ses joues de larmes. Il n’y avait pas de bagages à faire. Pas d’affaires personnelles à prendre.

— L’École fournit tout ce dont tu as besoin, des uniformes au matériel scolaire. Et, en ce qui concerne les jouets, il n’y a qu’un seul jeu.

— Au revoir, dit Ender à sa famille.

Il leva le bras, prit le Colonel Graff par la main et sortit avec lui.

— Tue des doryphores pour moi ! cria Peter.

— Je t’aime, Andrew ! dit la Mère.

— Nous t’écrirons ! promit le Père.

Et en montant dans la voiture qui attendait, silencieuse, dans le couloir, il entendit le cri désespéré de Valentine :

— Reviens ! Je t’aimerai toujours.

4

LANCEMENT

— « Avec Ender, nous devons parvenir à un équilibre délicat : l’isoler afin qu’il reste actif – sinon, il adoptera le système et nous le perdrons. En même temps, nous devons veiller à ce qu’il conserve une forte aptitude à commander. »

— « S’il monte en grade, il commandera. »

— « Ce n’est pas aussi simple. Mazer Rackham pouvait dominer sa petite flotte et gagner. Lorsque cette guerre se produira, même un génie ne pourra pas tout dominer. Les petits vaisseaux seront trop nombreux. Il devra se montrer adroit avec ses subordonnés. »

— « Ah, bon ! Il faut qu’il soit génial, et gentil, aussi. »

— « Pas gentil ! La gentillesse remettra notre sort entre les mains des doryphores. »

— « Ainsi, vous allez l’isoler. »

— « Il sera totalement distinct du reste des élèves lorsque nous arriverons à l’école. »

— « Je n’en doute pas. En vous attendant, j’ai regardé les vidéos de ce qu’il a fait au jeune Stilson. Ce n’est pas un gentil garçon que vous nous amenez. »

— « C’est là que vous commettez une erreur. Il est même plus gentil que cela. Mais nous le débarrasserons rapidement de cette propension. »

— « Parfois, j’ai l’impression que vous prenez du plaisir à briser ces petits génies. »

— « C’est une forme d’art et j’y suis exceptionnellement bon. Mais du plaisir ! Eh bien, peut-être. Lorsqu’ils remettent les pièces en place, après, et qu’ils s’en trouvent améliorés. »

— « Vous êtes un monstre. »

— « Merci. Cela signifie-t-il que j’ai droit à une augmentation ? »

— « Seulement à une médaille. Le budget n’est pas inépuisable. »

On dit que l’apesanteur provoque parfois la désorientation, surtout chez les enfants, dont le sens de l’orientation n’est pas encore totalement formé. Mais Ender fut désorienté avant de quitter la pesanteur terrestre. Avant même le lancement de la navette.

Dix-neuf autres garçons faisaient partie du voyage. Ils sortirent du bus en file indienne et montèrent dans l’ascenseur. Ils parlaient, plaisantaient, fanfaronnaient et riaient : Ender resta silencieux. Il constata que Graff et les autres officiers les observaient. Analysaient. Tout ce que nous faisons a effectivement un sens, se dit Ender. Ils rient. Je ne ris pas.

Il envisagea d’essayer de ressembler aux autres. Mais il ne trouva aucune blague, et les leurs ne paraissaient pas drôles. Quelle que soit l’origine de leur rire, Ender ne pouvait trouver un tel endroit en lui-même. Il avait peur, et la peur le rendait grave.

On lui avait fait mettre un uniforme, tout d’une pièce ; l’absence de ceinture, serrée à la taille, produisait un effet bizarre. Il se sentait gros et nu, ainsi vêtu. Des caméras de télévision fonctionnaient, penchées comme des animaux sur les épaules d’hommes à la démarche feutrée, les genoux fléchis. Les hommes se déplaçaient lentement, semblables à des chats, afin que les mouvements de la caméra ne soient pas brusques. Ender se surprit à marcher de la même façon.

Il s’imagina à la télévision, pendant une interview. Le présentateur lui demandait : « Comment vous sentez-vous, Mr. Wiggin ? » — « Très bien, en fait, mais j’ai faim. » — « Faim ? » — « On vous empêche de manger pendant vingt heures, avant le vol. » — « Comme c’est intéressant, je ne le savais pas. » — « Nous avons tous très faim, en fait. »

Et pendant tout ce temps, durant l’interview, le type de la télé et Ender marchaient, les genoux fléchis, devant le cameraman, en longues enjambées souples. Pour la première fois, Ender eut envie de rire. Il sourit. Les autres enfants, autour de lui, riaient également, pour une autre raison. Ils croient que je souris à cause de leurs plaisanteries, se dit Ender. Mais je souris à cause de quelque chose de beaucoup plus drôle.

— Montez l’échelle un par un, dit un officier. Quand vous arriverez dans une allée avec des sièges vides, installez-vous. Il n’y a pas de place près de la fenêtre !